Le 2e roman : plus angoissant que le premier?

23 mars 2018

crayon et aiguisoir déposés sur un carnet de notes

On questionne souvent les écrivains sur leurs débuts, ou sur leur vie d’avant leur première publication. Mais qu’en est-il du après? Comment gèrent-ils la pression du deuxième roman lorsque le premier s’est vu accorder une importante attention médiatique?

C’est une question que nous avons posée à Kevin Lambert, auteur de Tu aimeras ce que tu as tué et Éric Mathieu, qui se retrouve derrière Le Goupil.

 

Kevin Lambert et Eric Mathieu

Kevin Lambert (©Valérie Lebrun) et Éric Mathieu

La temporalité de l’écrivain

La qualité d’un roman ne se mesure pas seulement à la couverture de presse qu’il reçoit. En plus d’une bonne stratégie de mise en marché de la part de l’éditeur, il y a «une grande part de chance», explique Kevin Lambert.

Le processus d’édition est long. Entre le moment où le manuscrit est accepté, les réécritures et la marchandisation du livre, plusieurs années peuvent s’écouler.  Lorsqu’on l’interroge à propos de son angoisse face à la réception de son deuxième opus, Kevin Lambert reste pragmatique. Il précise que ses craintes sont plutôt dirigées envers son texte. Selon l’auteur, il existe deux temporalités : celle de l’écriture et celle de la médiatisation. « Moi, je vis plus dans la temporalité de l’écriture. Tant que ce que  je lis ne me satisfait pas, je vais le travailler. »

Ainsi, il se concentre davantage sur le travail de création en lui-même plutôt que de se soucier de la réception critique de celui-ci. Une notion qu’il a appliquée dès l’écriture de Tu aimeras ce que tu as tué. Selon lui, la critique « c’est très positif à prendre, mais il ne faut pas non plus écrire pour ça. Je les reçois [les bonnes critiques], ça me fait plaisir, mais ce n’est pas le coeur de ma vie. Je sais que ça ne dure pas. J’ai saine distance par rapport à ça qu’il faut garder pour écrire en toute intransitivité».

tu aimeras ce que tu as tué

Le premier roman d’Éric Mathieu, Les suicidés d’Eau-Claire, a reçu d’une belle couverture médiatique et fut accueilli à bras ouverts par les critiques : « ça faisait un moment que j’écrivais juste pour moi. J’ai mis un moment à me mettre à la littérature. J’ai été soutenu par mon éditeur et c’est très important dans le processus. Je m’entendais super bien avec lui. C’était une sortie à la fin août, très bien orchestrée ». Il avoue avoir trouvé la publication du deuxième « plus angoissant d’une certaine manière que le premier ». Les deux auteurs se rejoignent sur l’importance du facteur chance. « J’ai eu de la chance, le premier a été vraiment bien reçu », nous dit-il.

Et le prochain?

Éric Mathieu nous dit avoir déjà la tête dans son troisième roman alors qu’il fait la promo du Goupil. Il est important pour lui de se motiver par l’écriture : « j’ai toujours peur d’être happé par mon travail et de ne pas avoir le temps de finir ».

Les couvertures des romans Les suicidés d'Eau-Claire et Le Goupil

Pour Kevin Lambert, le processus est similaire. Son deuxième roman est déjà bien entamé puisqu’il s’agit d’une version allongée de son projet de maîtrise en création littéraire qu’il termine à l’Université de Montréal. Il affirme se sentir « plus apte » à écrire des romans maintenant. « Je le canalise mieux dans mes phrases. Je maîtrise mieux le travail, j’ai gagné en expérience. Mais en même temps, ça peut être un piège. Il y a toujours une balance à garder entre être confiant de ses moyens, savoir où est-ce qu’on s’en va et la capacité à tout changer ou à tout laisser tomber. Un projet trop fixe pour moi est mort, il n’appelle pas à une écriture intéressante », explique-t-il.  

Chacun son approche

Il y a autant de manières d’écrire qu’il y a d’écrivains et chacun a sa façon de vivre la publication. Cette nervosité, ou ce détachement par rapport à celle-ci, nous semble être causée par un amalgame de facteurs difficilement prévisibles. Il faut atteindre une sorte de laisser-aller. Il est fascinant de constater l’importance du temps qui entoure chaque publication. Il y a une incroyable dose d’imprévisibilité dans tout ça. Comme s’il fallait atteindre un équilibre au hasard entre la temporalité de l’écriture elle-même, celle des médias et celle de la fameuse « ère du temps ». Chose certaine, il semble bénéfique pour l’écrivain de se concentrer uniquement sur l’écriture en laissant les autres considérations à l’extérieur. Après tout, l’écriture est la seule chose qui peut être complètement contrôlée.