David Giguère : les vertus de la constance

David Giguère : les vertus de la constance

27 janvier 2020

Il y a de ces titres d’album qui piquent la curiosité : Constance, troisième et plus récent opus de David Giguère, sorti en novembre dernier, est du lot. Au moment de notre entrevue, dans un café chaleureux de l’avenue Bernard, dans le Mile End, l’auteur-compositeur-interprète revient tout juste, « brûlé, vidé » mais heureux, du tournage en sol français du clip de sa chanson The Abyss, entouré d’une équipe archi-réduite. Et une multitude de projets attendent déjà le musicien, également comédien (il incarne notamment le pas très gentil ex-amoureux de Laurence, William, dans la série télé Les Simone) : création du spectacle de Constance, répétitions de la pièce L’Iliade, de Marc Beaupré, tournage de la série Escouade 99… « Je n’ai aucune idée comment je vais réussir à concilier tout ça », laisse-t-il tomber. Passionné, il réussira, bien entendu.   

                                                                                      

Vidéoclip de la chanson Téléphone, tirée de l’album Constance (2019)

 

Capitaine Dauphinais  
 

David a de nouveau fait équipe avec Jonathan Dauphinais, complice de son précédent disque, Casablanca, sorti en mars 2014. Un sourire très doux se dessine instantanément sur son visage à l’évocation du réalisateur, capitaine de l’épopée que s’est révélée Constance, comme si un cortège de souvenirs défilaient dans son esprit. « Il est vraiment comme un grand frère, illustre David. Humainement, je l’aime beaucoup. L’album a été humainement et artistiquement enrichissant, on apprenait en travaillant ensemble. »

 

Celui qu’Ariane Moffatt a pris sous son aile à l’époque de son premier disque, Hisser haut, en 2012, souligne la dévotion de part et d’autre qu’a requis la création de Constance, que Giguère et Dauphinais ont mis près de six ans à fignoler — et fignoler, c’est le mot. « C’est pas un six çà et là : c’est presque un six ans à temps plein, précise David. Cet album-là n’aurait pas été possible sans la présence de quelqu’un du début à la fin. »

 

« On se disait : tant qu’on l’a pas, on l’a pas. [Jonathan Dauphinais] m’a déjà dit : “Man, si tu veux qu’on jette tout et qu’on recommence, O.K.” Je trouve ça vraiment grand de mettre son ego de côté et de dire : c’est pas ça. »

- David Giguère, auteur-compositeur-interprète

 

 

 

Le prisé Joseph Marchand a contribué aux arrangements des 13 morceaux à prépondérance électro-pop composant Constance, qui fait la part belle à d’aériennes pièces sentimentales, telles que TéléphoneFaith Is Luxury et autres Sookie (« Mais dis-moi, qu’est-ce qu’on s’en fout. Avec le temps. Si au fond on oublie tout. Du moins on fait semblant. Pour mieux recommencer », y chante-t-il), langoureuses ballades bien de leur temps.

 

David souhaite que sa pop délicate — moins « hermétique » à ses dires que celle de Casablanca — trouve plus facilement écho auprès de ceux qui y prêteront l’oreille. S’il s’avoue parfois déstabilisé par l’enrobage de ses propres mélodies, il assume son côté foncièrement pop. « Des fois, je me dis : tabar****, c’est cheese à certains moments, mais il y a quelque chose là-dedans qui me demande d’embrasser ça parce que ça fait partie de moi. Ce n’est pas tant un choix qu’une définition de ce que j’écoutais plus jeune et d’où je viens. »  

 

Vidéoclip de la chanson La pornographie, tirée de l’album Casablanca (2014)

 

Tout au long du processus, Giguère et Dauphinais ont remanié la formule : de maquettes envoyées à des beatmakers afin qu’ils les retouchent, le duo revenait ensuite à un fondement guitare électrique et basse, pour finalement récupérer certaines pistes des beatmakers. Des trucs, ils en ont enterrés, puis déterrés. « Artistiquement, c’était ardu, se souvient David. Chaque année, on pensait que ce serait fini à la fin de l’année. Le processus était inattendu : chaque six mois, on n’était pas où on voulait, on changeait la formule. L’album ne serait pas ce qu’il est sans ce long processus, mais c’était pas si facile. »

 

Et pour la petite histoire, les titres en anglais s’expliquent simplement par le fait que David, dont les lectures lui inspirent habituellement ses titres, a strictement lu dans cette langue au cours des dernières années, afin de parfaire son anglais, « très défaillant » il y a cinq ans.

 

Vidéoclip de la chanson Encore, tirée de l’album Hisser haut (2012)

 

 

La constance pour mantra
 

Être aimé ? Ode à l’assiduité ? Le choix de Constance en guise de titre s’est imposé tardivement, avec le recul ; David en apprécie certes l’homonymie, le prénom féminin renvoyant très bien aux tribulations amoureuses au cœur de ses chansons, mais la constance s’est plutôt avérée de l’ordre de la révélation existentielle.

 

« J’ai constaté que les problématiques et les thématiques exprimées dans les chansons allaient souvent dans les extrêmes », observe David, qui a vu en la constance une solution à moult problèmes — sentimentaux comme créatifs, la notion s’appliquant tant à la façon de mener sa vie qu’à la conception de l’album. « Aie de la constance, et tout sera correct. » Une voix féminine automatisée prononce d’ailleurs ce mantra, sur chaque chanson, en leitmotiv.

Photo : Samuel Pasquier

 

 

La patience développée au fil de la création de Constance, vertu qui lui faisait cruellement défaut, estime David — « je suis quelqu’un qui veut tout, tout de suite », dit-il en agitant frénétiquement les mains —, l’a fait progresser, lui apportant des assises et fondements qu’il n’avait pas. S’il n’a tout compte fait pas renoué avec le buzz grisant découlant de l’urgence de dire qui avait caractérisé la création rapide et passionnelle de Casablanca, l’expérience de longue haleine de Constance l’a nourri autrement. Et lui a permis de prendre le temps de trouver ce qu’il voulait dire.

 

 

« Ce que je trouve le plus stimulant dans l’écriture, c’est de dire des choses que je ne suis pas nécessairement capable de nommer dans la vie. Lorsque ça sort, c’est comme si ça me donnait accès à certaines révélations. J’ai la chance de dire n’importe quoi. J’ai un souci de vérité, de trouver ce que j’ai envie de dire, de toucher de bons filons. Écrire, c’est chercher. »
David Giguère, auteur-compositeur-interprète



Pour ce faire, David a de nouveau collaboré, après Casablanca, avec son « conseiller dramaturgique », Emmanuel Schwartz, autre pilier dans sa vie, qui l’amène à remettre en question, ainsi qu’à défendre, ses choix en matière d’écriture. « Si je veux qu’un bout reste, c’est que j’ai vraiment pensé à mon affaire, explique David. On se connaît assez pour pouvoir se dire les vraies affaires. En même temps, c’est quelqu’un d’élégant, capable de nommer les choses sans que ce soit virulent. »

 

Finalement, l’idée de réinvention de soi dont traite Interlude 1, capsule audio dans laquelle l’astrologue Rob Brezny, que David écoute assidûment en balado depuis des années, dresse le portrait de l’année 2019 du Sagittaire, évoque aux yeux du musicien un sentiment d’espoir, à l’égard de l’album, mais également par rapport à lui-même. Et maintenant, David savoure son sentiment d’accomplissement, fier d’être allé au bout de la conception de Constance, « de ces recherches-là, de ces doutes, de ces joies-là », dont il a assurément récolté les fruits.

 

David Giguère sera en spectacle le 21 février à la Maison de la culture Maisonneuve, à Montréal

 

Constance, de David Giguère, Mo’Fat, 2019