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Au·delà
des mots

Avec douceur et sans jamais s’imposer, France Beaudoin a su faire sa place parmi les animatrices chouchoutes du Québec. Dans son émission Pour emporter, elle consacre une heure complète à un seul invité, une heure à la fois riche et légère durant laquelle elle s’intéresse aux mots qui l’ont marqué à travers les années.

Avec finesse et doigté, France parvient à lire entre les lignes afin de saisir l’essence de ses interlocuteurs, au-delà des apparences. Aujourd’hui, nous nous faisons le même cadeau de prendre le temps de discuter avec elle dans un entretien qui s’est révélé être à son image: sincère et généreux.

Cultiver l'écoute

Lorsqu’on évoque le style d’animation de France Beaudoin, un mot fait souvent surface: écoute. Oui, on a ici affaire à une animatrice attentive, absorbée, qui n’éclipse jamais ses invités. Une qualité qui, selon elle, lui vient de la manière dont elle a été élevée. Issue d’une famille de pédagogues, France se souvient d’une enfance où les plus jeunes étaient toujours écoutés, au même titre que les adultes. «On n’était pas enfants rois, on était simplement considérés, entendus; on sentait que nos opinions comptaient. Les enfants qui mangent à une autre table, on n’a jamais connu ça chez nous.»

Une enfance douce, donc, bercée par des parents présents. «Quand je rentrais de l’école, ma mère prenait le temps de s’asseoir avec nous pour nous entendre parler de notre journée; je n’avais jamais l’impression de la déranger. C’est quelque chose qui se perd, regrette France. Je trouve qu’on va vite aujourd’hui. Peu importe le rythme de vie que j’ai, j’essaie donc, du mieux que je peux, de faire de même avec mes enfants, de leur faire sentir que j’ai le temps et l’intérêt de les écouter, que je ne fais pas autre chose en même temps.»

Originaire de la petite ville de Disraeli, la mélomane n’a pas grandi dans l’effervescence culturelle d’une grosse métropole. C’est au sein même de sa famille que France a fait son éducation musicale. «Tout le monde chantait et jouait de la musique. On avait même monté un spectacle qu’on allait jouer dans des résidences de personnes âgées, ça s’appelait «La fourmilière». On se promenait d’une place à l’autre et chacun y mettait du sien. Ce qu’on fait à En direct de l’univers, remarque France, c’est exactement ce qui se passait chez nous quand j’étais petite, mais à plus grande échelle. Arriver chez du monde par surprise pour chanter, ça n’arrivait pas une fois de temps en temps, c’était notre mode de vie!»

Choisie par le métier

Au moment de choisir sa carrière, le journalisme était loin d’être une option considérée par la jeune France. Un métier qui n’était tout simplement pas à sa portée, selon elle. «Mon père avait une épicerie Provigo, transmise de génération en génération, qui fonctionnait bien, donc on tenait pour acquis dans la famille que c’était ce que j’allais faire aussi. Au moment de m’inscrire en administration, je me suis mise à pleurer parce que je ne me voyais pas faire ça pour le reste de ma vie.»

Heureusement pour elle, France n’avait pas le genre de parents qui allaient la pousser à reprendre l’entreprise familiale. Sa mère lui a alors posé la question qui allait tout changer: «Qu’est-ce qui ferait en sorte que tu aimerais tellement ton métier que tu n’aurais jamais l’impression de travailler?» Une question dont France s’est toujours souvenue et qu’elle nous dit employer aujourd’hui avec ses propres enfants.

Bien qu’elle n’avait pas encore la réponse à cette question, France avait le pressentiment qu’elle pourrait la trouver en adhérant au programme Art et technologie des médias du Cégep de Jonquière. Un seul hic: la date d’inscription était passée. «Mon père a téléphoné à quelqu’un qui avait un Provigo à Jonquière pour voir s’il avait un contact au cégep, relate-t-elle. Voyant à quel point j’étais motivée, le directeur [du cégep] m’a fait visiter même si c’était fermé! Dès que je suis rentrée, j’ai su que c’était ça que je voulais faire. On m’a mise sur une liste d’attente, et la veille du début des classes, on m’a appelée pour me dire qu’une place venait de se libérer. J’ai paqueté l’auto et je suis partie.»

Contre toute attente, France n’a pas étudié en télévision – pas question pour elle d’être devant la caméra – et a plutôt opté pour le journalisme radio. Une fois ses cours terminés, un directeur de l’information de la chaîne Télévision Quatre-Saisons à Sherbrooke – le frère de Serge Denoncourt, pour la petite histoire – a demandé à la rencontrer. «Je suis rentrée dans son bureau en lui disant que je ne voulais pas faire de télé. Il m’a répondu que j’allais être en ondes le soir même, se rappelle France en riant. Il m’a dit que puisque mon premier reportage allait se faire avec des immigrants qui ne parlent pas français, j’allais pouvoir me reprendre autant de fois que je le veux sans que ça paraisse! Je l’ai dépanné ce soir-là et je ne suis jamais repartie.»

Une affaire de famille

Nous connaissons la suite de l’histoire: de l’étudiante incertaine de son parcours, France Beaudoin est devenue l’une des plus grandes animatrices culturelles du Québec. Si son amour de l’art l’a menée loin professionnellement, il occupe une place tout aussi déterminante dans la famille qu’elle s’est bâtie. «L’art est très présent chez nous, souligne-t-elle. Je possède plein d’instruments – dont je ne joue pas – au cas où il y aurait un jam! Je me suis acheté un piano à 25 ans; quand j’ai eu 30 ans, tous mes amis m’ont offert une guitare; on a des trompettes, des percussions de toutes sortes…»

A-t-elle transmis cette vive passion pour l’art à ses deux enfants? «Des fois, je me demande si je ne leur ai pas poussé ça par intraveineuse!, plaisante-t-elle. C’est sûr que leur père [l’acteur Vincent Graton] a un rôle à jouer là-dedans aussi, les enfants lui font répéter ses textes depuis toujours. Ils ont vraiment été élevés sur les plateaux. Quand j’ai commencé Bons baisers de France, mon fils avait 4 mois, donc mon chum venait quotidiennement pour que je puisse l’allaiter dans la loge.»

Pour France, l’art a également été une manière de donner à ses enfants des outils pour communiquer, pour extérioriser leurs émotions. «C’était important pour moi qu’ils choisissent de pratiquer quelque chose qui les intéressait. Pas forcément qu’ils continuent, précise-t-elle, mais au moins qu’ils essaient. Ma fille joue du piano et fait du cheer. Mon fils dessine et fait de la danse jazz et contemporaine, il s’en va d’ailleurs dans cette concentration au secondaire.»

Naviguant présentement dans les années charnières du passage de l’enfance à l’adolescence – ses enfants vont bientôt avoir 15 et 13 ans –, comment France vit-elle la maternité aujourd’hui? «J’ai adoré tous les âges, mais j’aime beaucoup la période actuelle. C’est le temps des discussions, se réjouit-elle. Avant, je les voyais développer leur personnalité et maintenant, c’est leur pensée critique qui s’installe. Ils définissent leur identité, les valeurs auxquelles ils tiennent, leurs influences, leur jugement. Je trouve ça fascinant. On parle pendant des heures, souvent le soir avant d’aller se coucher. On a vraiment une grande connexion, c’est l’une des plus belles choses de ma vie.»

Apprendre à jongler

Depuis quelques années, France consacre également son temps à un autre bébé: sa boîte de production Pamplemousse Média. Une suite tout à fait logique à son cheminement, considère-t-elle. «Puisque je n’avais jamais postulé pour être en ondes – on venait me chercher d’une fois à l’autre –, j’avais tout le temps l’impression que chaque contrat était mon dernier, que ça allait s’arrêter à un moment donné, raconte-t-elle. J’ai toujours rêvé d’avoir une petite boîte de production… Pour faire de la production, mais aussi pour mieux comprendre les autres métiers: la réalisation, le montage, la comptabilité… Ça m’a permis d’être plus autonome en tant qu’animatrice, d’être moins à la merci des autres.»

Ayant toujours été une animatrice très impliquée, France ne peine pas à conjuguer ces deux rôles aujourd’hui. «Quand je faisais Deux filles le matin, il y avait 30 heures de recherche à mon contrat, j’étais recherchiste à temps plein! À Bons baisers de France aussi, je ne manquais aucune réunion, j’étais impliquée dans toutes les prises de décision de contenu, raconte-t-elle. C’est vraiment une passion pour moi, je ne pense pas que je serais capable d’animer si je n’avais aucun mot à dire sur le concept, le contenu, etc. Ça me couperait la moitié de mon fun…»

France Beaudoin semble porter ses chapeaux d’animatrice, de productrice, de mère et d’épouse avec une aisance déconcertante. Aurait-elle trouvé le secret de la conciliation travail-famille? «Comme tout le monde, je ne réussis pas partout, tout le temps. J’essaie du mieux que je peux, mais il m’arrive de me sentir cheap, admet-elle. J’ai la chance d’avoir un conjoint avec lequel je fais vraiment équipe. On a fait des choix ensemble, on a fixé des priorités… Je suis très consciente que s’il n’avait pas été là, je n’aurais sans doute pas pu faire tout ce que j’ai fait sur le plan professionnel. Et vice versa, je pense qu’il dirait la même chose de son côté.»

Elle croit qu’elle n’y serait pas non plus arrivée sans sa sœur, avec qui elle travaille depuis près de 25 ans. «Elle a rédigé les textes de Deux filles le matin et de Bons baisers de France, elle est productrice au contenu sur En direct de l’univers, elle est script sur Pour emporter. Je dis toujours que je ne sais plus si elle écrit comme je parle ou si je parle comme elle écrit! Sa présence est très rassurante pour moi, c’est quelqu’un de bienveillant qui veut me pousser à aller plus loin. C’est ultra précieux et ça m’a vraiment permis de gérer tout ça», souligne-t-elle.

En pleine possession d’elle•même

Cet été, France soufflera ses 50 bougies. Un anniversaire, lourd de sens pour plusieurs, qui ne lui fait pas un pli. « Je n’ai jamais eu le souci de vieillir. Ma mère n’avait pas ce genre d’inquiétudes non plus, je n’ai pas ce type de références dans ma vie, insiste-t-elle. Mon chum vient d’avoir 60 ans et ne les fait pas. Dans les partys de famille, mes oncles et mes tantes se couchent tous après nous… Ma meilleure chum, c’est France Castel ; elle est intemporelle! On n’arrête plus de travailler à 45-50 ans, les bulletins de nouvelles ne vont plus chercher des centenaires pour savoir quelle est leur recette… »

Bien qu’elle reconnaisse qu’il est plus dur pour les femmes de vieillir dans certains domaines, France rêve du jour où ces dernières n’auront plus peur de crier leur âge. « Si personne ne le fait, on n’aura pas de modèles de ce que c’est que d’avoir 40, 50, 60, 70 ans, déplore-t-elle. Je ne sens pas de blues, de vertige d’avoir 50 ans. Ça continue, c’est tout. Au contraire, je me sens forte, en forme, en pleine possession de moi-même. »

France a bel et bien le vent dans les voiles, et ce, tant en tant que productrice qu’animatrice. Pour emporter diffusera d’ailleurs sa deuxième saison le 16 août prochain. Ayant plus l’habitude d’œuvrer dans la télé généraliste, France nous dit savourer la liberté et la diversité que lui permet l’émission. «Cette année, on va recevoir des Éric-Emmanuel Schmidt, Dr Béliveau, Joanne Liu de Médecins sans frontières autant que des Martin Matte, Magalie Lépine-Blondeau et Gildor Roy… On peut vraiment aller partout. Il n’y a pas beaucoup de places où l’on se permet de passer une heure avec des gens de tous univers et je me sens privilégiée de pouvoir le faire. » Et c’est exactement ainsi que l’on se sent après un moment passé à discuter avec France Beaudoin : stimulé, transformé et certainement privilégié.

Pour emporter

Vendredi 20h
dès le 16 août

Contenu: Noémie C. Adrien 
Design graphique: Étienne Dicaire 
Photos + vidéo: Martin Girard, Shoot Studio
Intégration + motion design: Studio Bib Interactif
Coordination: Sandrine Delpech