Les filles de Caleb : Sur les bancs de l'école de rang

Photo prise lors du tournage du troisième épisode des Filles de Caleb / Crédit : Attraction images
Marie-Lyse Paquin
13 décembre 2022
Dès l’enfance, Émilie Bordeleau rêvait de devenir institutrice, malgré les réticences de son père, Caleb. À 15 ans, elle obtenait son premier poste d’enseignante sans aucun diplôme dans le village de Saint-Thècle pour un maigre salaire de 125 $ pour 10 mois de travail.
L’époque des écoles de rang s’étend du milieu du 19e siècle aux années 1960. Au plus fort de leur popularité, on comptait environ 5000 écoles de rang au Québec.
La profession d’institutrice s’est largement féminisée, vers 1900, alors que les femmes occupaient de 80 % à 90 % des postes, mais gagnaient la moitié du salaire des hommes. Engagées souvent très jeunes, elles devaient normalement quitter leur travail après le mariage.
Émilie a été l’une des rares femmes mariées à retourner enseigner, en partie par nécessité, mais aussi par passion, à la suite du départ d’Ovila pour l’Abitibi. Au début de la soixantaine, elle tente de prendre sa retraite, mais s’engage plutôt sur le chantier de Rapid-Sept, en Abitibi, où elle demeurera jusqu’à 65 ans.
L'école de la véritable Émilie Bordeleau à Rapid-Sept en Abitibi/ Crédit : Gracieuseté Nathalie Jean, La vraie histoire d'Émilie Bordeleau
Pour enseigner à une trentaine d’élèves de la première à la septième année en recevant un salaire de misère dans des bâtiments souvent mal chauffés et mal entretenus, sans eau courante ni électricité (Émilie s’éclairait toujours à la lampe à l’huile en 1926), il fallait vraiment avoir la vocation!
En plus d’enseigner, les institutrices, qui habitaient souvent au deuxième étage de leur école pendant la semaine, devaient se charger du nettoyage, de rentrer le bois et de transporter l’eau potable.
Les enfants et leurs institutrices devant l'école, vers 1915/ Crédit : BAnQ
À défaut de normes nationales, le salaire et les conditions de travail des institutrices dépendaient largement des commissaires du village et du curé qui tentaient souvent d’économiser sur les salaires, sur le matériel et sur l’entretien des écoles. Il n’y avait aucune sécurité d’emploi : le contrat devait être renouvelé chaque année pour pouvoir remplacer aisément une institutrice qui ne faisait pas l’affaire. Cette réalité est bien rendue dans une scène savoureuse de l’épisode 3 où les commissaires débattent de la punition à donner à Émilie.
« Bonjour, Monsieur l’inspecteur! »
Heureusement, les inspecteurs prenaient souvent la défense des institutrices auprès des commissaires, tant en ce qui a trait aux salaires qu’aux conditions de travail.
Règle générale, les inspecteurs visitaient les écoles deux fois par année et donnaient congé aux élèves après les avoir interrogés..
Former de bons petits catholiques
Surveillée de tous et surtout du curé, l’institutrice devait observer une morale et une tenue irréprochables. Gare à celles qui se retrouvaient seules avec un homme ou qui portaient la jupe en haut des chevilles!
Dans un système scolaire contrôlé par l’Église jusqu’aux années 60, il importait davantage d’encadrer de bons petits croyants que d’en faire de grands savants. Les élèves passaient donc beaucoup de temps à apprendre le catéchisme et la bienséance, tout en acquérant des connaissances de base en français, en arithmétique, en histoire et en géographie, ainsi qu’en dessin et en chant.
Par leur dévouement et leur travail acharné, les maîtresses des écoles de rang ont permis à cinq générations d’enfants de fréquenter les bancs d’école pendant quelques années. Elles ont largement contribué à l’important rattrapage en ce qui concerne le taux d’analphabétisme à partir du milieu du 19e siècle. À l’époque d’Émilie, on estime que trois personnes sur quatre savaient lire, une moyenne comparable à celle de plusieurs pays européens.
L'intérieur d'une salle de classe dans les années 1920/ Crédit : Copie réalisée pour Mme W.H. Maxon, Musée McCord
La fin d’une époque
À partir des années 1940, les écoles de rang sont peu à peu remplacées par de nouvelles écoles plus centralisées, et celles qui demeurent jusqu’aux années 1960 seront fermées définitivement lors de la création du ministère de l’Éducation. De nos jours, on trouve une poignée d’écoles de rang converties en musées, dont la Maison d'école du rang Cinq-Chicots à Saint-Christophe-d'Arthabaska.
Des écoliers jouent devant une petite école de rang située au Lac-Simon dans les années 1910/ Crédit : BAnQ