Les spectacles d'arts de la scène qui ont marqué 2017

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À Montréal ou à Québec en 2017, le théâtre a été tissé de réalisme social ou de pertinence documentaire, en passant par quelques relectures inspirées de grands classiques. Regard sur les spectacles qui nous ont marqués au cours de l’année, avec une petite escale du côté de la danse et du cirque.

Yen (Théâtre La Licorne)

Fidèle à un théâtre réaliste et explosif qui a fait sa marque, La Licorne invitait en janvier en ses murs le metteur en scène Jean-Simon Traversy et le traducteur David Laurin à offrir leur vision limpide et sensible de Yen, une pièce acclamée de la Britannique Anna Jordan. Pas de grande révolution artistique dans ce spectacle qui va droit au but, s’appuyant sur une traduction vivante en français vernaculaire local, mais un très fin dosage de l’émotion, de la tension et de la violence. Racontant une adolescence trash et porno, puis une certaine renaissance, le spectacle repose sur le jeu intense et profond des acteurs, en particulier le jeune Théodore Pellerin qui a bluffé tout le monde et enthousiasmé les critiques les plus exigeants.

Théodore Pellerin et Guillaume Gauthier dans <em>Yen</em> / Crédit : PL2 StudioThéodore Pellerin et Guillaume Gauthier dans Yen / Crédit : PL2 Studio

Le songe d’une nuit d’été (Le Trident)

Moment fort de l’hiver théâtral à Québec, cette production du Théâtre du Trident mise en scène par Olivier Normand a brillamment emmêlé théâtre et cirque, croisant sur le plateau du Grand Théâtre les artistes de la compagnie Flip Fabrique et quelques-uns des meilleurs comédiens de la Vieille Capitale. Athlétique, onirique, clownesque, ce spectacle marquant a plongé Québec dans une délicieuse étrangeté, en plus d’ancrer le vieux texte shakespearien dans un cadre de références hyper actuel.

Froid (Théâtre Premier Acte)

Présentée en février à Québec au Théâtre Premier Acte puis en octobre à Montréal au Prospero, cette pièce du Sudéois Lars Norèn est l’un des textes contemporains les plus intéressants au sujet du racisme et du retour en Occident d’une droite identitaire musclée qui n’hésite pas à flirter parfois avec la violence primitive. Confrontation entre deux adolescents xénophobes et un jeune Coréen homosexuel, la pièce mise en scène à Québec par Olivier Lépine s’ancre dans un jeu vif et nerveux, à haute intensité émotive. Résultat : un spectacle percutant qui bouleverse autant qu’il fait réfléchir.

David Bouchard, Olivier Arteau-Gauthier et Ariane Bellavance-Fafard dans <em>Froid</em> / Crédit : Cath LangloisDavid Bouchard, Olivier Arteau-Gauthier et Ariane Bellavance-Fafard dans Froid / Crédit : Cath Langlois

Vol au-dessus d’un nid de coucou (Théâtre du Rideau Vert)

La pièce américaine canonique de Dale Wasserman a fait l’objet d’une mise en scène fort remarquée au Théâtre du Rideau Vert en mars dernier, en partie grâce à l’interprétation énergique du comédien Mathieu Quesnel dans le rôle du rebelle McMurphy. Ode à la différence, l’histoire de cet homme se faisant passer pour un aliéné mental pour éviter la prison est une plongée dans l’antre d’un hôpital psychiatrique où vit en réalité une galerie de personnages libres et anticonformistes. Sans réinventer la roue, la mise en scène de Michel Monty propose une vision musclée du personnage de McMurphy et un jeu juste assez stéréotypé pour les autres. Un spectacle de bonne tenue qui a fait courir les foules.

J’aime Hydro, l’intégrale (Usine C)

C’est en avril à l’Usine C, puis au coeur de l’été montréalais, qu’on a pu voir la production finale en 5 parties, du colossal projet de théâtre documentaire J’aime Hydro, porté par la comédienne Christine Beaulieu. Sur scène comme en balado, on suit depuis 2015 cette aventure théâtrale qui plonge dans le ventre de la société d’État qui nous a rendus « maîtres chez nous ». La comédienne, profondément engagée dans une enquête qui pose des questions écologiques et économiques au sujet d’Hydro-Québec et ses surplus de production, allie précision documentaire et sens de la narration, pour créer un spectacle captivant. Le jury du prix Michel-Tremblay récompensant le meilleur spectacle porté à la scène au cours de la dernière saison a vu dans cette pièce « une nécessité dans le paysage québécois actuel» et une pièce que « tous et toutes devraient lire ou voir, pour en tirer autant des bénéfices citoyens que des plaisirs artistiques». On est bien d’accord.

Christine Beaulieu dans <em>J'aime Hydro</em> / Crédit : Pierre-Antoine Lafon SimardChristine Beaulieu dans J'aime Hydro / Crédit : Pierre-Antoine Lafon Simard

Baby-sitter (La Licorne)

Faisant partie du renouveau du théâtre féministe québécois, tout en se tenant à l’écart d’une parole trop militante, l’auteure Catherine Léger invente des personnages féminins costauds et pose un regard acéré sur le sexisme ordinaire et sur une misogynie aussi répandue qu’elle est conspuée. Présentée à La Licorne en avril, Baby-sitter met en scène un jeune homme dont la vie s’écroule après qu’il ait crié une phrase grossière derrière le micro d’une journaliste de la télé à heure de grande écoute. C’est chez lui, entre sa femme et la baby-sitter, que se jouera la suite. L’écriture de Catherine Léger, capable de réflexions sociologiques étoffées, tout en demeurant dans le registre de la caricature et de l’humour cinglant, est une denrée rare dans le paysage théâtral québécois.

David Boutin, Isabelle Brouillette et Steve Laplante dans <em>Baby-sitter</em> / Crédit : Magali CancelDavid Boutin, Isabelle Brouillette et Steve Laplante dans Baby-sitter / Crédit : Magali Cancel

 

Some hope for the bastards (Usine C)

Le chorégraphe Frédérick Gravel est homme de cohérence : sa nouvelle pièce Some hope for the bastards ne déroge pas du style faussement désinvolte qu’il met en place depuis ses débuts. Chorégraphies brutales et hachurées sur fond de musique post-rock, danse arrondie des bassins et des poitrines, monologues philosophiques du chorégraphe qui permet au spectateur d’entrer un peu dans sa tête et de mieux comprendre son esprit hors-norme, constamment écartelé entre le corps et l’intellect. La formule, communément appelée « concert chorégraphique », fait mouche à tous coups et a réjoui les spectateurs du festival TransAmériques aux premières lueurs de juin.


Tabarnak

C’est en juillet au festival Montréal Complètement Cirque que le Cirque Alfonse a dévoilé son nouveau spectacle revisitant l’héritage catholique québécois avec autant de respect que d’insolence. L’imagerie de l’Église est déconstruite et constamment réinventée dans ce spectacle un peu fou et délicieusement acrobatique, qui allie, comme toujours au Cirque Alfonse, le folklore et le contemporain. Entre respect des traditions et autodérision impudente, ces artistes-là sont surtout des athlètes hors-norme dont les prouesses exceptionnelles sont toujours exécutées sans prétention.

Bashir Lazhar (Théâtre d'Aujourd'hui)

Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui a eu l’excellente idée d’offrir une nouvelle production de cette pièce qui, adaptée au cinéma, a bien failli remporter l’Oscar du meilleur film étranger. Bashir Lazhar, écrit par Evelyne de la Chenelière, avait été considéré comme un bijou d’intelligence et de sensibilité à sa création en 2007. Cette fois présentée sur le grand plateau du Théâtre d’Aujourd’hui, sublimée par des éclairages sculpturaux, la pièce devient un exceptionnel morceau de lucidité au sujet de nos incapacités à accueillir l’autre dans toute sa richesse. Racontant le parcours d’un immigrant algérien embauché comme enseignant au primaire, Bashir Lazhar a permis la découverte d’un acteur grandiose, le rappeur Rabah Aït Ouyahia, dans un jeu aussi délicat que viscéral.

Post Humains (Espace Libre)

Le théâtre documentaire est l’une des formes théâtrales les plus importantes de la décennie actuelle sur la scène montréalaise, faisant l’objet de réinventions constantes. Dans Post Humains, combinant une approche d’autofiction et un théâtre technologique construit par design génératif, la comédienne Dominique Leclerc propose une fascinante incursion dans le monde des biohackers et des transhumanistes. Une pièce qui risque d’avoir une très longue vie après la première série de représentations qu’on a vue à l’Espace Libre en octobre.

Dominique Leclerc et Dennis Kastrup dans <em>Post Humains</em> / Crédit: Marie-Andrée LemireDominique Leclerc et Dennis Kastrup dans Post Humains / Crédit: Marie-Andrée Lemire

L’Illiade (Théâtre Denise-Pelletier)

Le metteur en scène Marc Beaupré poursuit son travail d’adaptation des grandes oeuvres et son entreprise de théâtre sonore décomplexé avec sa mise en scène, complexe, mais limpide, de L’Illiade. Sur la grande scène du Théâtre Denise-Pelletier, devant un public étudiant sans doute un peu décontenancé, sa troupe de comédiens incarne un chœur de guerriers au rythme d’une parole scandée comme un slam ou musicalisée à la manière d’une grande oeuvre lyrique. Ce puissant travail sonore, apte à restituer la grandeur héroïque des personnages homériques tout en incarnant puissamment une narration épique, est d’une rare intelligence.

Dans le champ amoureux (Espace Libre)

L’auteure Catherine Chabot nous avait soufflés avec sa première pièce Table rase en 2015. Elle a offert en novembre à l’Espace Libre son deuxième opus, Dans le champ amoureux, montrant à nouveau son talent de dialoguiste et sa capacité à combiner le trivial et le sophistiqué. Mettant en scène un couple au bord du gouffre, qui discute sexe et infidélités en empruntant autant à Spinoza et à Barthes qu’à la culture populaire, Catherine Chabot raconte la désillusion et la quête de nouveaux modèles de sa génération, cultivant des personnages complexes et nuancés avec lesquels on a envie de théoriser comme de se vautrer dans les plaisirs de la chair.

Catherine Chabot et William-Francis Rhéaume dans la pièce <em>Dans le champ amoureux</em> / Crédit : Eva-Maude TCCatherine Chabot et William-Francis Rhéaume dans la pièce Dans le champ amoureux / Crédit : Eva-Maude TC

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Et vous, quel spectacle a marqué votre année 2017?

 

Pour découvrir ce qui s'est passé dans le domaine culturel au cours de la dernière année, consultez notre rétrospective culturelle chaque jour jusqu’au 26 décembre.