Jeter l'encre : Mikella Nicol
Claudia Larochelle
13 mars 2018
Première de quatre entrevues avec des nouvelles voix de la littérature d'ici, menée par Claudia Larochelle.
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J’ai découvert Mikella Nicol avec ses fabuleuses Filles bleues de l’été en 2014, titre de la première cuvée de la maison d’édition Le Cheval d’août, qui depuis donne à lire des perles marquantes. Avec son sourire de Joconde, son regard timide duquel émane une force de caractère étonnante, cette recrue littéraire a confirmé sa voix lucide et singulière l’an dernier avec Aphélie.
Voici ses réponses à mon questionnaire qui convoque sincérité et authenticité.
Claudia Larochelle : Tu as signé deux romans qui sont à mon avis sublimes et mélancoliques dans lesquels il y a un je-ne-sais-quoi de Virginia Woolf, Sylvia Plath… Jusqu’à quel point leur imaginaire a-t-il inspiré ta propre voix naissante ?
Mikella : Ces deux auteures sont importantes pour moi, pour mon imaginaire. Mon éditrice m'a d'ailleurs donné un cierge à l'effigie de Plath pour mon nouvel appartement... Les soucis domestiques, l'emprise qu'a la vie quotidienne sur une femme, l'institution du couple hétérosexuel: ce sont des thèmes que ces écrivaines partagent mais exploitent de façon extrêmement différentes. Elles avaient un désir acharné de s'inscrire dans le paysage littéraire de leur époque, ce que je respecte beaucoup, car ça n'a pas toujours été aussi simple, pour une femme.
Les filles bleues de l'été, premier roman de Mikella Nicol, publié en 2014 chez Le Cheval d'Août.
Claudia : Au Québec – peut-être ailleurs aussi – on éclaire beaucoup les jeunes humoristes et acteurs. On les voit dans toutes les émissions, on leur voue une sorte de culte. Pourquoi crois-tu que les jeunes auteurs, eux, n’occupent pas le même espace médiatique, alors qu’à mon avis, ils sont tout aussi intéressants, souvent plus…
Mikella : Il y a certainement un côté people aux métiers d'acteur et d'humoriste. Ces gens-là se servent entre autres de leur présence physique pour performer. Nous, on écrit, et j'aime bien l'idée que je puisse disparaître un peu derrière ce que je fais. Ce n'est pas un choix innocent que de s'exprimer sur papier, en silence si on veut. Même si j'aime bien aller défendre mes opinions et mon travail publiquement, j'ai une personnalité plus effacée, peut-être moins « vendeuse » médiatiquement, et ça me va ainsi. J'imagine que je ne suis pas la seule, dans ce métier.
Claudia : Ton père, Patrick Nicol, est lui-même écrivain, sincèrement, c’est un plus ou un moins ? Est-ce que ça t’énerve qu’on y fasse référence quand on s’adresse à toi ?
Mikella : Heureusement que j'ai une bonne relation avec lui, parce qu'on m'en parle beaucoup! Haha. De prétendre que grandir dans un milieu éveillé à l'intellectualité et à la culture est un moins serait faux. C'est une chance. Que les gens me parlent de lui ne me dérange pas outre mesure, puisque de toute façon il y a peu de rapprochements à faire entre nos écrits.
Claudia : Comment faire en sorte que des romans considérés comme « littéraires » puissent rejoindre plus de monde encore ?
Mikella : Les libraires! Je prêche pour ma paroisse, étant moi-même libraire, mais se sont eux qui font découvrir au lecteur. Il faut être attentif à ce qui se trouve sur les tables de présentation, chez le libraire...
De plus, ils ont la chance de parler directement à celui ou celle qui fréquente la librairie. Ils conseillent leurs coups de coeur à partir de leur propre compréhension des oeuvres, leur propre sensibilité. C'est ainsi qu'on amène les gens hors de leur zone de confort.
Claudia : Le mouvement #moiaussi influencera-t-il la manière d’écrire des auteurs, ta façon à toi ?
Mikella : Je l'espère un peu. Même si je ne revendique pas que le politique ou le militantisme soit nécessairement appliqué à la fiction, ce genre de prise de conscience collective doit forcément influencer les gens, les artistes. Ce que #moiaussi a fait, entre autres, c'est forcer les hommes à se mettre dans la peau des femmes. Pour moi, qui lit presque juste des femmes, j'ai souvent grincé des dents en me plongeant dans des livres écrits par des auteurs masculins, surtout en raison des scènes de sexualité, de viol ou encore en raison du manque de profondeur des personnages féminins. J'observe un manque de sensibilité, pour lequel je n'ai plus de patience. C'est le genre de lacunes qui pourraient être amoindries, peut-être, avec des mouvements comme #moiaussi.
Claudia : Trouves-tu que dans les médias les femmes qui écrivent sont traitées de manière différente des hommes ?
Mikella : C'est une question difficile, mais elle m'intéresse, car j'ai souvent eu l'impression que oui. Mais je ne peux pas le jurer, puisque c'est souvent de façon indirecte ou insidieuse. J'ai eu l'impression à plusieurs reprises que l'on mettait l'accent sur mon apparence physique lors d'entrevues. J'ai aussi détecté un certain désir exacerbé de relier ma vie avec mon œuvre.
Ce qui m'a surtout frappée récemment, c'est la différence de compréhension de mes livres chez les femmes et chez les hommes critiques/journalistes. Chez les femmes, on a ressenti surtout la violence et le vide existentiel, la sensation des protagonistes d'être perdues, de ne pas trouver une place satisfaisante dans notre société, tandis que les hommes (je ne veux pas généraliser non plus) ont plutôt parlé de romans d'amour. C'est fascinant.
Aphélie, deuxième roman de Mikella Nicol, publié en 2017 chez Le Cheval d'Août.
Claudia : Crains-tu la critique ?
Mikella : Oui. Pas de façon maladive, mais j'y suis sensible. C'est normal de l'être; si on croit en notre projet, on veut que les autres y croient aussi. J'espère continuer de l'être. Ça voudrait dire que ce que je fais me tient encore à coeur.
Claudia : Complète la phrase : Gagner des prix littéraires, ça ne change pas le monde sauf que…
Mikella : Sauf que le jour où ils seront plus décernés aux femmes, on pourra dire que le monde a un peu changé.
Mikella Nicol (© Gaëlle Graton)