Rencontre littéraire Pour emporter – Geneviève Pettersen

Rencontre littéraire Pour emporter – Geneviève Pettersen
Krystel V. Morin

6 octobre 2022

Ce vendredi à Pour emporter, France Beaudoin accueillera la comédienne de grand talent Julie Le Breton. L’animatrice et son invitée aborderont avec une touche d’humour une multitude de thèmes, dont la pudeur, le patriarcat et le romantisme. Il sera également question des œuvres et artistes ayant marqué le parcours personnel de celle qui s’est fait connaître pour son interprétation du personnage de Julie dans le film Québec-Montréal, de Ricardo Trogi. Le roman La déesse des mouches à feu, paru en 2014, fait partie de cette liste.

Pour en connaître davantage sur la passion pour l’écriture de son autrice, Geneviève Pettersen, qui est aussi chroniqueuse et animatrice, nous avons eu la chance de discuter avec elle récemment.

Voici le compte-rendu de cet entretien.

 

Quand as-tu commencé à écrire?

J’ai longtemps tourné autour du pot avant de m’y mettre. Je me rappelle qu’au secondaire, plusieurs de mes professeurs vantaient mon talent pour l’écriture et je trouvais ça sympathique, mais je ne me trouvais pas meilleure qu’une autre nécessairement. Je lisais énormément à cette époque. Je pense que j’étais très complexée et impressionnée par mes lectures; je me disais que je ne pourrais jamais être écrivaine. J’avais cette idée très romancée de l’écrivain enfermé dans sa tour avec sa chandelle, sa plume et son encrier. (Rires) Ça m’a longtemps freinée. J’ai étudié en lettres au Cégep de Chicoutimi et on n’avait pas le choix d’écrire, rendu là. Tu fais un DEC [diplôme d’études collégiales] en lettres, disons que c’est pas mal ça, le but. Je me suis donc mise au travail à partir de ce moment-là et il y a des profs, dont André Girard et Hervé Bouchard, qui m’ont motivée à continuer. À un moment donné, un peu par hasard, je me suis mise à l’écriture plus sérieusement, alors que j’étais dans la vingtaine, au moment où j’ai eu des enfants. Auparavant, j’avais travaillé dans des magazines, en publicité, mais je n’avais jamais écrit pour moi. Je mettais mon talent d’écriture au service du capitalisme! (Rires) Et je le fais encore, comme j’écris dans les médias, ce qui a pour but ultime de générer des revenus. J’ai donc commencé à écrire pour moi, pour le fun, pendant que j’étais en congé de maternité, comme j’étais tannée de travailler en pub. J’ai créé un blogue qui a bien fonctionné et j’ai écrit La déesse [des mouches à feu]. Je pensais que le livre serait lu par une vingtaine de personnes, surtout mes amis et ma famille, tout au plus. Disons qu’on est loin de ça! (Rires)

Quand les gens disent que l’écriture ne laisse pas de choix, que c’est ça qui se passe, c’est tellement vrai! On ne choisit pas le moment où ça nous vient non plus. J’ai écrit plein de livres et mon deuxième roman sort le 2 novembre. C’est quand même longtemps après La déesse, mais ce n’est pas moi qui ai fait ce choix. C’est ce qui se passe.

 

Qu’est-ce qui t’a menée à l’écriture de ton roman La déesse des mouches à feu?

Je venais d’avoir un enfant, mais je n’étais pas vraiment en congé de maternité parce que quand on est travailleuse autonome, on n’arrête pas tant que ça. C’était un moment où je travaillais un peu moins parce que j’avais un bébé. Au cégep, j’avais commencé à travailler sur une histoire de père conduisant un Jeep qui fonce dans un arbre. Cette histoire était en moi depuis très longtemps. Quand j’ai commencé à l’écrire, c’est tellement sorti vite; c’était comme si je me retenais depuis des années. Je pense que j’ai écrit le roman en cinq mois. Je ne faisais que ça. C’était intense : j’étais cachée dans mon bureau avec mon petit projet!

 

Pourquoi écrire? Qu’est-ce que l’écriture te permet de réaliser?

Pour moi, les romans, c’est le seul espace de liberté que j’ai parce que personne ne se mêle de mes affaires – oui, il y a le travail éditorial, que j’adore en passant –; j’écris sans contrainte, je crée l’univers que je veux. Pour moi, c’est très important : c’est un espace que je préserve et que je veux conserver jalousement. Après ça, quand on écrit de la fiction, on a un rapport au lectorat qui est vraiment intéressant. On peut aborder plusieurs thèmes via la littérature.

Tout ce que je fais dans la vie, dans mes romans ou dans mes chroniques, c’est de raconter des histoires; qu’elles soient inventées ou vécues par des gens qui me font des témoignages. J’ai toujours le même objectif : susciter des émotions chez les gens qui lisent ces histoires et, des fois, leur donner envie de faire bouger les choses.

L’écriture médiatique, là où elle diffère de l’écriture romanesque, c’est peut-être sur le plan de l’instantanéité, le fait qu’on écrive maintenant, tout de suite, qu’on peut faire bouger des choses. Je pense que c’est aussi possible avec la littérature, mais c’est juste plus long. Les deux formes d’écriture communiquent parce que toutes les personnes qui m’ont raconté des choses et les témoignages auxquels j’ai eu accès nourrissent mon imaginaire de fiction. J’ai parlé à des personnes qui ont vécu des trucs pas possibles; ça n’arrive pas souvent dans une vie d’avoir l’occasion de parler à bâtons rompus avec une personne qui a vécu une expérience épouvantable et qu’elle raconte ça pendant 2-3 heures pendant une entrevue. Ça nourrit l’humain. Ça parle de la complexité des gens, de la façon dont on est faits comme humains. Pour moi, les deux pratiques d’écriture sont liées.

 

Quand tu penses à ton œuvre, quels sentiments t’habitent?

Plusieurs affaires me viennent, mais comme je le disais tantôt, c’est un peu surréaliste, ce qui s’est passé avec ce livre-là. J’ai écrit ça pour le plaisir en me disant « advienne que pourra », et finalement, c’est devenu un best-seller. On a fait une pièce de théâtre, puis un film, qui a été présenté à la Berlinale. On en vend encore des exemplaires et il est enseigné à la fin du secondaire et au cégep, ce qui me fait vraiment plaisir. Il y a beaucoup de jeunes qui le lisent et qui m’écrivent pour me parler de ce qu’ils ont vécu, que le livre les a fait réfléchir, qu’ils n’aiment pas la lecture habituellement, mais qu’ils ont aimé mon roman. Ils me demandent s’il y en a un autre qui s’en vient, si j’ai des auteurs à leur suggérer. Ça me touche vraiment. C’est ce qui me vient en tête quand je pense à La déesse. C’est une œuvre qui ouvre des portes; ça m’en a ouvert, mais ça en ouvre aux gens, aux jeunes qui le lisent. Je trouve ça formidable, vraiment.

 

Si tu avais à ton tour à mettre une œuvre ou un ou une artiste dans tes bagages à emporter, ce serait laquelle ou qui?

Virginie Despentes, sans équivoque. Je suis en train de lire son dernier livre, Cher connard, et j’ai lu King Kong Théorie et presque tous ses livres. Cette femme-là a une écriture très violente et j’adore ça. (Rires) Elle se permet de dire des choses terribles. Je la trouve très dure, critique par rapport à la société. Certains la qualifient de féministe radicale, mais je trouve que ça fait du bien, du radicalisme en littérature. On lit son œuvre pour ce qu’elle est; on en prend, on en laisse. Je passe toujours un bon moment avec Virginie Despentes et je trouve que c’est une autrice qui a beaucoup d’importance pour toutes sortes de raisons. Elle est en adéquation avec son époque. Elle est bad ass, elle n’a peur de rien. Quand on écrit, il faut n’avoir peur de rien. J’aime lire des livres qui ont du sang dans le corps, et Virginie Despentes, ses livres en ont vraiment.

 

Geneviève Pettersen, merci beaucoup!

 

Le roman La déesse des mouches à feu, narré par la comédienne Karelle Tremblay, est offert sur la plateforme OHdio

Ne manquez pas la prochaine émission de la cinquième saison dePour emporter, avec Julie Le Breton, ce vendredi 7 octobre à 20 h sur ICI ARTV.