Catherine Ethier : une femme ordinaire (et ce n’est pas de la fausse modestie)

Catherine Ethier : une femme ordinaire (et ce n’est pas de la fausse modestie)
Julie Artacho

5 avril 2022

Catherine Ethier, chroniqueuse radio et télé, autrice et « apparemment aspirante reine du polar (si l’on se fie à ce portrait en cache-poussière carmin) », pour citer la quatrième de couverture de son premier roman, Une femme extraordinaire.

 

La chroniqueuse et humoriste à la verve de haute voltige Catherine Ethier fait paraître le 6 avril Une femme extraordinaire, son premier livre.

Les adeptes des prouesses orales taquinant le micro d’ICI Première de Catherine Ethier (expression bien-aimée que nous lui empruntons) retrouveront ses envolées linguistiques aussi désopilantes qu’élégantes. L’éloquente autrice prouve de nouveau sa dextérité à draper d’une langue sémillante, émaillée de vocables vernaculaires cocasses, des sujets sérieux. Ici, la détresse psychologique.

Ce premier roman, écrit durant la pandémie sous le joug de l’angoisse, est pétri de propos sombres et funestes, évoque le mal-être et même le suicide (CE DONT ON NE PARLE PAS, comme l’écrit en lettres majuscules la protagoniste du roman, qui « tente de ne pas mourir »). « Je voulais parler sans filtre de cette vraie souffrance qui habite bien des gens », nous confie Catherine Ethier au bout du fil.

Elle le fait par le truchement du culte du vedettariat, envers lequel elle se fait cinglante : « On met des vedettes sur un piédestal. “Ils sont donc extraordinaires.” C’est trop! C’est un milieu qu’on engraisse. On rigole et on ne dit pas grand-chose. »

 

Détresse et culte du vedettariat

La protagoniste du roman, Corinne Gazaille, est au plus bas. Malgré les éloges que lui procure son statut de personnalité un peu connue faisant de la radio, de la scène, de l’humour… compliments pour lesquels elle ne sent nullement à la hauteur.

La femme extraordinaire du titre, c’est elle. Cette épithète est répudiée viscéralement par Corinne, qui se sent tout à fait le contraire – un personnage qui n’est pas loin de sa créatrice, comme nous le confie l’« émojitorialiste » d’On dira ce qu’on voudra, qui allait « moyennement bien » il y a quelque temps.

« C’est un livre un peu de colère, une espèce de journal intime, une petite thérapie », admet-elle d’un ton espiègle, lorsqu’on souligne le regard critique, voire abrasif, que pose sa narratrice sur le milieu médiatique – plus précisément sur un système glorifiant les personnalités publiques, « dans lequel on a été élevés à aimer voir les maisons des vedettes ». Et elle se permet d’en rire.

Nonobstant le marasme submergeant Corinne Gazaille, l’écrin littéraire si gracieux par lequel l’autrice distille son humour fait d’Une femme extraordinaire une lecture réjouissante. Son livre, elle le veut « certes divertissant, mais aussi validant pour des gens qui traverseraient des périodes difficiles », affirme la chroniqueuse de Tout un matin.

« Ce que je voulais dire, c’est que je suis une personne ben ordinaire, qui transporte ces pensées noires », dit-elle, et ces pensées peuvent tous et toutes nous assaillir un jour ou l’autre. « S’identifier à Corinne, ça peut normaliser un peu ces pensées, qu’on soit capable d’en parler pour régler le problème et cesser d’avoir honte d’avoir ces pensées-là. »

 

Parlons-en, de la détresse

La frilosité avec laquelle les enjeux de santé mentale sont traités dans la sphère publique consterne Catherine Ethier. « La détresse, la dépression, on n’en parle pas! s’indigne-t-elle. Rapidement, on tombe dans une forme de positivité toxique, un peu. »

Elle se remémore à cet égard l’entrevue qu’a accordée Hubert Lenoir à Tout le monde en parle il y a quelques années – sa bougie d’allumage, selon elle. « C’est un magnifique personnage, un peu comme Jean Leloup, un artiste immense, avec un propos archipertinent, mais c’est quelqu’un qu’on varlope, qu’on ne prend pas trop au sérieux, et cette soirée-là, il s’est ouvert. Il a dit : “Des fois, j’ai le goût de me crisser en feu.” Ce n’était pas une farce. »

Pour se faire ensuite rétorquer, facétieusement, qu’« on n’en parle pas, de ça », déplore l’autrice.

« Lorsqu’on ose avoir un début de conversation autre que : “J’ai fait une dépression, j’ai consulté, ça va mieux, maintenant, regardez ma cuisine”, on ferme la porte, ça ne nous intéresse plus, on n’en peut plus, c’est trop sombre, trop lourd à aborder. Ça me met hors de moi. J’en vois, de la détresse, autour de moi », lance la porte-parole du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

À ses yeux, on gagnerait comme société à mieux accueillir la souffrance d’autrui plutôt qu’évoluer « comme des solitudes avec des chapeaux fleuris », illustre-t-elle, néanmoins bien consciente que tout le monde n’est pas psychologue.

« Mais il ne faut pas mettre la "couvarte" sur le feu et dire : “Tu vas voir, tout va bien aller. Couche-toi de bonne heure, bois de l’eau, mange bien” », dit-elle.

 

Éclairage féministe

À l’instar de sa créatrice, le livre embrasse une perspective clairement féministe, ce qui ne déconcertera guère les adeptes des chroniques de Catherine Ethier.

À preuve, ce passage de Corinne à une émission de variétés de fin de soirée, où elle se bute aux commentaires insipides de l’animateur-coqueluche. (D’ailleurs, si certains y voient un pastiche d’En mode Salvail, ce n’est pas fortuit – « Les masques tombent! » dit Catherine en rigolant.) Ou l’énumération des critères semblant venir d’un autre siècle auxquels doivent s’astreindre les agentes de bord d’Air Asia – elle nous assure que ceux-ci sont véridiques.  

« Je ne peux pas m’en détacher, ça fait partie de moi, affirme-t-elle à propos de cette posture. J’ai l’impression que j’écrirais un livre de recettes qu’il serait un peu féministe (rires). »

Cette prise de parole – un éclairage qu’elle « ne se soucie pas de tamiser » –, elle la partage avec les Aurélie Lanctôt, Martine Delvaux, Judith Lussier, Virginie Fortin, Coco Béliveau et autres consœurs, et elle tient à le souligner. « On se donne toutes du gaz. Je porte beaucoup la parole de mes collègues. Je sors mon fer à friser et fais de drôles de perruques avec ça, je mets ma couleur, mais ce n’est pas moi qui ai inventé tout ça », illustre-t-elle de sa singulière manière.

Laissons les mots exquis de la fin à la quatrième de couverture d’Une femme extraordinaire, signée Catherine Ethier, parlez d’eux-mêmes : « Alors si vous désirez lire cet ouvrage, faites. Vous n’en avez pas envie? C’est très bien aussi. N’en faisons pas tout un fromage. »