Jean-Marie Lapointe : incarner la générosité
Claire-Marine Beha
28 mars 2023
Jean-Marie Lapointe est engagé sur plusieurs fronts : il œuvre tant auprès des enfants malades que des personnes souffrant de toxicomanie, de troubles alimentaires ou de déficiences, en plus d’être depuis plus de 20 ans le porte-parole du défi sportif AlterGo, destiné aux personnes vivant avec un handicap physique. En 2017, il a animé le docuréalité Face à la rue, une émission dans laquelle il allait à la rencontre de personnes en situation d’itinérance et qui a catalysé son désir d’aider les gens.
Bien qu’il connaisse le succès et la notoriété grâce à sa carrière de comédien et à ses différentes interventions médiatiques, le fils du regretté Jean Lapointe cultive son humilité et sa gratitude, et continue d’offrir son temps au milieu sociocommunautaire. Ce qu’il souhaite? Contribuer au bonheur des autres, autant que possible.
C’est pour discuter de sa générosité que Véronique Cloutier l’a invité à participer à l’émission Valeur ajoutée, diffusée sur ICI ARTV à compter du 31 mars. Comment faire preuve de bonté au quotidien? Cet homme au grand cœur s’est entretenu avec nous.
Te souviens-tu de ton premier geste de générosité?
C'est difficile de mettre le doigt sur ce qui a été l'élément déclencheur, mais récemment, je me suis rappelé un souvenir de l'école religieuse, quand j’avais 6 ou 7 ans. On mangeait dans la classe et les élèves avaient la responsabilité d’amener leur repas. Une journée, la religieuse est venue me voir et m’a demandé si j'accepterais de partager mon repas avec mon camarade Pierre. On était une vingtaine dans la classe et je me suis demandé : « Mais pourquoi moi? » Ça a été ma première réaction, assez égoïste, car j'avais très faim. Ça ne me tentait pas! Mais probablement parce que j'ai ressenti l'inconfort de la faim, je me suis dit que Pierre devait être triste et avoir mal au ventre. Ça a déclenché en moi un élan de générosité qui, finalement, l’a emporté sur ma peur de manquer de nourriture. Cette crainte de partager s’est transformée en joie de partager; j’avais contribué à faire une différence dans la journée de Pierre.
Ensuite, il faut dire que j’ai toujours été inspiré par mon père, Jean Lapointe, qui a eu un gros impact dans la vie des gens, et par ma tante Cécile, qui était religieuse. Grâce à mon père et à la Maison Jean Lapointe, j'ai pu visiter des résidents avec lui. On passait du temps avec eux. La première fois que j’ai côtoyé des personnes en situation de pauvreté, j’ai trouvé ça confrontant, comme je vivais dans une certaine abondance, mais il y avait toujours une forme de récompense, une appréciation de ce que j'avais, une prise de conscience dans la gratitude.
Crédit : Courtoisie Défi sportif AlterGo.
Tu estimes être un « passionné en quête d’équilibre ». Comment fais-tu pour combiner tes rôles d’animateur, de conférencier, de philanthrope, de bénévole, d’auteur, etc.?
La grande différence entre les travailleurs de la santé et moi, c’est qu’eux vont travailler 50, 60 heures ou plus dans la semaine, répondre constamment à des urgences et sauver des gens entre la vie et la mort, alors que quand je m'implique auprès des personnes en fin de vie, handicapées ou en souffrance, c’est à temps partiel, pendant la journée. Je ne peux pas me fatiguer; j’ai la chance d’avoir beaucoup de temps à consacrer à mes loisirs, à mon travail et à ma détente. Le fameux épuisement de compassion, c'est quand les gens éprouvent tellement de surmenage et de découragement à l’égard de la souffrance de l'autre qu’ils sont en mode survie, et c’est légitime. J’ai beaucoup de respect pour toutes ces personnes qui travaillent dans la relation d'aide, car elles ont à cœur d’améliorer la vie des êtres humains.
« J’aime et je me sens utile dans mon rôle de bénévole. Ça m’enrichit et m’ancre dans la réalité. »
Par où commencer lorsqu’on veut s’engager dans des causes sociales? As-tu des conseils?
C’est juste de le faire! Il faut se demander : À qui est-ce qu’on a envie de donner? Y a-t-il des causes qui viennent nous chercher? Et dès qu’il y a un domaine qui nous touche, il faut chercher où sont les besoins dans notre région et se lancer, regarder du côté des centres d'action bénévole et rencontrer des gens impliqués. On est toutes et tous submergés par nos vies. Il faut simplement commencer quelque part, se mettre du temps de côté pour ça, consciemment.
Si vous êtes une mère monoparentale avec plusieurs enfants à charge, ça se peut que vous ayez beaucoup moins de temps que moi. D’ailleurs, tout le temps passé à s'occuper des enfants, les amener à leurs activités, ça aussi c’est du bénévolat! Il ne faut pas sous-estimer le rôle des parents, des frères et sœurs, etc. On tient ça pour acquis, car ce sont nos proches. On a tendance à mettre les bénévoles sur un piédestal, mais donner de son temps et faire une différence peut prendre différentes formes.
Véronique Cloutier dans Valeur ajoutée.
Dans Valeur ajoutée, on te voit la larme à l'œil, ému et passionné par tes expériences communautaires. Vivre et exprimer tes émotions, ça semble important pour toi.
Tout à fait! Si vous avez regardé récemment les Oscars, vous avez eu droit à des témoignages de remerciements extrêmement touchants et émouvants; les gens pleuraient… On aime voir l'humain qui ose montrer sa vulnérabilité, qui la crie haut et fort et qui ne se cache pas. Moi, je trouve ça important d'être dans cet état-là de vérité. Il y a longtemps, j’ai compris une chose : je ne me cache pas pour rire, pourquoi devrais-je me cacher pour pleurer? Peut-être qu’on associe les larmes, les pleurs, la tristesse à des émotions de faiblesse, on n’ose pas montrer qu'on est vulnérables, mais il faut se déprogrammer, car au contraire, c'est un signe qu'on est touchés, qu'on est pleinement humains.
L’excellente Marina Orsini m'avait déjà dit : « Ce que tu n’exprimes pas, tu l'imprimes. » Je trouve ça très sain. Le psychanalyste Guy Corneau a aussi prononcé une phrase fabuleuse : « Lorsque nous mettons des mots sur les maux, lesdits maux deviennent des mots dits et cessent d'être maudits. » Je viens d'une génération où l’on a appris à mettre un bouchon sur nos émotions, mais ça laisse des traces.
« Quand on exprime ses émotions, l’étau se desserre, on s'en libère. »
Qui sont les autres personnalités qui t'inspirent par leur bonté?
Il y en a tellement! Mère Teresa, Gandhi, Nelson Mandela, le dalaï-lama, Matthieu Ricard : ce sont des personnes qui ont eu une plateforme pour exprimer leur sagesse. Yvon Deschamps aussi. Les gens ne savent pas nécessairement à quel point il a été généreux. C’est un homme qui se souvient qu'il vient d'un milieu modeste. Il a été le tout premier porte-parole du défi AlterGo, et rappelons-nous que dans les années 80, le stigma était encore plus fort pour les personnes handicapées. D’ailleurs, dans mon balado Porte-parole à Canal M, je donne la parole à des gens qui sont impliqués socialement, qui sont des porte-paroles. On découvre leurs racines et de quelle manière est né leur engagement bénévole et humanitaire.
Je suis aussi inspiré par plein de gens des milieux bénévoles, des personnes impliquées ou des personnes ayant des limitations, en situation de précarité, et ce ne sont pas des personnalités connues du grand public! J’en ai énormément, des modèles qui me montrent que la voie du cœur est une voie céleste.
Quels sont les livres qui t’ont aidé à développer ta générosité?
Plusieurs lectures ont été puissantes en termes de révélations… Mais voici quelques ouvrages marquants. Dans L’art du bonheur, le dalaï-lama exprime son point de vue sur le bonheur et rencontre aussi un psychiatre américain. C’est fabuleux de voir la rencontre entre l’Orient et l’Occident, et d’analyser à quel point les croyances sont complémentaires. Pour en nommer d’autres : Man's Search for Meaning, de Viktor E. Frankl, Plaidoyer pour l'altruisme : la force de la bienveillance, de Matthieu Ricard, Self-Compassion, de Kristin Neff, Pensouillard le hamster, de Serge Marquis, un livre que j’ai beaucoup offert, et je ne peux pas passer à côté de Eckhart Tolle et son livre culte Le pouvoir du moment présent.
À partir du 31 mars sur ICI ARTV, Patrick Huard, Anaïs Barbeau-Lavalette et d’autres personnalités invitées se confient à Véronique Cloutier dans Valeur ajoutée. La discussion avec Jean-Marie Lapointe sera diffusée le 7 avril à 21 h.