Jean–Simon Leduc – Chien de garde : La famille, malgré tout?
Caroline Bertrand
8 mars 2018
Les comédiens Jean-Simon Leduc et Théodore Pellerin dans le film Chien de garde de Sophie Dupuis.
© Babas Levrai
Vincent, un petit frère de 19 ans survolté et imprévisible, en proie à une violence incoercible. Jo, une mère alcoolique et complètement impuissante devant l’impétuosité de son benjamin. Danny, un oncle malveillant qui enchaîne ses neveux à son petit cartel de drogues de Verdun. Mel, une amoureuse perçue comme une menace aux yeux du clan. Et JP, le frère aîné, socle de la famille, qui s’échine chaque jour à la garder hors de l’eau, enlisé dans un mode de vie qu’il ne supporte plus.
Voilà le portrait du clan dysfonctionnel, voire malsain qui (sé)vit au cœur de Chien de garde, premier long métrage de la cinéaste abitibienne Sophie Dupuis, lauréate du prix du meilleur court métrage aux Rendez-vous du cinéma québécois, désormais Rendez-vous Québec Cinéma, pour son récit Faillir, en 2012.
Entouré de Théodore Pellerin, Maude Guérin et Paul Ahmarani, le comédien Jean-Simon Leduc prête ses traits — ici assombris — au protagoniste, qui flanche sous le poids des responsabilités. Coincé dans un rôle de malfrat, « collecteur » pour son oncle plus impitoyable qu’il n’y paraît, JP est confronté à ses limites, un fusil à la main. Aspirant à autre chose, et à bout du fardeau que représente sa famille, il fait face à un dilemme affligeant.
Nous avons discuté tournage, impro… et accordéon avec le comédien.
Parle-nous de la relation entre JP et Vincent.
Elle est particulière et inégale. JP joue le rôle de père, et pas juste avec son frère, mais avec toute sa famille. Puisqu’il est plus qu’un grand frère, sa relation avec Vincent est biaisée. Son amour inconditionnel de frère, ou de père, se cogne cependant à plusieurs embûches, vraiment dures à long terme sur sa patience et sur ses valeurs fondamentales — JP est plus droit, tandis que Vincent se laisse envahir par ses émotions et ses pulsions, qui ne sont pas toujours correctes. Leur famille est pleine d’amour, mais dysfonctionnelle; elle a de la difficulté à comprendre comment ça fonctionne, l’amour.
Manifestement, Vincent vit avec une maladie mentale, qui n’est jamais abordée. C’est l’amour inconditionnel qui mène JP à rester aussi longtemps auprès de sa famille.
Oui, et il se ferme les yeux sur le problème qu’aurait Vincent. S’il sombrait une fois et que JP ne prenait plus son bord, ce serait fini, Vincent n’aurait plus de repères. Au début du film, Vincent frappe un gars sans raison dans un party. JP intervient, mais, dès que le gars rétorque, il embarque dans la bataille. Puis, tranquillement, il délaissera ce monde trop dur pour lui et, par le fait même, sa famille — car ils sont liés.
« C’est un film chargé, une belle montagne russe », dit Jean-Simon Leduc au sujet de Chien de garde.
Quel a été ton plus grand défi dans ce rôle?
Mon défi, c’était de trouver pourquoi JP aime autant son frère, ce gars qui le nargue tout le temps, qui n’est jamais de son côté, qui est dur à suivre, qui est une espèce de chien fou qu’il tient en laisse et qui lui gruge de l’énergie. Même durant les impros, je me demandais pourquoi il ne le laisse pas tomber. J’ai travaillé là-dessus avec la réalisatrice et Théodore pour que le personnage de Vincent soit attachant, malgré tout. Comme le père est absent, j’ai pensé que, mon moteur, c’était ma promesse de prendre soin de mon frère et de ma mère, malgré tout.
Quand tu joues des scènes très émotives, comme dans Chien de garde, puises-tu dans ton vécu ou incarnes-tu la douleur?
Je me fie à la situation que je joue; je n’irai pas chercher un vieux souvenir de grand-mère décédée. Il y a des trucs techniques, comme prononcer les mots plus lentement et être conscient de la situation. Si je me projette dans un souvenir, je me déconnecte. Alors, je m’ancre dans le moment et, surtout, à mon partenaire. Quand on se regarde dans les yeux et qu’on vit intensément une scène, ce n’est pas long que l’émotion monte. Dans Chien de garde, j’ai eu la chance de donner la réplique à de super bons comédiens : Maude Guérin est hallucinante, et Théodore est un prodige.
Tu as mentionné de l’impro. Est-ce que ç’a fait partie de votre préparation?
Sophie a beaucoup misé sur le jeu. Avant le tournage, on a énormément répété et improvisé. On improvisait même dans la rue. Ç’a été un processus important pour tisser des liens et pour approfondir non seulement notre texte, mais nos personnages. On a aussi improvisé sur le plateau durant nos mises en place. On se fiait au texte, mais on avait totalement le droit d’ajouter des mots béquilles et de se laisser aller. Sophie voulait juste qu’on sente que cette famille est vraie.
« L’oncle va demander à JP de faire quelque chose qui dépasse ses limites, et là tout se met à dégringoler », raconte la cinéaste Sophie Dupuis.
On apprend de chaque expérience. Qu’as-tu tiré de ce tournage?
Sans avoir tiré une leçon, j’ai passé un super bon temps. J’ai été choyé de vivre un tournage aussi axé sur le jeu. Les mises en place pouvaient prendre une demi-heure; on prenait le temps de définir la scène avant de tourner. On avait carte blanche pour proposer ce qu’on voulait.
Sophie semble vraiment faire confiance à ses comédiens.
Oui, et pas juste à ses comédiens, à toute l’équipe technique. Elle est une excellente capitaine qui fait confiance à son équipage et aux spécialités de chacun. Parce qu’elle sait expliquer très clairement sa vision, chaque pro lui donne ce qu’elle veut. Que ce soit avec les costumes, les décors ou le jeu, elle accorde beaucoup de liberté. Quand on s’attache à nos personnages, on crée une seconde couche en récitant notre texte. Et Sophie la laisse jaillir.
Quelle scène préfères-tu?
Celle dans le corridor lorsque Vincent n’accepte pas que sa mère ait de la peine. Il l’étrangle presque, il perd le contrôle. On voit bien qu’il ne comprend pas les codes. Maude s’écroule et ne dit rien, le souffle coupé. À la fin, elle pose quand même sa main sur la tête de Vincent, en pardon. La scène est tellement forte et chargée. La première fois que je l’ai vue, je ne respirais plus, j’étais bloqué. Une grande scène.
« C’est l’histoire d’une famille qui s’aime, mais qui ne sait pas vivre ensemble, en harmonie », décrit Théodore Pellerin, l’interprète de Vincent.
Tu es aussi accordéoniste. Comment allies-tu jeu et musique?
La musique a un peu pris le bord. Avant, c’était mon métier : j’avais un groupe, une carte d’affaires, je jouais dans les mariages, lors d’événements, dans la rue, dans le métro. Puisque le jeu prend de plus en plus de place, j’ai moins le temps de pratiquer, et progresser. Il aurait fallu que je suive des cours et que je me donne plus pour passer au prochain niveau… et je n’en ai pas l’énergie. Je ressens moins l’appel. Mais ça reste une corde de plus à mon arc. J’aime encore en jouer. L’accordéon est aussi un instrument assez restreint dans le style — il y a la polka, la valse et quelques autres trucs —, contrairement à la guitare, avec laquelle on peut autant jouer du jazz que du rock.
La guitare de Baz dans Etau pire, on se mariera a d’ailleurs été troquée contre ton accordéon.
Léa Pool a vu une vidéo de moi qui en jouait devant le métro Mont-Royal et a voulu l’intégrer à la place de la guitare — sur une chanson rock de Xavier Caféïne, en plus. J’ai essayé de l’adapter en la « gossant » chez nous, et ç’a passé au conseil.
Quelles sont tes sources d’inspiration?
Je suis toujours à l’écoute, jamais figé dans quelque chose. Mes inspirations changent souvent; j’ai des coups de cœur pour des réalisateurs, des films, des personnes. Je m’inspire plus du monde que des artistes. Je tripe sur le monde, je suis incapable de rester tout seul chez moi. Dans le métro et dans la rue, je n’écoute pas de musique : j’observe et j’écoute. J’aime beaucoup les gens.
Quel rôle aimerais-tu camper un jour?
Je me laisse porter, sans rien lancer de précis dans l’univers, mais c’est sûr qu’un acteur aime se transformer, proposer quelque chose qui est loin de lui. Je dois aussi avouer que je suis un peu geek de médiéval, alors ça pourrait être vraiment le fun de jouer dans un truc d’époque, surtout pour le trip esthétique. J’assouvirais mon côté geek.
Chien de garde sort en salle le 9 mars.
« Les films qui dépeignent un univers social difficile peuvent tomber soit dans le pathos ou le cliché. Là, je vois quelque chose de réel », explique l’interprète de Danny, Paul Ahmarani.
Des films québécois qui l’ont marqué ces dernières années
Tu dors Nicole, de Stéphane Lafleur, 2014 : « J’adore ce réalisateur. Il fait une poésie du quotidien, vraie et belle, qui n’est pas surlignée. Je n’ai pas de mots pour dire comme j’admire son univers. Le film En terrains connus était aussi tellement beau. »
All You Can Eat Buddha, de Ian Lagarde, 2017 : « Un gros coup de cœur, c’est éclaté. Il a été tourné à Cuba avec les moyens du bord. Ça fait du bien de voir du cinéma aussi audacieux au Québec. »
Les faux tatouages, de Pascal Plante, 2018 : « Le réalisateur capte une vérité avec de beaux plans-séquences. Les comédiens sont vraiment bons. Pascal Plante s’est aussi payé un trip musical : les comédiens jouent deux chansons complètes à la guitare dans le film. C’est super mignon; on sent qu’ils viennent d’apprendre la guitare et qu’ils sont un peu maladroits. C’est ce qui est beau, ces petites erreurs empreintes de vérité. »
Jean-Simon Leduc en quatre films
Maudite poutine, de Karl Lemieux 2017
Martin Dubreuil et Jean-Simon Leduc © Funfilm distribution
Etau pire, on se mariera, de Léa Pool, 2017
Sophie Nélisse et Jean-Simon Leduc © K-Films Amérique
Le goût du Vietnam, court métrage de Pier-Luc Latulippe, 2017
Jean-Simon Leduc et Victoria Diamond © La Distributrice de films
L’amour au temps de la guerre civile, de Rodrigue Jean, 2014
Alexandre Landry et Jean-Simon Leduc © Les Films du 3 mars