Réalisme à la dérive

Réalisme à la dérive

14 décembre 2022

La télévision est un outil de prédilection pour décrocher de notre quotidien. Ironiquement, il est également possible de décrocher de la télévision lorsque celle-ci envoie la crédibilité promener.

À une époque où l’on arrive à concevoir des gâteaux qui ressemblent à s’y méprendre à des sacoches, au point où l’on pense vraiment faire face à des sacoches, comment se fait-il que notre télévision ait encore du mal à transposer notre réalité de façon crédible à l’écran? Voici, en deux points, un plaidoyer pour un microréalisme télévisuel. 

*Avertissement : le texte qui suit traite d’aspects peu pertinents de façon beaucoup trop sérieuse. Nous tenons à vous en avertir.*

 

Premier point : les chaussures 

Tue-l’amour par excellence : la chaussure, le soulier, la godasse portée à l’intérieur des maisons de nos séries a de quoi énerver la madame Blancheville qui sommeille en nous. Pire; les adeptes de confort. Une fois à la maison, retirer ses chaussures relève du sacré. C’est un retour à notre nature de bipède au corps fonctionnel qui ne nécessite aucun soutien. Les orteils lousses, la plante qui respire. Libre, vous dis-je! 

Les personnages de la série Les Parent, assis sur un divan.
Photo : Radio-Canada
 

Comment se fait-il. Qu’à la télévision. Des femmes. Adultes. En plein contrôle de leurs moyens. Se promènent en TALONS HAUTS dans leur MAISON?! Il y a des limites à entretenir ses oignons et ses ongles incarnés. 

Anne Dorval qui cuisine ou qui traîne un panier à linge sur des échasses dans Les Parent, c’est inacceptable. Un crime sans nom contre toutes les mères de famille du monde qui en arrachent, même nu-bas. 

Oui, tu es petite, Anne. Et tu aimes être juchée quand tu travailles, mais Johanne, quand elle fait le lavage, ne porte même pas sa bague d’orteil parce que ça l’énerve. Déjà que faire une paella pour cinq, un lundi soir, c’est rire du monde… Sans parler de l’odeur épouvantable qui doit se dégager des chaussures à la fin de la journée. 

« T’sais qu’il s’est fait d’autre télé depuis Les Parent? *emoticone avec un sourcil relevé* »

OUI! De la télé qui répète les mêmes erreurs! Parcourez vos séries et vous les verrez aussi, les chaussures de l’injure. 

QUI, AU GRAND DIABLE, porte ses souliers de course pour lire une bande dessinée sur son lit? A-t-on si peur de montrer des êtres humains en pieds de bas à heure de grande écoute? Un personnage n’est-il crédible que chaussé? Nos actrices et acteurs sont-ils dénués de talent sans contraintes podiatriques?

Dans le pire des cas, des pantoufles, des mules ou des Crocs! Un accessoire de maison qui se peut, misère.

 

Deuxième point : les aléas du corps

Quand est la dernière fois où vous avez vu un personnage éternuer de façon aléatoire lors d’une scène sans que cet éternuement soit lié à l’action de ladite scène? C’est bien ce qu’on pensait! Nos personnages préférés n’éternuent JAMAIS. N’y a-t-il donc pas de poussière dans leur univers? D’allergies? De poivre? 

Et quand ils éternuent, c’est au pire moment; lorsqu’ils sont cachés ou ne doivent pas faire de bruit. Ce n’est pas la vraie vie. Dans la vraie vie, on éternue aussi lorsqu’on n’est pas en danger. Et quand ça se produit, on se mouche sans la moindre incidence sur le cours de notre vie. C’est ce qu’on appelle : le chaos du nez. 

Même chose en ce qui concerne les rots et les flatulences. Personne n’est à l’abri d’un gaz ou d’un rapport à un moment inopportun. Notre corps est une bombonne en latence, un amas de chair pressurisé duquel émanent, sans préavis, sons et odeurs. Jamais, lors d’une tirade émouvante, n’a-t-on vu Germain Houde refouler naturellement un petit roucoulement d’entrailles. 

« Ben, c’est sûr, ça tuerait l’émotion! C’est pas Les bloopers TVA quand même. C’est un téléroman. » 

Les rots tuent les inconforts gastriques, jamais l’émotion. Des moments d’émotion après un soda gingembre, ça arrive. Nos personnages préférés ne sont pas parfaits. Et il serait grand temps de laisser leurs corps effectuer leur travail sans en faire tout un plat. 

Salutations à Wendy Williams, qui démocratise les fuites, telle une vieille bouteille de propane en camping. 

 

 

Conclusion

Les deux aspects présentés dans ce plaidoyer ne représentent qu’une infime partie des largesses commises par le monde de la fiction pour se soustraire aux lois du quotidien. Ce texte se veut un exutoire pour exprimer une fatigue à l’endroit des gens de création qui ne se soucient pas des détails qui font la différence.

Il n’est exigé d’aucune façon que les personnages d’Indéfendable se mettent à se lâcher lousse en socquettes, mais militons pour une télévision congrue. 

Pour que la réalité marie la fiction, nu-bas. Amen.