Artiste à découvrir : Geneviève Godbout, illustratrice
Patrick Dupuis
17 juin 2019
Découvrez la douceur du trait de crayon de pastel de l’illustratrice Geneviève Godbout, qui nous a accordé une entrevue.
Quel souvenir de jeunesse a pu influencer votre choix de devenir illustratrice?
J'ai toujours aimé dessiner, d'aussi loin que je me souvienne. J'étais une enfant tranquille, tant que j'avais du papier et des crayons.
En vos mots, comment décririez-vous votre style artistique et votre trait de crayon?
C'est difficile de décrire mon style, car je ne l'ai pas vraiment choisi; il m’est venu naturellement. J'aime la douceur des pastels et des crayons de couleur que j'utilise. Je pense que ça donne un style rétro et chaleureux à mes illustrations. J'aime aussi créer un univers rassurant pour les enfants, dans lequel ils peuvent se réfugier.
Après des études en cinéma d'animation au Cégep du Vieux-Montréal, vous avez poursuivi votre formation à l'École de l'image Gobelins, à Paris. Quelle a été l'importance du cinéma d'animation dans votre parcours?
Je pense que le cinéma d'animation et l'illustration ont beaucoup de points en commun. J'ai aussi grandi avec les films Disney, et très peu de livres à la maison, ce qui explique peut-être ma première attirance pour le milieu de l'animation. Je ne serais pas la dessinatrice que je suis aujourd'hui sans ces études.
©Disney
Vous avez travaillé pendant six ans à Londres pour Disney. Comment étaient ces années de création dans cette multinationale du divertissement?
En effet, j'étais conceptrice de personnages pour Disney Consumer Products et responsable majoritairement des franchises Winnie l'ourson, Bambi et Les aristochats. Je réalisais plusieurs dessins de ces personnages et, selon les besoins du moment, ceux-ci se retrouvaient ensuite dans une grande bibliothèque en ligne.
Le contenu de cette dernière se vendait sous forme de licence à des compagnies qui souhaitaient utiliser les personnages Disney pour leurs produits, dont Zara, Pampers et H&M. De plus, j'ai participé à des collaborations plus concrètes, telles que la création de petites statuettes en cristal avec Swarovski.
©Cath Kidson et Disney
Quelle relation particulière avez-vous créée avec le personnage de Winnie l’ourson?
J'ai toujours été très sensible à l'univers de Winnie l'ourson. Je trouve ses personnages tellement poétiques et attachants. Les livres originaux sont d'ailleurs une pure merveille! Encore aujourd'hui, je remarque mes dessins sur des produits en magasin ou chez des amis. C'est toutefois impossible à deviner [pour le commun des mortels], car je devais reproduire les personnages à la perfection!
Vous avez habité à Paris et à Londres, et vous demeurez maintenant à Montréal. Selon vous, qu'est-ce qui fait de ces villes des lieux où il fait bon créer?
À Londres et à Paris, j'étais à proximité de tellement de musées et d'espaces culturels incroyables; j'en avais plein les yeux en permanence! En revanche, je n'ai jamais été aussi heureuse qu'aujourd'hui à Montréal, et ça, c'est encore plus important pour la création. J'ai avant tout besoin de calme et de douceur pour réaliser mon travail dans les meilleures conditions possible. Je continue de visiter ces capitales régulièrement pour voir mes amis et faire le plein d'inspiration. C'est le meilleur des deux mondes!
Votre atelier se situe dans les bureaux des Éditions de la Pastèque, à Montréal. Qu’a de particulier cet espace de création pour vous?
À mon retour à Montréal, j'ai contacté La Pastèque pour savoir s'il y avait un espace disponible à louer dans leurs bureaux. Très rapidement, ils m'ont fait une place, que je garde précieusement depuis cinq ans. À deux reprises, j'ai tenté de reprendre le travail à la maison, mais cela n'a jamais été concluant. Je n'aime pas être seule.
Cet espace, en plus d'être des plus confortables, est un lieu de socialisation où j’ai développé des amitiés précieuses. Lorsque j'arrive au bureau, je me sens tout de suite bien! Je peux toujours demander l'avis de mes collègues Isabelle Arsenault et Michel Rabagliati lorsque je bloque sur un dessin.
Vous travaillez sur une série d'albums qui met en scène une nouvelle fois le personnage principal d'Anne… la maison aux pignons verts. Quel est votre attachement pour Anne?
Qui n'aime pas Anne Shirley? Comment ne pas se sentir honorée de travailler sur un si beau personnage? Mon agente discutait depuis un moment avec Tundra Books pour la création de cette série avec l'autrice Kallie George. Je travaille présentement sur le deuxième album, intitulé If I Couldn't Be Anne. Je ne connais pas encore le titre en français, mais je peux vous confirmer que cet album sera encore plus chouette que le premier. La série devrait compter trois albums au total.
Pour la Ville de Laval, vous avez illustré des enfants de toutes origines, absorbés par la lecture. Quelle importance accordez-vous à la lecture? Êtes-vous devenue une grande lectrice?
Oui, absolument. Disons que je suis devenue une grande lectrice. Je pense que vous vivons actuellement à une époque où la lecture est de plus en plus présente chez les jeunes et je trouve ça extraordinaire d'y participer à ma manière. La lecture ouvre le lecteur à une imagination plus fertile et c'est important de cultiver ça dès la tendre enfance.
Paru aux Éditions de la Pastèque, Malou est un livre entièrement signé Geneviève Godbout, textes et illustrations. Qui est le petit kangourou Malou?
Malou m'est apparu comme une évidence lors d'un épisode douloureux de ma vie. Je voulais parler à ma façon de la dépression, sans la nommer directement, et sans que ce soit lourd. Le nuage de Malou peut aussi être vu comme un vague à l'âme, de la tristesse ou de l'anxiété. Bref, on y voit ce qu'on veut. C'est important de parler de sujets plus difficiles aux enfants et d'ouvrir le dialogue avec eux.
J'hallucine de voir à quel point beaucoup de gens souffrent en silence, et ce ne sont pas nécessairement les gens que l'on soupçonne. Les petits kangourous joyeux aussi perdent l'envie de bondir. Lorsque ça nous arrive, c'est important de ne pas être seuls et de s'entourer de gens de confiance qui nous aideront à rebondir. C'est aussi une ode à l'amitié.
Vous avez fait une incursion dans l'univers de la mode avec la création de motifs. Quel plaisir avez-vous eu à créer des illustrations pour cette industrie?
J'ai beaucoup aimé créer des motifs, mais voilà plusieurs années que j'ai mis ça de côté. J'ai collaboré avec deux designers (dont une amie), mais ça s'est mal déroulé avec la seconde. Notre manque d'expérience et ma naïveté m'ont coûté cher. Nous avions créé une collection qui a ensuite été vendue par l’entreprise Anthropologie. On nous parlait d'une belle visibilité, mais je n'ai jamais été impliquée dans les négociations.
Cinq ans plus tard, alors que je marchais sur l'avenue Mont-Royal, j'ai reconnu mon motif dans la vitrine d'une boutique de vêtements. J'étais sous le choc! Le motif en question était offert partout sur Internet. J'ai rapidement compris que la designer en question avait cédé mes droits sans mon consentement. Encore aujourd'hui, je vois mon motif partout et c'est excessivement frustrant.
J'ai pensé entreprendre des démarches légales, mais il faudrait que je poursuive d'abord la designer en question. Même si je suis très fâchée de ce qui s'est passé, je ne souhaite pas la pénaliser pour sa maladresse. Ses intentions étaient bonnes. J'en veux surtout aux grosses entreprises qui font exprès de berner les artistes qui commencent dans le métier. Bref, ça m'a enlevé l'envie de poursuivre cette route pour le moment.
Lorsque votre temps le permet, vous dessinez des portraits de familles, de grands-parents et de couples qui vous en font la demande. Comment décririez-vous cette formidable idée de créer ces précieux souvenirs?
C'est quelque chose qui prend de plus en plus de place dans ma carrière, à mon agréable surprise! C'est tellement touchant de réaliser un portrait unique pour tous ces gens. C'est souvent lié à la célébration d'un anniversaire ou d'un moment important. Certains clients reviennent même quelques années plus tard, lorsque leur famille s'agrandit. J'adore faire ça, mais je dois malheureusement limiter le nombre de clients par manque de temps.
Quelles sont vos sources inspirations?
Voyager et m'accorder du temps loin des tâches quotidiennes et des obligations me donnent l'espace pour de nouvelles idées. Toutefois, comme ce n'est pas toujours possible, voire rare, je plonge alors dans ma bibliothèque pour replonger dans les livres d'images que j'aime, avec un bon café.
Quelle œuvre d’un de vos pairs affectionnez-vous particulièrement?
Toute l'œuvre de Tomi Ungerer m'inspire grandement, surtout les albums Émile, Adélaïde et Crictor, lesquels racontent l'histoire de ces animaux un peu bizarres (une pieuvre, un kangourou volant ou un boa constrictor) qui trouvent le courage d'embrasser ce qui les rend uniques.
En novembre dernier, au Musée Walt Disney, à San Francisco, vous avez été invitée à exposer vos illustrations lors d'une conférence sur l'œuvre de Mary Poppins. Quel plaisir avez-vous eu à illustrer l'univers de ce personnage?
J'ai eu l'honneur la même année de revisiter Anne Shirley et Mary Poppins. Je vous laisse imaginer la pression! Plonger dans l’univers de cette dernière s'est avéré un plus grand défi. Goodnight, Anne s'inspire librement de l'univers des romans de Lucy Maud Montgomery, alors que Mary Poppins est une adaptation raccourcie du texte original de P.L. Travers, lequel a déjà été illustré.
Ça me laissait moins de liberté et j'avais très peur que mes illustrations soient vues comme peu pertinentes comparées aux originales. Heureusement, le livre a reçu un bel accueil jusqu'à présent. Disons que j'étais à la fois très inspirée par ce personnage que j'adore et complètement effrayée.
Quels sont les projets qui sommeillent dans la tête de Geneviève Godbout?
Il y a beaucoup de choses, mais je ne souhaite pas en dire trop. Je peux toutefois annoncer que l'on retrouvera les copains de Malou bientôt! En particulier le petit crocodile...
Quel est le meilleur conseil que vous donneriez à un jeune créateur ou à une jeune créatrice?
Je lui conseillerais de trouver ce qui le ou la rend unique, de s'inspirer sans copier, et de travailler fort, fort, fort.
©Cindy Boyce
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