Artiste à découvrir: Myriam Wares, illustratrice
Patrick Dupuis
15 mars 2022
Inspirée par ses études en histoire de l’art, ses lectures de science-fiction et ses aventures en vélo-camping, elle crée des univers empreints de mystère et de poésie. Découvrez la beauté et la magie émanant des œuvres de l’illustratrice Myriam Wares.
Racontez-moi un souvenir de jeunesse qui a pu avoir une influence sur votre envie de devenir illustratrice.
Je dessine depuis que j’arrive à tenir un crayon, donc l’envie de créer des images a toujours été présente chez moi. Enfant, je me rappelle avoir souvent tenté de copier les illustrations qui se trouvaient dans mes livres. Évidemment, je n’y arrivais pas tout à fait, mais le fait d’être exposée à toutes sortes d’images intrigantes a sans doute exercé une influence sur mon désir de pouvoir un jour le faire à mon tour. Étant aussi artiste, ma mère a pu m’enseigner les principes de dessin de base, tels que la perspective, dès un jeune âge.
Quant au métier en tant que tel, je n’étais pas vraiment au courant qu’il s’agissait d’une option de carrière viable, jusqu’à ce que je rentre au programme Illustration & Design à Dawson. C’est là que j’ai compris qu’il s’agissait d’une possibilité envisageable; j’ai donc foncé pour en faire une réalité.
Vos œuvres sont empreintes de mystère, de magie, de poésie et d’émerveillement. Comment avez-vous développé votre style?
C’est quelque chose qui se fait tellement graduellement. D’un point de vue purement technique, mon style de dessin s’est développé à force d’observer et de pratiquer. Je pense que l’envie d’apprendre à dessiner a été, pour moi, un besoin d’extérioriser quelque chose que j’avais en moi; comme si mes illustrations existaient déjà dans ma tête et qu’il fallait simplement que je trouve un moyen de les mettre sur papier. On me dit souvent que mes illustrations sont empreintes de mystère et de poésie. Ce n’est pas vraiment quelque chose que je fais délibérément; c’est peut-être juste une manière de voir le monde. J’essaie de rester disponible aux images que la vie de tous les jours peut m’offrir. Si j’arrive à transmettre cela dans mon travail, je considère mon intention comme réussie.
Bibliothèque de la psyché, illustration pour The Walrus, Myriam Wares
Parlez-moi de votre processus créatif. Comment trouvez-vous vos meilleures idées?
Lors d’un contrat, le processus de développement d’idée se fait d’après un projet précis, où il y a des contraintes et où d’autres personnes sont impliquées. Pour mon travail personnel, c’est assez différent; je suis toujours, quoiqu’inconsciemment, à la quête d’idées. Cette accumulation mentale d’images reste disponible à moi quand vient le temps de commencer une nouvelle illustration. Trouver des idées est généralement le dernier de mes problèmes; j’ai plutôt l’impression de toujours manquer de temps pour extérioriser tout ce qui se trouve dans ma tête.
Parfois, je pars d’une idée ou d’un concept qui me parle, ou d’une réflexion que j’aurais eue par rapport à un sujet quelconque. Par contre, cela sert plutôt de point de départ, puisque le résultat final finit par vivre de lui-même. C’est pour cette raison que j’évite de trop élaborer sur mon travail; je pense qu’il est important de laisser le spectateur en faire sa propre lecture.
Vous illustrez des articles pour des publications telles que The Atlantic, Vice Magazine, The Globe and Mail et Science. Comment réussissez-vous à conceptualiser des images au-delà des clichés visuels?
Simplement parce que chaque article ou chaque histoire détient sa propre particularité. Il suffit de puiser là-dedans et de tenter de se vider d’idées préconçues par rapport au thème donné. Je fais beaucoup d’illustrations pour des articles traitant de sujets scientifiques; ce n’est donc pas toujours facile pour une non-initiée comme moi. Par contre, les auteurs ont l’habitude d’utiliser un langage riche en métaphores, souvent visuelles, afin de faire une vulgarisation pour le lecteur. C’est quelque chose qui facilite mon travail énormément. Cela dit, l’illustration éditoriale peut être difficile à d’autres niveaux. Il faut savoir illustrer un concept pour qu’il soit rapidement lisible, tout en gardant une certaine intrigue qui encouragera le public à lire l’article en question. C’est un équilibre qui n’est pas toujours évident à trouver.
Tables Turned, illustration pour The Walrus, Myriam Wares
Quelles sont vos sources d'inspiration?
À l’ère de l’Internet, les sources d’inspiration visuelles sont infinies. Il y a une panoplie d’illustrateurs contemporains, venant du monde entier, que j’admire beaucoup et qui inspirent mon travail. Par contre, par peur de commettre du plagiat sans m’en rendre compte, j’essaie de puiser mes sources d’inspiration ailleurs.
En parallèle avec ma pratique d’illustration, que je fais à temps plein, je fais aussi mon bac à temps partiel en histoire de l’art à l’Université de Montréal. Cela m’ouvre la porte sur une longue et riche tradition picturale. J’aime particulièrement les peintres de la Renaissance italienne ainsi que ceux de la Renaissance du Nord. Leurs explorations de l’espace tridimensionnel et l’attention accordée aux détails me plaisent beaucoup. Ces œuvres sont souvent construites sans rien laisser au hasard, où chaque élément est songé selon sa fonction symbolique. J’aime aussi beaucoup l’illustrateur Escher, qui pousse l’exploration de la perspective et de l’architecture à un tout autre niveau, en utilisant souvent des calculs élaborés pour y arriver.
Sinon, je suis grande lectrice de science-fiction. J’aime particulièrement ce genre, parce qu’il s’agit souvent de récits de mystère, de voyage et de découvertes, en plus de poser un regard critique sur notre société actuelle. Tout cela offre un terrain fertile à la réflexion.
Quel est le lieu que vous affectionnez particulièrement, qui vous réconforte et qui vous rend créative?
Je me sens plus créative à la fois chez moi ou dans mon bureau, mais aussi très loin de chez moi. J’ai besoin de temps dans ma tête pour penser, mais j’ai aussi besoin d’une dose de stimuli externes pour renouveler mes idées. J’aime me promener en général, que ce soit en voyage ou en camping. J’aime surtout le vélo-camping, que j’essaie de faire chaque été pour aussi longtemps que je peux me le permettre. Parfois, la meilleure chose à faire pour la créativité est de changer d’air.
Le messager, projet personnel et Relearning The Language of A Lost World, illustration pour Noema Magazine, Myriam Wares
La musique, le silence ou le bruit : décrivez-moi votre ambiance sonore préférée.
Mon ambiance sonore préférée en travaillant est plutôt le silence. Parfois, j’écoute des balados ou des livres audio, mais j’aime mieux pouvoir me laisser absorber dans mon travail le plus possible et y accorder mon attention totale.
Décrivez-moi votre espace de création. Qu’est-ce qui se retrouve sur votre table de travail?
L’avantage de l’ère numérique est qu’il n’est plus nécessaire de posséder beaucoup de matériaux artistiques. Puisque mon travail est uniquement numérique, je peux travailler assez simplement avec ma tablette graphique et mon ordinateur. Ça tombe bien, puisqu’il m’arrive d’être assez bordélique. J’en ai assez avec la vaisselle et le lavage, je me passe volontiers du ménage de mon bureau en plus! Le fait de ne pas être confinée à un bureau ou à un atelier m’ouvre la possibilité de travailler ailleurs, chose que j’aimerais explorer davantage lorsqu’il sera possible de voyager à nouveau.
Faites-nous part de l'un de vos coups de cœur culturels marquants, l’un de ceux qui a inspiré votre art.
Étudiante, j’ai été particulièrement marquée par La divine comédie de Dante [Alighieri], illustré par Gustave Doré. Ce recueil contient une centaine d’illustrations plus loufoques les unes que les autres. J’admire beaucoup la manière dont Doré compose ses images à l’aide de contrastes prononcés et d’éclairages dramatiques. Sinon, les films animés de Michel Ocelot ont beaucoup marqué mon enfance. Son attention aux détails et ses compositions féériques m’ont beaucoup plu.
Le passage du temps, projet personnel, Myriam Wares
Nommez-moi quelques objets importants de votre vie, chargés de souvenirs et de signification; ceux qui nourrissent votre créativité.
Le premier objet qui me vient en tête est mon vélo. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’essaie de passer le plus de temps possible à faire du vélo-camping en été. C’est ce que je fais pour me changer les idées, et j’ai beaucoup de beaux souvenirs associés à ça. Je garde aussi beaucoup d’affiches et de toiles sur mes murs. Certaines sont les miennes, mais beaucoup sont celles de mon copain ou celles des gens de mon entourage qui sont aussi artistes. Plusieurs d'entre elles datent de quand nous étions étudiants, donc elles portent des souvenirs qui me sont chers.
Quel serait l’un de vos rêves de création les plus fous?
Mon rêve de création le plus fou serait de me faire approcher par une grande maison d’édition pour illustrer un dictionnaire de la mythologique grecque, ou bien de faire La divine comédie de Dante [Alighieri] à mon tour. Évidemment, ça ne serait pas pour demain, puisqu’il s’agirait d’un projet d’une durée de quelques mois, voire années. J’aimerais aussi, un jour, apprendre l’animation afin de pouvoir donner vie à mes illustrations.
Shoulder of Giants, étiquette de vin pour Rosewood Winery, Myriam Wares
Quels sont les projets qui sommeillent dans la tête de Myriam Wares?
Pour l’instant, mon projet le plus ambitieux est de finir mon baccalauréat sans faire un burnout. Une fois fait, j’aimerais prendre le temps de travailler ma pratique artistique personnelle, peu importe ce que cela va donner. Entre école et carrière, je n’ai plus beaucoup de temps pour le faire.
Quel serait votre meilleur conseil à donner à un ou une jeune artiste en devenir?
Chacun suit un parcours différent, mais en général, la première étape serait d’évaluer si le mode de vie d’un illustrateur est pour toi. Il n’est pas seulement question d’aimer le dessin, il faut aussi vouloir le mode de vie qui en suit. C’est un milieu instable, avec beaucoup de compétition. Il faut être à l’aise avec l’entrepreneuriat et la promotion personnelle, ainsi qu’avec le rejet et la critique. C’est aussi un travail qui finit par être assez solitaire, puisqu’on est travailleur autonome. Avec ce mode de vie vient aussi une certaine liberté, puisqu’on gère son horaire comme bon nous semble, selon la demande du jour. Il faut donc être capable de gérer son temps et son horaire soi-même, de manière efficace. Si c’est un mode de vie qui semble souhaitable, il faut ensuite trouver le temps de perfectionner son travail et se bâtir un portfolio professionnel afin d’en faire la promotion.