Jeraume : l'art inspiré par les meubles et la musique

Jeraume : l'art inspiré par les meubles et la musique
Crédit photo : Quentin Andrup + l'œuvre «N'en parlons plus» de Jeraume.

23 mars 2023

Son art s’inspire des objets et des espaces que nous habitons. Rencontre avec Jeraume, artiste visuel et créateur compulsif qui s’exprime par le dessin au crayon de bois et sublime le mobilier.

 

Vous avez été attiré par les arts appliqués dès votre jeune âge. Racontez-moi un souvenir de jeunesse qui a eu une influence sur votre parcours artistique.

Je dois mentionner que je ne viens pas d’une famille très artistique. Mis à part mon père, qui jouait de la musique et qui griffonnait nos portraits, j’étais pas mal le seul à me situer dans cette sphère. Par contre, ma mamie, celle qui nous gardait lorsque nous étions jeunes et à qui je disais absolument tout, est probablement celle qui a créé un déclic dans ma tête. Sans être une artiste, elle sortait toujours les crayons de bois et me donnait de petits conseils, par exemple : faire de petits ronds pour ne pas dépasser les lignes noires de mes cahiers à colorier.

J’ai traîné mon propre cahier à dessins partout où j’allais. Je me rappelle dessiner mes personnages préférés (comme les Looney Tunes), faire le portrait de ma mamie ou des environnements qui m’entouraient... Je me souviens aussi que personne n'avait le droit de le feuilleter! Évidemment, à cet âge-là, je n’avais pas conscience que je pourrais devenir artiste visuel, mais c’est à cette époque-là que j’ai commencé à développer mon intérêt pour la création en général.


Deux oeuvres de l'artiste Jeraume.
Crédit : Habitat 67, Maisons d'édition Paperole + That summer feeling de Jeraume.

Parlez-moi de votre démarche artistique et de votre processus créatif. 

La direction artistique que je prends lorsque je commence une œuvre est toujours différente chaque fois. La photo est assurément la première étape. Je prends presque toujours mon ou mes sujets (mobilier, objets, etc.) et les environnements en photo pour me servir de supports visuels. J’y choisis donc tous les éléments que je veux retrouver dans mon dessin, comme les perspectives, le cadrage, les ombres, etc.

Le gribouillage et les croquis sont très rares dans ma pratique. J’aime lorsque l'œuvre n’est dessinée qu’une seule fois. Elles sont donc, en général, finales et « au propre » dès le premier coup de crayon. Les couleurs sont simplement une question de feeling et d’envie, mais elles varient selon la texture et la teinte du papier.

Pour terminer, la musique fait partie intégrante de ma pratique. Toutes mes œuvres ont été dessinées avec une trame sonore. La musique dicte directement le chemin de ma création ainsi que le titre de mes œuvres. C’est aussi une façon pour moi de comprendre plus facilement comment je me sens devant le travail que je viens de faire et d’associer un sentiment à un visuel.

 

À ce propos, quels sont les interprètes en musique qui façonnent le plus votre création?

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, Pink Floyd a toujours joué à la maison. Je suis un très grand adepte de musique rock expérimentale, indépendante, post-punk et new wave. Dans mon atelier, on entend jouer Brian Eno, The Cure, Talking Heads, Sonic Youth, John Cale, Felt, Brighter, Ween, etc. Sinon, l’album Anxious Avoidant, de Sophia Bel, me ramène directement lorsque j’avais 15 ans. Un chef-d’œuvre du début à la fin! Un beau mélange de pop-punk et d’emo du début des années 2000. Il joue présentement en boucle à la maison!

Oeuvre de Jeraume.
Crédit : Canapé de Jeraume.

Oeuvre de Jeraume.
Crédit : Oeuvre tirée de l'exposition Contextes, Le Livart, 2021.

Les meubles deviennent de véritables personnages dans votre art. Comment est né cet amour pour le mobilier?

J’ai commencé à m’intéresser au mobilier lorsque j’ai quitté le nid familial, à 18 ans. J’ai compris à ce moment-là que, oui, il me fallait des meubles, mais que je pouvais les choisir et en faire le décor que je voulais. Évoqué de cette façon, ça peut avoir l’air naïf, mais j’ai rapidement compris qu’être bien entouré (de mes meubles) était une façon pour moi de m’exprimer, mais aussi de me sentir bien, tout simplement.

Il s’en est suivi une passion et une obsession pour les chaises, qui, d’une manière ou d’une autre, sont très importantes dans notre quotidien, que ce soit pour leur esthétisme ou pour leur utilité. Ma première chaise d’exception a été une Wassily de Marcel Breuer, que j’ai trouvée il y a plusieurs années dans une friperie pour une poignée de dollars. À cette époque-là, je ne connaissais pas les designers emblématiques ni la valeur de leurs créations.

 

Le crayon de bois et de plomb est votre outil de création par excellence. Pourquoi?

J’ai exploré différents matériaux au fil des années, et effectivement, les crayons de bois de couleur (et de plomb) sont sans contredit mes outils de création par excellence. J’aime que l’on puisse créer et aboutir à différents résultats avec eux.

Lorsque j’utilise un papier très texturé avec des crayons de bois très gras, cela donne l’impression que mon œuvre a été créée avec des pastels gras ou des crayons de cire, ce qui me donne l’effet de couleurs très saturées, tandis que lorsque j’utilise une mine plus sèche et dure, je peux venir créer un dessin beaucoup plus complexe et plus précis.

Oeuvre de Jeraume.
Crédit : Wassily de Jeraume.

Affiches pour les Francouvertes, étiquettes pour le Café Pista, cartes de souhaits et portraits... Parlez-moi de l'une de ces collaborations qui vous ont inspiré.

L’une des collaborations qui me touchent beaucoup est sans aucun doute celle avec Monopole et Café Pista. J’ai un attachement particulier à ce café puisque j’y ai travaillé pendant plusieurs années. C’est là que j’ai tout appris du métier de barista (salut Max!). De voir ce que j’ai créé en collaboration avec Monopole, collé sur un sac du Café Pista, c’est le meilleur feeling! Surtout que c’est le meilleur café de Montréal… ha! ha! 

 

Quels artistes affectionnez-vous particulièrement?

Joey Yu, illustratrice établie à Londres, m’a toujours fasciné. Nos univers sont vraiment différents, mais j’adore la façon dont elle conçoit ses dessins. Elle crée principalement selon des situations et des environnements du quotidien. Ses perspectives exagérées et les couleurs qu’elle utilise me parlent chaque fois. Sinon, j’aime beaucoup les traits de crayon de l’artiste Audrey Beaulé. Iel me renverse à chaque œuvre! Tellement de créativité dans ce cerveau. 

 

Parlez-moi de l'un de vos coups de cœur culturels marquants.

C’est peut-être cocasse, mais je n’ai probablement pas le choix de mentionner les catalogues Ikea! Depuis l’arrivée du premier magasin dans les années 80 au Québec, ces catalogues font partie de notre quotidien. Feuilleter ces pages remplies d’idées m’inspire beaucoup. Après avoir revu certaines de ces archives depuis les années 50, il est fascinant de voir l’évolution au fil du temps. Les couleurs, les formes, les motifs, les aménagements dans l’espace, la simplicité, le chaos…

Oeuvre de Jeraume.
Crédit : Présences de Jeraume.

Décrivez-moi l’importance du lieu où vous habitez, celui où vous créez.

Mon atelier est mon repère. Il s’est transformé au fil des années, mais depuis l’achat de ma maison, j’ai la chance d’avoir mon espace réservé dans le sous-sol. Les murs sont tapissés d'œuvres d’art, de trouvailles et d’objets. J’aime avoir le sentiment d’être enveloppé par autant de couleurs et de belles choses. C’est assurément tout ça ensemble qui me donne les meilleures idées en fin de compte.

 

Quels sont les projets qui sommeillent dans la tête de Jeraume?

J’aimerais beaucoup avoir la chance de faire une exposition solo dans une galerie d’art. J’ai beaucoup accumulé durant les derniers mois et années, et je serais fier de montrer au public mes dernières créations, qui vont du collage de dessins au tapis en passant par le dessin, évidemment.

Sinon, des collaborations! J’adore pouvoir unir différentes têtes pour créer quelque chose. C’est motivant, c’est toujours différent et ça me « challenge »! Il y a toujours une partie de moi qui sait que ça me sort de ma zone de confort. Mais, en fin de compte, j’en suis toujours tellement fier. Justement, je suis en train de préparer quelque chose avec un architecte et artiste visuel italien, Emilio Mossa

Oeuvre de Jeraume.
Crédit : Situations de Jeraume.

Quel serait l’un de vos projets de création les plus fous?

J’aimerais m’investir plus dans l’industrie de la musique. Comme je suis un vrai mélomane, faire des pochettes d’albums, des collaborations avec des artistes musicaux ou du visuel pour des spectacles et festivals serait décidément une voie que j’aimerais prendre.

Sinon, j’aimerais énormément créer un livre qui rassemblerait tout ce que j’ai fait depuis 2014 : des croquis, des inédits, mes fiertés et des expériences. Un beau livre de table rigide rempli de belles images!

 

Quel est votre meilleur conseil à donner à un ou une jeune artiste en devenir?

De faire à ta tête. Tes idées sont les meilleures. Ne te sens jamais pris dans le syndrome d’imposture, explore et persévère!

 

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