La courte échelle : 40 ans de littérature jeunesse
Caroline Bertrand
1 mai 2018
La série Jiji et Pichou de Ginette Anfousse © Ginette Anfousse/Groupe d’édition la courte échelle
Une fillette curieuse à lulus coiffée d’un large chapeau rouge et son bébé-tamanoir-mangeur-de-fourmis-pour-vrai, ça vous rappelle des souvenirs? La série Jiji et Pichou, qui voit le jour en 1976 sous la plume de Ginette Anfousse, marque les débuts de La courte échelle, maison d’édition québécoise fondée en mai 1978 par l’écrivain Bertrand Gauthier. Cette dernière a éveillé une passion de la littérature chez une myriade de jeunes lecteurs, friands d’histoires rocambolesques.
Gauthier met d’abord sur pied les éditions le Tamanoir — qui deviennent en 1978 La courte échelle —, la toute première maison d’édition québécoise à se spécialiser en littérature jeunesse. Elle écoule des dizaines de milliers d’exemplaires de la collection Jiji et Pichou.
Aux côtés des éditions Paulines, Pierre Tisseyre et Héritage, La courte échelle compte parmi les pionnières de l’industrie. Le troisième volume de l’ouvrage Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe siècle, publié chez Fides, décrit La courte échelle en ces termes : « Dès sa création, l’éditeur offre des albums humoristiques, novateurs et de facture postmoderne, proches des courants esthétiques californiens. »
« Mettre le Québec à l’heure du monde » : tel est le mandat de Gauthier, influencé par la vitalité de la littérature jeunesse en Europe. Il offre donc une vitrine aux œuvres originales d’auteurs d’ici qui savent s’adresser à leur lectorat, des tout-petits aux adolescents. Comment oublier le fond blanc ligné évoquant un cahier scolaire des petits livres de la collection Premier Roman? Et les écoliers de tous âges suivent avec avidité les aventures de jeunes héros et héroïnes intrépides, déclinées en plusieurs tomes.
© Dominique Demers/Louise Leblanc/Groupe d’édition la courte échelle
Les péripéties de Soazig et celles des tandems Catherine et Stéphanie, et Andréa-Maria et Arthur pendant les années 80 et 90 sont inoubliables — tant de camarades fictifs surgis respectivement de l’imaginaire des prolifiques auteures Chrystine Brouillet et Sonia Sarfati, pour ensuite investir celui des enfants.
© Sonia Sarfati/Chrystine Brouillet/Groupe d’édition la courte échelle
« La courte échelle a été l’une des premières à mettre en scène dans ses livres des jeunes en action, à utiliser un français impeccable, mais parlé, afin que les jeunes s’y reconnaissent », déclare France Desmarais, directrice générale de Communication-Jeunesse, un OBNL qui promeut la littérature jeunesse au Québec, au Devoir en 2014. « La maison a parti le bal du petit roman, ce mini-roman ou roman-miroir, en petits chapitres aérés, où un jeune narrateur parle au “je”. »
Autre preuve de la popularité de la maison d’édition : Les Aventures de La courte échelle, adaptation télévisée des romans jeunesse de Chrystine Brouillet, Denis Côté, Bertrand Gauthier, Jean-Marie Poupart et Jacques Savoie. Diffusée en 1996 et en 1997 à Radio-Canada et à Télé-Québec, elle nous présente notamment dans le rôle de Stéphanie, l’indéfectible complice de Catherine, une toute jeune Noémie Yelle.
Toujours à la page
L’imposant catalogue engendre d’immenses succès de la littérature jeunesse, tels que Venir au monde de Marie-France Hébert, Hou Ilva de Marie-Louise Gay, Lelong silence de Sylvie Desrosiers et Comme une peau de chagrin de Sonia Sarfati. C’est sans compter d’autres séries aux protagonistes cultes, comme les Rosalie de Ginette Anfousse, Ani Croche et Zunik de Bertrand Gauthier et autres Maxime de Denis Côté. Des succès qui transcendent les décennies, ces livres trouvant encore aujourd’hui une place de choix dans les librairies, les salles de classe et les bibliothèques de la province.
© Sylvie Desrosiers/Denis Côté/Ginette Anfousse/Groupe d’édition la courte échelle
En 2000, la maison se retrouve sous la gouverne d’Hélène Derome, Louise Mongeau et Martine Bénard, qui remanient les maquettes graphiques et proposent de nouvelles collections, dont l’une de poésie destinée aux ados. La courte échelle s’enrichit aussi d’une collection de romans pour adultes. Nombre de livres récoltent prix et distinctions, tout en touchant le cœur d’un large bassin de jeunes lecteurs. Trente ans après sa fondation, La courte échelle a vendu près de 10 millions de livres.
Le sauvetage
À l’automne 2014, une bombe éclate dans le milieu littéraire : La courte échelle déclare faillite, croulant sous une dette faramineuse. Heureusement, les entrepreneurs Raymond Talbot, ex-propriétaire des librairies Champigny, et sa fille Mariève Talbot, ancienne directrice de l’organisme Lis avec moi, rachètent la prestigieuse maison en décembre et rescapent ainsi du naufrage un fleuron québécois de la littérature jeunesse.
La courte échelle n’est plus, vive le Groupe d’édition la courte échelle! Les nouveaux propriétaires restructurent l’entité, qui se composent désormais de quatre divisions répondant chacune à un créneau distinct : la courte échelle, destinée à un public jeunesse; La mèche, espace de création hors-norme; Parfum d’encre, consacrée aux livres pratiques; et À l’étage, le catalogue adulte.
Riche de plus de 700 titres actifs, la maison peut être fière de stimuler depuis maintenant 40 ans l’imaginaire des enfants et des ados avec des romans de grande qualité. Naguère comme aujourd’hui, il peut suffire d’un petit livre pour attiser la grande flamme de la littérature.
Quelques œuvres phares
Ophélie de Charlotte Gingras Les trois lieues de Sylvie Desrosiers
Pavel de Mathieu Simard Victor Cordi d’Annie Bacon
Léon d’Annie Groovie La clé à molette d’Élise Gravel
Devant ma maison de Marianne Dubuc