FTA 2022 – Entrevue avec la chorégraphe Catherine Gaudet

FTA 2022 – Entrevue avec la chorégraphe Catherine Gaudet
Julie Artacho

16 mai 2022

Du 25 mai au 9 juin 2022, le Festival TransAmériques (FTA), événement de danse et de théâtre de renommée internationale, se tiendra à Montréal. Après deux années plus modestes en raison des mesures sanitaires imposées par la pandémie, la manifestation culturelle, qui en est à sa seizième année, promet énormément avec une offre de 23 spectacles d’artistes du Québec et de l’international. Parmi les œuvres d’ici qui y seront présentées, le public aura la chance de voir le spectacle de danse Les jolies choses, la plus récente création de Catherine Gaudet.

Pour en savoir plus sur cette nouvelle proposition, nous avons eu la chance de discuter avec la chorégraphe à quelques semaines de la première représentation.

Voici ce qu’elle avait à nous dire.

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Pouvez-nous décrire Les jolies choses que vous présenterez au FTA cette année?

C’est un spectacle dont l’écriture n’est pas encore terminée. (Rires) Il est toujours en train de se laisser découvrir, mais de plus en plus, je pense que je peux en parler sans trop risquer de me tromper à ce stade-ci. On est vraiment passés par plusieurs étapes pour arriver au résultat qui sera bientôt présenté sur scène. Mon constat, c’est qu’on est vraiment coincés dans une machine, en ce sens qu’on est partis de trois ou quatre mouvements très simples qui sont en quelque sorte devenus notre alphabet avec lequel on a composé toute la pièce.

Au départ, on souhaitait aller au cœur du mouvement, que sa simplicité évoque l’essentiel dans quelque chose de très minimaliste, et finalement, ç’a changé un peu à notre insu. On construit encore à partir de ces mouvements-là, mais tout s’est finalement développé pour devenir une immense machine où les corps sont presque mécanisés. Les danseurs sont aspirés à l’intérieur de cette énorme machine qui les fait bouger à un rythme synchronisé constant, très exigeant à la fois pour le mental, le psychique et le physique. C’est dur pour le cardio, mais aussi mentalement parce que la partition est écrite de façon très serrée et qu’il n’y a aucune possibilité d’en déroger; il faut donc constamment que les interprètes comptent et le rythme est toujours en train de changer.

Au début, ils sont aspirés dans cette énorme machine qui les soumet à son mécanisme et, peu à peu, dans la répétition et la continuité incessante de cette mécanisation, de cette rythmique, il y a un changement de regard qui s’opère.

On passe d’une impression où les danseurs subissent cette machine à une impression où ils l’incarnent et s’en servent pour générer un certain plaisir, comme si c’était un rituel qu’ils adoptaient pour générer un état extatique. Il y a une sorte de dualité dans la pièce entre une impression d’être coincé à l’intérieur de ce dispositif-là et une autre où les danseurs s’élèvent à l’intérieur des contraintes qui leur sont imposées. Voilà, c’est ce que je peux vous dire en date d’aujourd’hui. (Rires)
 

Comment développez-vous un tel spectacle de façon concrète?

Je n’arrive jamais avec une idée préconçue de la pièce que je veux créer. Quand j’entre en studio, je veux laisser place à ce qui est là entre nous, à ce qui nous habite à ce moment-là, à cet endroit précis. Parfois, ce sont des sensations qui sont plus ou moins discernables de façon explicite, puis, peu à peu, les idées, les mouvements, les élans qui sont déjà présents dans le studio émergent et on va construire à partir de ça de manière très intuitive. Le processus de création de Jolies choses a commencé en octobre 2020. À ce moment-là, on passait d’un confinement à un retour en studio et on était tellement exaltés par le fait de se retrouver. Il y avait une espèce de retour aux sources qui nous a amenés à nous poser des questions sur ce qui était essentiel, ce qu’on voulait vraiment dire avec notre danse; on a essayé d’en extraire tout le superflu. On s’est efforcé de ne garder que le strict minimum de mouvements pour exprimer ce qu’on voulait dire. On était très attachés à cette idée-là. C’est vraiment ce qui a fondé le socle de notre création, mais les choses sont allées très vite à partir d’octobre 2020. On est passés par toutes sortes de situations avant de retourner en confinement. Ç’a été des années épiques, si je peux dire. Nos esprits ont beaucoup bougé et à un moment donné, c’est comme si on est passé de quelque chose de zen, de méditatif, de fin dans la sensation à cette sorte de monstre qui est apparu et qui est devenu cette grosse machine. Tout à coup, même si on est partis de quelques mouvements, la répétition et la vitesse à laquelle ils sont produits donnent une partition étourdissante, touffue, mais aussi très répétitive, donc hypnotique. 

Le processus de création a beaucoup bougé. Nos lunettes ont constamment changé, notre attention était souvent propulsée d’une préoccupation à l’autre. On dirait que cette effervescence dans laquelle on était tous coincés se reflète aujourd’hui dans le spectacle. 

Juste pour préciser, je n’arrive pas avec une partition écrite au départ. On est dans un dialogue avec les danseurs, c’est-à-dire que oui, souvent, je vais amener la première idée, mais on est vraiment dans le fondement du mot « interprétation », en ce sens que les interprètes vont essayer de traduire ce que je leur dis avec leur corps et à partir de là, je rebondis sur ce qu’ils me proposent. On est dans un aller-retour constant très collaboratif dans la création. Ensuite, c’est sûr qu’en fin de compte, je décide de ce qui reste, de ce qu’on va jeter à la poubelle et de comment va s’écrire la partition. Normalement dans mon travail, il y a toujours un aspect performatif, c’est-à-dire que les danseurs vont pouvoir improviser ou partir de leur être, de leur individualité pour performer la commande. Dans ce cas-ci, même si les cinq danseurs ne sont pas exactement pareils, même s’ils ne font pas parfaitement la même chose, ils sont quand même tous pris dans la même partition. On est vraiment dans une écriture plus mathématique, je dirais, même plus technique dans l’écriture du mouvement, moins performative si on veut.


Que souhaitez-vous provoquer comme réactions chez le public avec cette œuvre?

Je n’ai jamais eu ça en tête. Je n’ai pas envie de provoquer quelque chose en particulier ou de transmettre un message. C’est certain que je me questionne constamment sur la pertinence de ce qu’on présente, et ce qui me préoccupe en premier lieu, c’est que les spectateurs ne sentent pas qu’ils ont perdu leur temps après avoir assisté à la pièce. C’est sûr que j’ai envie d’une espèce de sentiment d’exaltation, d’élévation. J’avais envie de transmettre ça au début de la création, et on dirait que c’est encore présent aujourd’hui. Auparavant, j’explorais des territoires très sombres et denses, mais on dirait qu’il y a un désir chez moi de générer de la lumière, de donner de l’énergie, d’insuffler une bouffée d’air frais. Depuis 2018, année de ma dernière pièce de groupe, c’est une nouvelle voie, un nouvel élan que j’ai dans ma création, comme si j’avais vraiment fait le tour. J’avais beaucoup de préoccupations relationnelles ou sociales que je tentais d’exprimer auparavant dans mes créations. J’aimais beaucoup jouer avec le malaise, voire le mal-être et extraire de cette essence-là, mais on dirait que j’en avais fait le tour. 

Il faut aussi dire qu’il y a des choses qui ont changé dans ma vie : j’ai eu un enfant, ce qui m’a menée à poser un tout autre regard sur le monde, peut-être un peu plus naïf ou émerveillé, du moins, c’est ce que je souhaite.

Ça s’est vraiment inscrit dans ma création. C’est sûr qu’il y a toujours un double aspect, c’est-à-dire que ce n’est jamais seulement euphorisant ou joyeux. Le côté plus sombre de l’être humain m’intéresse encore, mais on dirait qu’il y a une démarche un peu plus spirituelle que j’aborde, même si je trouve toujours ce mot-là dangereux. D’être reliée à plus grand que soi à travers ma création, je pense que ça fait vraiment partie d’un nouveau cycle dans ma démarche.
 

Que représente le FTA pour vous?

Le FTA, c’est toujours électrisant et angoissant en même temps. Il y a un aspect complètement euphorisant parce qu’on se retrouve dans un esprit de communauté, mais de communauté élargie, comme il y a beaucoup d’artistes internationaux qui se greffent à notre communauté à ce moment-là. Il y a cette espèce de sentiment de partage, de communion excessivement intense sur une courte période qui rend la chose hyper excitante, mais dans cette excitation, il y a aussi une certaine nervosité parce qu’on a tout de même l’impression de se mesurer à de grosses pointures. Comme beaucoup de spectacles sont présentés en peu de temps, on a toujours l’impression que les spectateurs sont dans un esprit critique pour comparer les spectacles qu’ils voient, ce qui est toujours un peu inquiétant. C’est la troisième fois que je vais participer au FTA, alors je suis de plus en plus relax. (Rires) Mais à trois semaines de la première, il y a un petit stress. Quand c’est une reprise, c’est autre chose : on connaît quand même le show, on est au fait de la réaction habituelle des spectateurs, on est sur un terrain plus connu. Quand c’est une première, c’est un peu plus angoissant, mais ça fait partie du jeu : on se lance, on joue le tout pour le tout et voilà, le reste ne nous appartient pas. Que ce soit au FTA ou ailleurs, c’est un peu la même chose; c’est juste une autre pression, disons. Aussi, comme des diffuseurs internationaux se retrouvent au FTA, inévitablement, il y a cette petite nervosité à savoir si ça va marcher, si le spectacle aura une vie après coup. Ça se joue un peu à ce moment-là aussi.
 

Catherine Gaudet, merci beaucoup!

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Pour tout savoir sur la programmation du Festival TransAmériques, qui se tiendra du 25 mai au 9 juin 2022, nous vous invitons à consulter le site web de l’événement.

Si le spectacle Les jolies choses a piqué votre curiosité, suivez ce lien pour en connaître tous les détails et acheter des billets.