15e Festival TransAmériques – Entretien avec Martin Faucher

15e Festival TransAmériques – Entretien avec Martin Faucher
Maude Chauvin

17 mai 2021

Du 26 mai au 12 juin 2021 se tiendra le 15e Festival TransAmériques (FTA) – événement renommé de danse et de théâtre à Montréal – tant en salle qu’à l’extérieur et en ligne. Cette nouvelle formule hybride permettra au public d’assister à pas moins de 31 manifestations artistiques sur les lieux du festival ou dans le confort de son salon.

Pour en savoir plus sur la programmation et l’organisation de cette version pandémique de l’événement, nous avons eu le privilège de discuter avec Martin Faucher, codirecteur général et directeur artistique du FTA, qui a par ailleurs annoncé qu’il quittera ses fonctionst après la tenue de l’événement de cette année.

Voici ce qu’il avait à nous dire.

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Que nous réserve la programmation du FTA cette année?

Pendant près de trois semaines, 26 spectacles en salle et dans l’espace public. On l’espère, parce qu’on attend encore l’autorisation de la Santé publique. Un cycle de trois lectures et des terrains de jeu, c’est-à-dire des rencontres au Quartier général autour de spectacles, avec des artistes de la programmation, mais aussi des conversations inspirées de performances, donc à teneur un peu plus philosophique. 
Un artiste de la pièce Anima / Darkroom.
Une photo d'un artiste du spectacle Anima / Darkroom. Crédits : Do Phan Hoi.
 

Comment le festival a-t-il réussi à s’adapter au contexte de la pandémie?

Ça a été un chemin ardu qui n’est pas terminé. Quelque part au mois de novembre, décembre, on pensait bien pouvoir accueillir des spectacles avec des interprètes qui venaient de l’étranger. On s’est rendu compte quelques semaines plus tard que c’était impossible. On a donc mis de côté cette idée-là, ce qui nous a amenés à travailler davantage avec des compagnies locales et nationales. 

Malgré tout, il y a quand même une participation de productions étrangères dans des spectacles. Il y en a un dans lequel ce sont des gens d’ici qui sont les interprètes et un autre où c’est le public qui participe. On s’adapte selon l’évolution des mesures sanitaires. Toute l’équipe de production et de communication est à l’affût de l’évolution de la situation pour assurer la logistique selon les mesures gouvernementales.

L'artiste Jordan Tannahill lorsqu'il était jeune.
Une image tirée du spectacle Declarations de Jordan Tannahill.
 

Est-ce que les diffusions sur le web sont une nouveauté en raison de la pandémie?

Oui. C’est la première fois qu’on le fait parce qu’on ne savait pas ce qui surviendrait. On a décidé d’offrir un forfait en ligne : deux spectacles de danse qui seront spécialement filmés pour être diffusés en plus du cycle des trois lectures de la série Port-Royal qui seront aussi filmées pour être diffusées en ligne. C’est la première fois, oui, devant toute éventualité, on s’est dit que si jamais il y avait un scénario catastrophe qui s’appliquait, c’est-à-dire aucun spectacle en salle permis ou dans l’espace public, au minimum, on pourrait avoir cette offre pour le public. Les activités des terrains de jeu sont pour la plupart diffusées sur le web.
 

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur les terrains de jeu, dont vous êtes l’initiateur?

Il y a 7 ans, quand j’ai pris la direction du festival, on avait déjà ce qu’on appelait des « activités parallèles », mais je voulais regrouper ça sous un thème, sous une force motrice qu’on a nommée « les terrains de jeu ». C’est une série, entre autres, qui s’appelle « Habiter la vie » et qui consiste en trois conversations avec des gens qui sont dans la mouvance actuelle : Dalie Giroux, une philosophe et professeure d’université qui s’intéresse beaucoup aux ruines, à l’effondrement; Robert Lalonde, qui a entrepris une nouvelle vie après avoir vécu une grande épreuve, c’est-à-dire l’incendie de sa maison; Jordan Tannahill, qui fait partie de la programmation, dont la mère est confrontée à un cancer et qui est pris dans une réflexion métaphysique de la vie. 

Rhodnie Désir et des artistes du spectacle BOW'T-Tio'tia:ke.Le spectacle de danse contemporaine BOW'T Tio'tia:ke met en vedette la danseuse et chorégraphe Rhodnie Désir./Crédits : Kevin Calixte


Les terrains de jeu sont des rencontres de la sorte. Rhodnie Désir, qui, avec BOW'T Tio'ita:ke, a fait un parcours de la ville en janvier dernier pour voir les endroits de l’histoire esclavagiste montréalaise. Lors des terrains de jeu, elle va nous raconter ce périple-là. Elle a rencontré des gens qui sont des passeurs de savoir et qui lui ont raconté cette histoire. On a aussi une série qui s’appelle « Les salutations », qui nous permet de bien commencer la journée. Sept matins, à 8 h, une personne (artiste, citoyen, citoyenne, philosophe ou autre) choisit un endroit montréalais qui est très fort pour elle et nous salue de là en direct. Ce sera diffusé sur le site du festival. On a également des terrains de jeu professionnels qui sont réservés à la profession : des cliniques dramaturgiques, soit des ateliers de réflexion sur les façons de développer des œuvres contemporaines. C’est un mélange de tout ça, les terrains de jeu.

 

Est-ce qu’il y a un événement que vous recommandez particulièrement?

Il y a de tout : des figures emblématiques comme Marie Brassard avec son spectacle Violence, qu’elle travaille depuis un an sans arrêt pour l’adapter au contexte. Elle devait le présenter avec des interprètes japonaises, elle devait faire des résidences de création au Japon pendant toute l’année et finalement, elle a pu le réaliser à distance. Louise Lecavalier avec Stations, son spectacle solo que j’ai vu en Allemagne, qui n’a pas été dansé depuis un an. C’est une autre figure emblématique. Il y a des spectacles comme Un temps pour tout qui regroupent des danseurs de la danse urbaine. Anima / Dark Room avec un danseur fantastique qui s’appelle 7Starr, qui lui aussi représente un courant des danses urbaines. Il y a de tout, c’est-à-dire qu’il y a un spectre esthétique, il y a un spectre générationnel. 

Le spectacle Worktable de Kate McIntosh, qui est une artiste d’origine néo-zélandaise, mais qui vit à Bruxelles. Un des axes du festival est « démolition-reconstruction ». Je pense qu’il correspond vraiment à ce qu’on est en train de vivre présentement. On est dans un monde que je considère en démolition. On a été vraiment négligents par rapport au monde dans lequel on vit. On l’a magané. De toute urgence, on est appelés à le réparer. Cet axe « démolition-reconstruction » est présent un peu partout dans différents spectacles du festival.

Une image du spectacle Worktable de Kim McIntosh.L'artiste Kate McIntosh propose le spectacle Worktable à l'occasion du 15e FTA.
 

Le FTA 2021 sera votre dernier au sein de l’organisation. Que retenez-vous de ces 15 années passées au Festival?

C’est un voyage extraordinaire. Pendant 15 ans, autant ici à Montréal, au Canada, qu’un peu partout sur la planète, j’ai vu des spectacles, j’ai rencontré des artistes, j’ai vu des propositions de tous ordres et des gens qui réfléchissent sur le monde actuel. Je pense que ça m’a vraiment montré que les artistes, comme les scientifiques, posent un regard assez juste sur le monde actuel et qu’il faut les écouter. Comment construire une société en prenant soin de ses artistes? Quels sont les moyens mis à leur disposition? Comment fréquenter ces œuvres-là? Voir naître des œuvres, les faire grandir, comment est-ce que c’est un apport, un dialogue essentiel avec la société? 

Les arts de la scène sont un paratonnerre des grands courants de la société : les discours sur la diversité, sur le genre, sur l’exclusion et l’inclusion, ça se manifeste sur scène. Ces enjeux sont amplifiés lorsque portés sur scène. C’est là que ça m’indique que l’art contemporain, c’est un moteur actif de notre société. On serait vraiment stupides de s’en passer. Il ne faut pas être craintif d’appuyer la pratique des arts, c’est vraiment pas élitiste. Ça s’adresse à tout le monde et répond à un besoin, encore plus depuis un an. On se rend compte qu’aller voir un spectacle, être dans le hall d’entrée, d’y assister, d’y être par la suite et d’échanger, c’est un moteur hyper important.
 

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier du travail accompli durant toutes ces années?

Deux points principalement : d’avoir vu des choses, de les avoir rapportées à Montréal avant de les partager avec le public, qui répondait à ces propositions. Ça démontre que ce ne sont pas juste des goûts personnels, mais des expériences qui sont vécues par d’autres personnes et partagées. De présenter ce que je voyais de plus audacieux, de plus dérangeant, de plus éloquent et de constater qu’il y avait un public pour ça à Montréal. 

L’autre chose qui me rend fier, c’est qu’on a beaucoup travaillé à améliorer les conditions de création pour les artistes d’ici, soit par des sommes accordées aux coproductions, à des moyens techniques, des entrées dans les salles de spectacle ou des périodes de laboratoire plus longues. De faire en sorte que les conditions de travail, de création s’améliorent d’année en année. C’est encore à parfaire, bien sûr, mais disons que j’y ai porté un regard attentif. Je suis content que toute l’équipe du festival se soit penchée là-dessus et qu’on ait fait du progrès sur ce point.
 

Martin Faucher, un grand merci à vous!

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Pour connaître toute la programmation du 15e Festival TransAmériques et vous procurer des billets, rendez-vous sur le site web de l’événement.

Bon festival à tous et à toutes!