Artiste à découvrir : Julien Posture, illustrateur et chercheur
Patrick Dupuis
23 août 2021
Il aime créer des images simples, colorées et significatives, qui dérangent tranquillement les représentations. Découvrez ce qui se cache dans la tête de l’artiste Julien Posture, qui navigue entre l’art visuel, l’histoire de l’art et l’anthropologie.
Parlez-nous de votre fascinant champ d'expertise.
J’ai toujours étudié en alternance les arts visuels et les sciences sociales. Ces deux disciplines sont pour moi les deux faces de la même pièce. J’aime dire que je fais des images à propos d’enjeux sociaux et j’écris sur la vie sociale des images. Après mes études en arts, j’ai ressenti le besoin d’élargir mes intérêts au-delà du monde de l’art et de l’anthropologie. Je me suis aussi intéressé à la linguistique et à la sémiotique, deux sujets qui m’ont donné des outils pour comprendre les images et le regard que l’on porte sur elles.
Quel est votre processus créatif?
Je commence souvent par des mots. Mon travail est très axé sur des idées, le langage et des concepts. Je ne dessine pas si je n’ai pas quelque chose à dessiner. C’est la relation entre l’image et le texte que j’aime en illustration. Mais attention, cela ne veut pas dire que l’image est un simple véhicule de signification. Au contraire, les deux se construisent l’un l’autre au fur et à mesure du processus et ont une relation d’égal à égal.
The future of work, The Philantropist, Julien Posture
En quoi vos recherches nourrissent-elles votre créativité?
Avoir une compréhension systémique et globale de mon environnement de travail m’a permis de relativiser beaucoup de choses, notamment durant les périodes plus difficiles. Quand on fait du travail autonome, on a souvent tendance à mêler notre estime de soi avec le succès perçu de notre entreprise, et ce, d’autant plus en tant qu’artistes. Reconnaître et déconstruire cette pression en lisant sur l’histoire de l’art, mais aussi l’histoire du capitalisme, m’a permis de mieux cerner quel créatif je suis et ce qui marche ou pas pour moi.
Sur la plateforme Medium, vous écrivez sur la culture visuelle et l'industrie créative d'un point de vue critique. Rares sont les artistes qui s'expriment sur leur propre industrie. Quels sont vos sujets de prédilection?
J’ai deux buts principaux avec mes écrits. D’un point de vue théorique, j’aimerais déconstruire certains concepts peu remis en question dans l’industrie créative tels que la notion de style, son origine et son effet. Cela me mène par la bande à articuler un deuxième but, celui de porter un regard critique sur l’industrie et les systèmes de pouvoir qu’elle soutient. Quand nous faisons du travail autonome, nous apparaissons souvent comme à la merci des gens qui veulent bien nous employer. J’espère que déconstruire ces dynamiques de pouvoir peut aider la profession à gagner en importance, et surtout les illustrateurs et illustratrices à se considérer comme les spécialistes qu’ils et elles sont.
Missing bits, Julien Posture
Êtes-vous optimiste quant à l'avenir de votre métier?
Je suis optimiste quant à l’avenir du métier pour ce qui est de la place de l’illustration dans notre quotidien. Cependant, je suis inquiet de voir que depuis des décennies, les tarifs pour notre travail ne cessent de chuter. La clientèle comprend de moins en moins la valeur d’une illustration, et les illustrateurs et illustratrices se retrouvent dans des situations où il faut choisir entre perdre un contrat ou l’accepter pour un prix dérisoire, créant un précédent qui desservira l’industrie de l’illustration. Heureusement, des associations comme Illustration Québec font beaucoup d’éducation auprès de leurs membres, mais aussi auprès de la clientèle potentielle. Ceci est un enjeu systémique dans l’industrie.
L'illustration éditoriale est l'une de vos spécialités. Comment réussissez-vous à conceptualiser des images au-delà des clichés visuels?
L’important est d’être soi-même un lecteur ou une lectrice, et d’avoir une grande sensibilité culturelle. Le jeu de la métaphore visuelle, souvent demandée en éditorial, implique de comprendre les symboles qui trouveront le plus écho auprès d’un lectorat. Qu’est-ce qui l’amènera à découvrir qu’il a déjà une porte d’entrée vers l’interprétation d’un texte? Cela peut passer autant par des moyens conceptuels tels que les images de l’illustrateur québécois Sébastien Thibault, mais aussi par des mécanismes de dramatisation visuelle tels que le travail de l’illustratrice new-yorkaise Hokyoung Kim.
Affiche pour la maison d’édition Paperole, Julien Posture
Quelles sont vos sources d'inspiration?
J'essaie de rester ouvert à toutes sortes d'influences au-delà de l'illustration. J'aime tous les films noirs pour leur utilisation de l'esthétique au service du drame. Aussi, je trouve les peintres du quattrocento, comme Paolo Uccello ou Masaccio, très inspirants pour leurs expérimentations avec la perspective et la narration. En général, j'admire vraiment les gens qui fusionnent les disciplines et transcendent les définitions. Je pense beaucoup à Jenny Odell récemment et à son travail à l'intersection de l'art visuel et de la recherche, à Natalie Wynn et à la façon dont elle utilise le format de la vidéo pour créer des essais puissants, et à Sasha Velour, qui défie et célèbre les canons du drag pour créer des spectacles beaux et significatifs. Je regarde aussi beaucoup ce que font des artistes comme Dieudonné Cartier et Raphaël Zarka, sans doute pour leur manière de faire le pont entre recherche et art, remettant en question les façons dont nous articulons le lien entre ces pratiques.
Quel est votre lieu le plus inspirant pour créer?
J’aime écrire dans les cafés, sans doute pour reproduire l’image d’une classe sociale éduquée à laquelle j’aspirais en grandissant, plutôt que pour les réels bénéfices d’être dans le brouhaha d’un lieu public. Sinon pour mon travail, je préfère partager un studio avec d’autres artistes. J’aime échanger et avoir des rétroactions sur mon travail.
The New York Times Book Review, Julien Posture
Nommez-moi un objet important faisant partie intégrante de votre univers créatif.
Étrangement, mon nom. « Posture » est un nom qui m’a été donné lors de mes études en art par une formidable bibliothécaire. Ce sobriquet me rappelle que beaucoup de choses sont une question de posture et de perspective. Aussi, de ne pas me prendre trop au sérieux, car ma propre posture est une imposture. C’est aussi un très bon jeu de mots.
Parlez-moi d’un ou une artiste de votre discipline que vous affectionnez particulièrement.
Je conseille le travail de Charline Giquel, une illustratrice multidisciplinaire experte en lithographie et en céramique. Elle a publié un magnifique livre pour enfants intitulé Petit fantôme et ayant comme personnage principal un fantôme invisible. Un livre jeunesse incontournable!
Faites-nous part de l'un de vos coups de cœur culturels marquants.
Le spectacle Smoke & Mirrors, de Sasha Velour, a laissé une forte impression sur moi. Le jeu entre ce qui était réel ou non était magnifique. Aussi, la manière dont l’illusion était un véhicule de vérité personnelle et intime m’a beaucoup touché. D’un point de vue esthétique, Velour est un génie.
Hopefulness et Dance war, Julien Posture
Quel est le meilleur conseil que vous donneriez à un ou une jeune artiste en devenir?
Je soulignerais l’importance de créer sa propre définition de l’artiste que l’on veut être. C’est ce qui m’aide le plus en tant que jeune artiste moi-même. On parle souvent de la tendance à se comparer à autrui en matière de style, de succès, et comment cela peut être dangereux pour l’estime de soi. Plus dangereux encore, c’est de limiter notre définition de qui nous sommes et ce qu’on fait à celle de quelqu’un d’autre. Les définitions ont la fâcheuse tendance de réduire le champ des possibles. Je conseille donc de travailler fort à créer une définition qui nous est propre, à la fois aussi intime et aussi vaste que possible.
Quel serait l’un de vos rêves de création les plus fous?
On m’a récemment posé la question et ma réponse m’a surpris moi-même. Je rêve de créer un drame musical joué par des marionnettes. Puisqu’on est dans le rêve, pourquoi pas avec le Jim Henson Studio.