Rencontre littéraire Pour emporter – Gabriel Robichaud

Rencontre littéraire Pour emporter – Gabriel Robichaud
crédit photo : Annie-France Noël

16 septembre 2022

Cette semaine, à la première émission de la cinquième saison de Pour emporter, France Beaudoin accueillera le talentueux quintette Salebarbes, formé des chanteurs Éloi et Jonathan Painchaud, George Belliveau, Kevin McIntyre et Jean-François Breau. Les membres du groupe aborderont différents sujets au cours de la discussion, comme la dynamique de leur ensemble, la beauté de la langue et leur amour de la chanson d’autrefois. Ils nommeront aussi quelques œuvres et artistes ayant marqué leur parcours, comme le recueil de poésie Acadie Road, de Gabriel Robichaud, qui a ému Kevin McIntyre.

Pour en connaître davantage sur le comédien, auteur, poète et dramaturge acadien Gabriel Robichaud, nous avons eu la chance de nous entretenir avec lui de sa passion pour l’écriture.

Voici le compte-rendu de cette discussion.

 

Quand as-tu commencé à écrire?

Quand même assez tôt. Mon père m’a appris à lire en maternelle, sous forme de jeu, et à un moment donné, on s’est rendu compte que je savais lire. L’écriture est venue assez rapidement. Pas nécessairement de façon constante tout le temps, mais j’y prenais plaisir. Je me souviens qu’en 8e année (l’équivalent de la 2e secondaire au Québec), quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, il y avait à la fois acteur et auteur. Il y avait aussi programmateur informatique, mais ça, je l’ai laissé de côté. (Rires) C’est ce que je fais aujourd’hui, c’est-à-dire que ma formation est en art dramatique, mais je joue et j’écris, selon les moments. Professionnellement, ça s’est vraiment déterminé le 18 mars 2009. La date est précise parce que j’ai assisté à une soirée de micro ouvert et j’avais apporté des textes. Je ne m’étais pas inscrit, mais une amie qui s’était inscrite et n’avait pas de textes sous la main m’a cédé sa place. C’est à la suite de cette soirée que le projet d’un premier livre est apparu. Ça s’est vraiment cristallisé à ce moment et c’est là que je me suis donné une méthode pour parvenir à mes fins.

 

Qu’est-ce qui t’a mené à l’écriture du recueil de poésie Acadie Road?

Je fonctionne beaucoup par accumulation, c’est-à-dire que j’avais plusieurs textes en banque à un moment donné et que, tout à coup, le titre du projet est apparu, ce qui m’a permis de lui donner une nouvelle voix. Du titre, souvent la forme apparaît. Qu’est-ce qui m’a amené à écrire Acadie Road? Avec le recul, je dirais que c’est après avoir passé 5-6-7 ans à voyager sur les différentes routes du pays, à me promener à l’international et à devoir constamment expliquer qui j’étais et d’où je venais. À force de l’expliquer, de me réexpliquer qui j’étais et d’où je venais, j’ai ressenti le besoin de créer une fiction pour tenter de mettre tout ça au clair.

Pour moi, Acadie Road, c’est un peu ça : le roadtrip de quelqu’un qui est tanné de se faire demander d’où il vient sur les routes inventées d’un territoire qui n’a pas de frontières fixes et qui ne tente pas de les fixer non plus.

Pourquoi écrire? Qu’est-ce que l’écriture te permet de réaliser?

Je pense que l’écriture, comme la scène, est un espace de liberté incroyable. Je suis quelqu’un qui a toujours été réfractaire à une situation qui devrait être possible et qui est présentée comme impossible pour toutes sortes de raisons. L’écriture et la scène permettent de déjouer ces pièges de l’impossibilité parce qu’on peut s’y permettre plein de choses qu’on ne pourrait se permettre autrement. Je suis quand même prudent avec le mot « liberté », surtout depuis quelques années; je trouve que ça a été déformé. Pour moi, la liberté, ce n’est pas juste de se permettre de tout faire. Cette liberté vient avec énormément de responsabilités. Ça fait très Spider-Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » (Rires) Autant ça fait cliché-quétaine, autant, pour moi, il y a quelque chose de vrai là-dedans. Ça permet de créer un monde avec ses limites, sa logique; un monde qui s’appartient. Ces espaces-là sont précieux parce qu’au quotidien, il y a d’autres normes qui régissent ce qu’on peut faire ou ne pas faire, alors que l’écriture me permet d’en faire fi. Comme Acadie Road m’a permis d’imaginer une cartographie dont les frontières historiques sont floues. En fin de compte, je pense que j’écris pour aller à la rencontre de l’autre, c’est-à-dire que l’écriture m’a amené à voyager. J’écris beaucoup parce que je voyage, et les rencontres que l’écriture m’a permis de faire sont des éléments qui ont forgé qui je suis en plus de me motiver à continuer d’écrire parce que du moment où on publie, tout ce qu’on a fait ne nous appartient plus. Ça appartiendra à la personne qui voudra bien le lire et en faire ce qu’elle veut.

 

Quand tu penses à tes œuvres, quels sentiments t’habitent?

Je te dirais que ça varie avec le temps, au sens où ça dépend du moment. Quand je suis en train d’écrire, je passe par toute une gamme d’émotions, de l’emballement, surtout au début, à quelque chose comme de la frustration quand il y a des écueils. Des fois, il peut y avoir du trop-plein, et là, j’ai crissement hâte que ce soit fini. La fierté que ce soit achevé. Le vertige de constater l’objet-livre ou l’objet-pièce et de dire que ça ne m’appartient plus. La réponse qui peut être super et la fierté d’avoir passé à travers tout ce processus. Avec le temps, lorsqu’on a un certain recul, on voit ça comme une marque dans le temps. Quand je pense à mon premier recueil de poésie, paru en 2011, je me dis que c’est le meilleur recueil de poésie que j’aurais publié à 21 ans. Je le regarde aujourd’hui et je me dis : « Ah ben je le ferais autrement. » Mais en même temps, c’est aussi ça la vie, c’est-à-dire qu’on marque des époques et qu’on évolue – ou pas, mais dans mon cas, j’espère un peu. Je sens une distance, un décalage par rapport à ça. J’essaie de ne pas trop y penser, de ne pas trop regarder derrière parce que j’essaie qu’il y en ait d’autres, en fait. 

Après ça, c’est de s’assurer de trouver les filons, les projets qui amènent les nouvelles avenues, et d’en laisser aller d’autres. Une des plus belles choses qui m’ont été dites quand j’ai commencé ma carrière, en 2012, par une personne que j’ai croisée, alors que je visitais un ami qui jouait dans le Cirque du Soleil, c’est : «T’sais, il faut toujours 12 projets dans la vie, surtout dans le milieu des arts, mais aussi dans la vie en général. Sur les 12 projets, il y en a 2-3 qui vont arriver à court ou moyen terme; 2-3 à moyen ou long terme et 6 qui n’arriveront jamais, et c’est ben correct comme ça. » Ça m’a un peu libéré de l’idée d’avoir ce projet à pousser au bout tout le temps et d’accepter que cette pluralité-là existe. C’est sûr qu’il y a des projets qui n’ont pas lieu et qui font plus mal que d’autres, mais en même temps, ça a aussi permis de m’aider à accepter qu’ils ne se rendraient pas tous à terme. 

Bref, quand on m’amène à penser à mes œuvres, selon la façon dont c’est fait, c’est flatteur. À cette occasion, de m’amener à penser à Acadie Road, un recueil que j’ai publié en 2018 et qui m’a permis de vivre une expérience formidable avec mon ami Kevin [McIntyre], c’est beau. Ça me dépasse, mais je tripe et j’embarque dans la ride parce que c’est le fun.

Si tu avais à ton tour à mettre une œuvre, ou un ou une artiste dans tes bagages à emporter, ce serait laquelle ou qui?

Je suis pas bon pour les affaires avec juste un truc à nommer. (Rires) Si j’avais un artiste de la littérature acadienne qui m’a vraiment marqué ces dernières années, c’est Félix Perkins avec son recueil de poèmes Boiteur des bois, qui m’a flabbergasté. J’ai entendu des trucs qu’il faisait l’été dernier et j’ai hâte de découvrir la suite, comme c’est un jeune auteur. Sinon, ma découverte romanesque de la dernière année à bien des égards, c’est Blaise Ndala, auteur franco-ontarien d’origine congolaise. J’ai lu ses trois romans Sans capote ni kalachnikov, Dans le ventre du Congo et J’irai danser sur la tombe de Senghor au cours des derniers mois et j’ai adoré. Dans mes lectures à venir, j’ai Le jeune homme, d’Annie Ernaux, Chanson douce, de Leïla Slimani, Femme forêt, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, et La garçonnière, de Mylène Bouchard. J’essaie à la fois de me rattraper et de diversifier les points de vue. Je peux pas te dire que j’apporterais un livre dans mes bagages, j’apporterais une bibliothèque.

 

Gabriel Robichaud, merci beaucoup!

 

Le livre Acadie Road, narré par son auteur Gabriel Robichaud, est offert sur la plateforme OHdio.

Ne manquez pas la toute première émission de la cinquième saison de Pour emporter avec Salebarbes, ce vendredi 16 septembre à 20 h sur ICI ARTV.