La poésie de Chloé Savoie-Bernard

La poésie de Chloé Savoie-Bernard
crédit photo : Julie Artacho

24 février 2023

L’écrivaine québécoise Chloé Savoie-Bernard a été nommée dans la catégorie de l’auteur ou autrice de l’année au Gala Dynastie, qui vise à honorer les personnes issues des communautés noires. Celle qui est aussi traductrice, éditrice, chroniqueuse et professeure de littérature a publié son troisième recueil de poésie, Sainte Chloé de l'amour, aux Éditions de l’Hexagone en 2021. Nous l’avons rencontrée pour discuter de littérature et de ce qui l’inspire.

 

D’où provient votre intérêt pour les mots?

Je pense que j'ai été chanceuse parce que la littérature a vraiment été une voie simple pour moi; le français a toujours été ma matière forte à l'école. La bibliothèque était accessible et gratuite, je pouvais y aller quand je voulais. Petite, je voulais être actrice et j’aimais dessiner, mais il y avait une plus grande facilité pour moi au travers de la lecture que par d’autres formes d’art.

Mon envie d'écrire est venue du grand plaisir que j’avais à lire.

 

Qu’est-ce qui vous a menée à la poésie? 

J'écrivais des histoires, des textes plus narratifs, donc la poésie a vraiment été une surprise. Le premier ouvrage à souffle plus long que j'ai écrit était un recueil de poésie, qui n'a d’ailleurs pas été publié parce qu'il n'était pas très bon! J’avais 23 ans et j’étais quand même contente de finir un livre, c’était big. On dirait que je n’avais pas le temps de travailler sur un roman – je n’ai toujours pas le temps (rires) –, donc la poésie me permettait d’écrire petit à petit. Et il y a ce côté temporel : quand tu écris un poème, il y a quelque chose qui s’inscrit dans un temps plus court. Comme j’ai toujours été très occupée, ça me convenait.

 

Travaillez-vous différemment les mots à travers la poésie? 

Il y a une matérialité plastique plus aiguisée dans le poème. Je ne fais pas de calligrammes et je n’ai pas l’ambition de devenir artiste visuelle, même si c’est peut-être une carrière ratée, mais c'est vrai que le poème s’inscrit d’une façon claire sur une feuille. Quand j’écris des nouvelles, mes phrases sont super longues, il y a un souffle vraiment plus vaste.

Avec le poème, chaque mot est pesé. J’ai l’impression que l’on peut moins rater.

 

Dans vos écrits, vous démontrez un grand intérêt pour les femmes. Pourquoi? 

C’est d’abord un biais qui a été très influencé par mes recherches, puisque j'ai toujours travaillé sur des écrivaines, et sur des écrivaines féministes. C'est aussi parce que j'écris à partir de moi et des gens que je connais. Je ne fais pas dans l’autofiction, mais c’est cette subjectivité, ce regard-là que je connais le mieux. Je n’ai pas vraiment envie d’être dans un rapport fictionnel, je n’ai pas envie de m’imaginer ce que c’est d’être un monsieur de 45 ans. Ça m'intéresse peu.

 

Pouvez-vous nommer quelques autrices qui vous inspirent?

Pour moi, Marie-Célie Agnant est une reine. Je pense aussi à Martine Audet, qui vient de publier le recueil Des formes utiles, à Olivia Tapiero et à Marie Vieux-Chauvet, qui était Haïtienne. J’ai aussi beaucoup travaillé – et je travaille encore – sur Nicole Brossard. La littérature québécoise est très vaste et vive, et son histoire est longue et dense.

 

Votre mère est Acadienne et votre père, Haïtien. Est-ce que cela influence votre écriture?

Ça change d’abord le regard qui est posé sur moi. Mon corps n’appartient pas à l’hégémonie, mon corps est différent.

J’ai beaucoup réfléchi à comment mon corps se module dans l’espace d'une façon particulière, et dans mon écriture, je suis toujours en train de réfléchir aux jonctions entre l'intériorité et l'extériorité.

Culturellement, c’est sûr que ça m’influence, mais ce sont des questions qui sont vastes. Toutes les familles ne sont pas les mêmes et il y a des rapports à la transmission qui sont rompus aussi. Je pense que j'écris beaucoup à partir du trou et du vide.

 

Justement, vous avez dirigé un collectif sur le thème du corps. Comment le percevez-vous?

C’est sûr que j’ai un regard critique sur la façon dont les corps sont traités et différenciés dans la société, sur la façon dont les corps racisés et les corps divergents sont utilisés dans le champ littéraire. En fait, l'expérience de la littérature est d’abord quelque chose qui se vit à travers les mots. Ensuite, on est tous biaisés et modulés par différentes politisations. Je pense que tous les corps sont travaillés par le politique d’une façon ou d’une autre, certains plus violemment et de manière plus oppressive que d'autres.

 

Chloé Savoie-Bernard, merci beaucoup!