Série insolite – Des œuvres d’art repoussantes!

Série insolite – Des œuvres d’art repoussantes!
Sculpture de l'artiste Louise Bourgeois, exposée en 2019. Timothy A. Clary/Getty Images

4 avril 2023

L’art n’est pas forcément synonyme de beauté et de perfection. Certaines œuvres peuvent nous paraître dégoûtantes, étranges, choquantes, voire transgressives par rapport aux tabous. Quel rapport entretenons-nous avec la laideur et le malaise? L’art visuel nous invite à y réfléchir. Voici quelques œuvres déroutantes, mais pas moins pertinentes!

 

Les moisissures étincelantes de Kathleen Ryan

Voici une artiste qui nous fait douter sur ce qui est beau et agréable à observer et ce qui ne l’est pas. Kathleen Ryan parvient à rendre attrayante la décomposition des aliments. Ses fruits moisis, qui s’avèrent vraiment moins répugnants qu’on aurait pu le croire, sont conçus avec des perles et des pierres comme de l’amazonite, du quartz, de l’agate ou encore de l’onyx noir. 

En fait, plus notre regard s’attarde sur ces œuvres étonnantes, plus celles-ci se transforment en bijoux précieux et complexes. Pourtant, si à la place des perles se trouvaient réellement de la moisissure, notre réaction aurait sûrement été très différente!

De plus, en réalisant des sculptures de grande taille, l’artiste désire souligner l'opulence et la décadence de notre société de consommation, entre luxe et gaspillage. 

 

Les sculptures étranges de Louise Bourgeois

Exposition de plusieurs sculptures de Louise Bourgeois.
Plusieurs sculptures de Louise Bourgeois exposées en 2008. Crédit : Stéphanie de Sakutin/Stringer/Getty Images.

Si une artiste a beaucoup joué avec le malaise que peuvent susciter des œuvres d’art peu esthétiques, c’est bien la célèbre sculptrice Louise Bourgeois (1911-2010). Allusion aux organes du corps humain, sentiment d’oppression ou d’étrangeté, corps décomposés, formes évocatrices, etc. La plasticienne a utilisé divers matériaux comme le plâtre, le latex, le marbre, le tissu et le caoutchouc pour les transformer en sculptures biomorphiques qui ne laissent pas le public indifférent.

Parmi ses œuvres les plus connues : Fillette (1968), qui possède une forme phallique très explicite. La tension entre le nom de la pièce et sa qualité formelle a fait couler beaucoup d'encre! En fait, c’est l'ambiguïté qui intéresse l’artiste, et plusieurs de ses pièces sont sexuellement connotées, comme si elle défiait le public de les observer et de les analyser. 

On retient également d’elle ses araignées géantes nommées Maman (1999), qui ne passent pas inaperçues. L’une de ses araignées se trouve devant l’entrée du Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa.

 

La machine à caca de Wim Delvoye

En matière d'œuvres d’art controversées, impossible de ne pas mentionner le travail de l’artiste belge Wim Delvoye et son œuvre Cloaca (2000) : une machine à produire… des excréments! 

Ce laboratoire mobile a été développé sur plusieurs années en collaboration avec des scientifiques gastro-entérologues. C’est un ordinateur, contrôlé à distance par l’artiste, qui enclenche le mécanisme reproduisant le processus de digestion. L’installation ingère des aliments plusieurs fois par jour et les assimile dans des conditions similaires à celles du corps humain. 

Une fois les aliments absorbés et les excréments produits, la machine de 12 mètres de long les emballe et y appose un logo qui imite ceux de Ford ou de Coca-Cola. On peut donc y voir une critique assez frontale du consumérisme capitaliste. De plus, l'œuvre possède une portée étrangement universelle, puisque tous les êtres humains, riches comme pauvres, doivent déféquer. Dégoûtant mais impressionnant, n’est-ce pas? Une version de l'œuvre a été exposée à la Galerie de l'UQAM en 2009.

 

Malaise assuré avec Robert Gober

Une sensation de malaise vous habite très certainement après avoir regardé cette œuvre d’art, et avec raison! Les sculptures déroutantes de l’artiste américain Robert Gober nous font remettre en cause notre discernement. 

Influencé par les mouvements surréaliste et minimaliste, l’artiste a souvent détourné des éléments de la sphère domestique pour leur donner des attributs inattendus. Pour créer cette chaussure (Untitled, 1992) et ce fromage (Short Haired Cheese, 1992-1993) poilus, c’est de la cire d'abeille et de vrais poils humains qui ont été utilisés. Est-ce une façon de provoquer le public, de créer une réaction forte? Peut-être! En tout cas, ça fonctionne.

 

Casey Jenkins : de l’art menstruel

Taboues depuis des siècles, les menstruations ont longtemps suscité (et suscitent encore) de vives réactions pouvant mener à des discriminations. 

Dans une perspective féministe de réappropriation de ce phénomène hormonal cyclique, plusieurs artistes ont investi le sujet des règles dans leur art, notamment pour remettre en cause l’humiliation et le dégoût qui y sont souvent associés. C’est le cas de l’artiste australienne Casey Jenkins, qui a conçu au cours d’une performance un tricot imprégné de ses propres menstruations. 

En 2013, pendant 28 jours, l’artiste a tricoté une grande écharpe qui a rendu visibles son sang. Forcément, l'œuvre, intitulée Casting off My Womb, a fait controverse, mais non sans ouvrir le débat sur l’invisibilité de cette réalité qui touche la moitié de la planète. 

 

La pourriture sublimée par Klaus Pichler

Voici une autre œuvre artistique qui aborde le thème de la pourriture, mais cette fois-ci pour nous parler de gaspillage. Pour sa série One Third, le photographe Klaus Pichler a photographié des aliments en décomposition sur fond noir pour en accentuer l’effet dramatique et focaliser notre attention. Pendant plus de neuf mois, l’artiste autrichien a stocké des aliments dans sa salle de bain et a documenté leur processus de putréfaction. 

Le titre de cette série, qui veut dire en français « un tiers », fait référence à l’immense quantité de nourriture jetée aux poubelles sans être consommée, surtout par les pays plus riches, tandis que des millions de personnes continuent de vivre dans la faim. 

À la fois repoussantes et captivantes, ces photos nous forcent à prendre un temps d’arrêt pour observer la réalité du gaspillage alimentaire.

 

À bientôt pour un autre billet de la série insolite!