Philippe Mathieu : des illustrations infusées de jazz et de café

Philippe Mathieu : des illustrations infusées de jazz et de café
2e vague Hokusai, illustration de Philippe Mathieu

10 mars 2023

Son double illustré est un personnage en salopette, crayons dans les poches et tasse de café à la main, une cafetière italienne à la place de la tête. Découvrez l’artiste Philippe Mathieu et ses créations infusées dans le café et la musique jazz.

 

Racontez-moi un souvenir de jeunesse qui a pu avoir une influence sur votre envie de devenir illustrateur.
J’ai toujours dessiné, surtout à l’école quand je n’écoutais pas le professeur; mes marges de cahiers peuvent en témoigner. Je lisais des bandes dessinées et des mangas (Dragon Ball, Astérix et Obélix). Regarder les Ciné-Cadeau à la télé était un rituel que j’attendais de pied ferme. Le film animé Les douze travaux d’Astérix demeure un film que j’adore réécouter.

Processus créatif, illustration de Philippe Mathieu.
Processus créatif, Philippe Mathieu

Je vous cite : « Mon travail personnel consiste en me noyant dans le café, me réveillant au son du jazz, reflétant le tout avec une touche d’encre humoristique. » Parlez-moi de votre processus de création.
J’écris comme je dessine, je dessine comme j’écris. Comme le lait qui se mélange au café noir corsé, je bois le songe du jour. Les jeux de mots habitent mon travail et baignent dans ma tasse de café au quotidien. Les mots m’inspirent une image ou parfois une image m’inspire une phrase. C’est un tiraillement qui me stimule. Une illustration claire est comme une phrase bien formulée. Mais parfois, c’est agréable de déparler.

 

Décrivez-moi la signification de l’expression « jazz visuel », que vous utilisez pour décrire votre art.
Je me considère comme un jazzman visuel, puisqu’au lieu de jouer de la trompette, je dessine le son cuivré.

Murale, Festival de Jazz de Montréal, Philippe Mathieu.
Murale, Festival de Jazz de Montréal, Philippe Mathieu

Votre création fourmille de références à la musique jazz. Parlez-moi de son importance dans votre vie.
Pour moi, le jazz n’est pas uniquement un style de musique. C’est une posture, une attitude. Laisser place à l’improvisation, à la spontanéité ne veut pas forcément dire faire n’importe quoi. Autant dans l’art que dans la vie, être à l’écoute de ce qui se déploie devant soi est une force pour agir et réagir. C’est la même chose avec les idées, un dessin, une illustration. Avoir des intentions, mais être ouvert à l’imprévu.

 

Pour rendre hommage à votre grand-père Marcel Mathieu, vous avez fait une illustration où l’on découvre qu’il aurait déjà rencontré le célèbre Louis Armstrong dans les années 60 dans un hôtel new-yorkais. Parlez-moi de votre grand-père.
Mon grand-père était un homme de son temps, un bonhomme qui a travaillé dur toute sa vie, mais qui avait la fibre familiale et rassembleuse. Il m’a souvent raconté cette histoire de Louis Armstrong. Je suis certain que c’est vrai, mais quand on raconte une histoire plusieurs fois, surtout si elle est lointaine, l’imagination prend son envol. C’était une belle manière de faire mon deuil après son décès, un hommage à sa personnalité charismatique. 
9 à 5, Philippe Mathieu.
9 à 5, Philippe Mathieu

Quelle est l’atmosphère sonore idéale pour trouver vos meilleures idées?
La trompette de Miles, le son des vagues, la rumeur d’un café, le silence d’une bibliothèque, le clapotis d’une rivière entourée d’épinettes en plein hiver, la cohue d’un aéroport.

 

Quels sont vos artistes jazz favoris, vos disques préférés?
Miles Davis, Kind of Blue
Miles Davis, Ascenseur pour l’échafaud (bande sonore du film)
Stan Getz, Getz/Gilberto
Gerry Mulligan Sextet, Night Lights
Frank Sinatra, It Might as Well Be Swing avec Count Basie
Cal Tjader, Breeze from the East

Pour ne nommer que ceux-là.

 

Le sport est aussi un sujet de prédilection dans vos illustrations. Le hockey, le tennis, le ski, la raquette. Parlez-moi de l’importance du sport dans votre vie.
Je suis un paradoxe. Je suis très casanier et flâneur. J’aime ne rien faire. Mais je bouge, je suis actif. L’été à vélo. L’hiver en ski de fond ou à la patinoire extérieure à jouer au hockey. Je marche le plus possible pour mes déplacements, surtout l’hiver. La marche est idéale pour activer les méninges, trouver des idées en me rendant à mon atelier.
Mon côté casanier me fait souvent me retrouver à dessiner devant le hockey ou en regardant les grands chelems de tennis. Les séries éliminatoires au hockey et les finales de grand chelem sont les meilleures pièces de théâtre, très galvanisantes et intenses. Je vis une adrénaline par procuration que j’essaie de déployer en dessinant. J’admire ces athlètes, leur passion, leur fougue.

Oublie pas tes raquettes, illustration de Philippe Mathieu.
Oublie pas tes raquettes, Philippe Mathieu

Dans vos illustrations figurent des éléments de la nature, des champignons, des branches de sapin, des feux de bois. Dites-moi comment la nature et le grand air vous inspirent.
C’est primordial de me recueillir en nature. D’observer ce spectacle fascinant. C’est essentiel d’avoir ces instants de calme. On a l’habitude d’opposer les gens de la ville aux gens de la campagne, mais je trouve qu’on gagne à se voir plus comme des compléments. Les uns et les autres se complètent. L’horizon campagnard rend humble, la verticalité de la ville étourdit, mais stimule.

 

Vous vous exprimez parfois à travers des gribouillis sous la forme de pensées philosophiques. Parlez-moi de cette initiative.
Le compte Instagram des @philosophical.scribbles est un compte que j’ai créé pour avoir un espace décomplexé ou je publie des idées spontanées, des croquis, des haïkus visuels, des bribes rejetées. Je ne me mets aucune pression pour créer ce matériel.
 

 

Faites-nous part de l'un de vos coups de cœur culturels marquants, l’un de ceux qui ont inspiré votre art.
Les tableaux du peintre Edward Hopper me fascinent. Ayant grandi en banlieue, dès que j’ai vu ces tableaux en vrai, ses paysages m’ont été étrangement familiers. Une mélancolie tangible, des personnages esseulés, plongés dans leurs pensées. Ces compositions ont inspiré énormément de cinéastes. Il y a une narration subtile, mais soignée dans ses images. Son œuvre me captive. Sinon, le cinéma de Wong Kar-wai ; l’atmosphère de ses films est envoûtante.

 

Parlez-moi d’un ou d’une artiste que vous affectionnez particulièrement.
J’aime vraiment le travail de Joost Swarte, illustrateur et auteur de bande dessinée néerlandais. Il utilise la ligne claire. Son style se rattache à celui d’Hergé. Ses métaphores visuelles et son humour m’inspirent beaucoup.
Jay Cover est un autre illustrateur important pour moi. Il m’a donné l’assurance d’assumer un côté minimaliste que j’ai. L’utilisation de la trame (halftone) est une manie que j’ai adoptée en voyant son univers visuel. Ça permet d’enrichir une illustration sans forcément utiliser une autre couleur.

 

Décrivez-moi votre espace de création, le lieu qui vous aide à vous inspirer.
Je crée chez moi ou à mon atelier. Avec mon chat et ma copine, ou mes amies avec qui je partage l’atelier. Un café noir brûlant dans une tasse soigneusement choisie (j’adore les tasses). Une musique qui flotte. Mes carnets éparpillés sur mon bureau, des bribes de papiers griffonnés, des livres inspirants du moment. Toutes sortes de feutres et de crayons. Mon ordinateur pas trop loin, un numériseur, Google Image et Photoshop.
Chaque fois que je voyage, je trimballe mon carnet. Le voyage est une période extrêmement stimulante. Beaucoup de nouveauté dans un court moment et les idées fusent.

Caféluia et portrait, Philippe Mathieu.
Caféluia, et Portait de l'illustrateur, Philippe Mathieu

Nommez-moi un objet important de votre vie, chargé de souvenirs et de significations.
La cafetière italienne moka est mon totem. Cet objet m’accompagne tous les jours. J’aime le design octogonal et son illustration de la caricature d’Alfonso Bialetti pointant l’index vers le haut, l’air de dire un caffè per favore. Une manière simple, efficace, conviviale et sans prétention pour préparer le café. Quand je ne sais pas quoi dessiner, je dessine la moka. C’est mon refrain.

 

Quels sont les projets qui sommeillent dans la tête de Philippe Mathieu?
Une bande dessinée de longue haleine, un cahier à colorier.

La Fanfare, Étiquette de bière pour Boréale, Philippe Mathieu.
La Fanfare, Étiquette de bière pour Boréale, Philippe Mathieu

Et si vous lanciez une idée dans l’univers, quel serait l’un de vos projets de création les plus fous?
J’aimerais collaborer avec les Canadiens de Montréal, la plus vieille franchise au hockey. Ça serait ma coupe Stanley à moi.

 

Quel serait votre meilleur conseil pour un ou une jeune artiste en devenir?
Prenez plaisir à explorer, à dessiner pour vous. Cherchez ce que vous aimez pour trouver votre voix, votre ton. Travaillez; il n’y a pas de raccourcis. Donnez-vous du temps. Osez. Arrêtez de vous comparer. Faites confiance au processus. Allez marcher. Allez au musée. Priorisez des projets personnels; c’est ce que vous voudrez présenter pour contaminer positivement vos contrats. Restez vous-même. Retournez marcher. Ne vous prenez pas trop au sérieux, mais prenez au sérieux ce que vous faites. Servez-vous un café pour commencer.

 

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