Série insolite – De l’art au milieu de nulle part
Claire-Marine Beha
11 août 2023
Pour donner vie à leurs œuvres monumentales, conscientiser les foules à l’urgence climatique ou encore tirer profit de paysages époustouflants, des artistes conçoivent des installations au milieu de nulle part. Voici quelques exemples se trouvant en pleine nature qui nous prouvent que l’art n’a pas juste sa place dans les musées.
Prada Marfa, de Elmgreen & Dragset
Crédit : Mobilus In Mobili
Un magasin Prada au beau milieu du désert de Chihuahua, au Texas? Eh non, il s’agit d’une installation artistique créée par le duo Elmgreen & Dragset en 2005. Située à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Marfa, cette fausse boutique qui semble abandonnée a de quoi étonner. En effet, de véritables accessoires de la luxueuse marque se trouvent à l’intérieur, bien qu’il soit impossible de les acheter.
Même si l'œuvre se situe le long d’une route assez isolée, le lieu est devenu mythique, et un grand nombre de touristes et d’adeptes d’art contemporain viennent désormais la contempler. Au départ, les deux artistes désiraient que leur boutique-sculpture tombe en ruine au fil des années, y voyant alors une critique de la société de consommation. Mais autant les nombreux actes de vandalisme que la popularité du lieu ont conduit le duo à poser des caméras et à en faire une installation permanente, désormais maintenue en état.
Sun Tunnels, de Nancy Holt
Figure incontournable du land art, un mouvement artistique qui utilise la nature comme lieu d'exposition et comme matériau, l’artiste Nancy Holt a conçu l'œuvre monumentale Sun Tunnels entre 1973 et 1976. Perdues en plein cœur du désert du Grand Bassin, en Utah, quatre sculptures cylindriques en béton sont orientées de manière à ce que les levers et couchers de soleil en période de solstice soient visibles dans l’axe des buses. Des trous sont également visibles sur les structures : ils représentent diverses constellations.
Malgré son éloignement des zones urbaines, l'œuvre devenue culte fait l’objet de nombreuses visites d'amateurs et d’amatrices d’art et a dû être restaurée à quelques reprises. Pour sa créatrice, décédée en 2014, il s'agissait d’une installation destinée à interroger la perception et l’espace, et à faire apprécier au public le vaste espace du désert à une échelle humaine. Il est en effet possible d’entrer à l’intérieur des grands cylindres.
Élégie pour l'Arctique, de Ludovico Einaudi
En 2016, le pianiste italien Ludovico Einaudi relève le défi insolite de jouer sur la banquise, au Svalbard, un archipel de l'océan Arctique. À l’occasion d’une campagne de l’organisme Greenpeace pour la protection de l’Arctique, le célèbre virtuose a interprété une musique composée spécialement pour ce concert hors du commun, intitulée Elégie pour l'Arctique.
Bien que les effets du réchauffement climatique continuent de s'accentuer dans cette région du monde, cette action artistique aura eu le mérite d’attirer l’attention sur les menaces que représentent les industries polluantes pour les milieux polaires. Pendant que le musicien joue du piano sur une plateforme au milieu de l’eau, devant le glacier de Wahlenbergbreen, on peut entendre les craquements de la glace, le bruit du vent et les clapotis de l’eau… Frissons garantis!
Les spomeniks
Si certains se trouvent dans des villes, la plupart des spomeniks (« spomenik » signifie « monument » en serbe et en slovène) se trouvent dans des lieux peu fréquentés des pays d’Europe de l’Est, en plein milieu d’une forêt ou dans une zone rurale reculée. Ces monuments hétéroclites ont été érigés sur les territoires de l’ex-Yougoslavie par centaines entre les années 1950 et les années 1990 sous le régime communiste.
Toutes différentes, ces sculptures atypiques de béton se démarquent par leur design brutaliste, parfois même futuriste, et sont désormais devenues un attrait touristique. Plusieurs cartes tentent de les répertorier à travers les Balkans, et de nombreuses structures sont présentes en Bosnie-Herzégovine, en Slovénie, en Serbie et en Croatie. En raison des nombreux conflits sociopolitiques ayant éclaté entre les pays de l’ex-Yougoslavie, ces sculptures peuvent avoir différentes significations et portées idéologiques selon le contexte de leur création.
Our Glacial Perspectives, d’Olafur Eliasson
Crédit : Oskar Da Riz
Il faut chausser de bons souliers de randonnée pour se rendre jusqu’à cette sculpture, nichée au sommet du glacier Hochjoch-Ferner, dans les Alpes italiennes. Installée en 2020 par l’artiste danois Olafur Eliasson, celle-ci ressemble à un immense instrument astronomique constitué d’un grand anneau sphérique transparent et bleu qui suit le mouvement du soleil. Il est d’ailleurs possible d’entrer dans cet étonnant observatoire et de profiter de la vue à couper le souffle.
Cette œuvre, intitulée Our Glacial Perspectives, fait écho à l’art et à la science. Elle a pour but de sensibiliser les gens à la crise environnementale, qui touche directement le massif où elle se trouve, puisque sa température s'accroît à un rythme alarmant. Pour son créateur, cette sculpture est un moyen de rendre tangible le réchauffement de la planète.
Les sculptures sous-marines de Jason deCaires Taylor
Si vous souffrez de thalassophobie, la peur des fonds marins, ces sculptures sous-marines risquent de vous faire frissonner. C’est au fond des océans, parfois à plusieurs dizaines de mètres de la surface, que l’artiste britannique Jason deCaires Taylor déploie ses œuvres, faites de matériaux non polluants. Celles-ci sont peu à peu recouvertes de coraux et de mousses, puisqu’elles sont destinées à faire pleinement partie des paysages marins, au milieu de la faune et de la flore aquatiques.
On trouve le travail du sculpteur un peu partout à travers le monde : dans les Caraïbes, au Maroc, en Indonésie et en Norvège, mais aussi au Mexique, où il a fondé le Musée subaquatique d'art de Cancún en 2010. Ce n’est pas un hasard si certaines de ces installations font penser à la légendaire civilisation engloutie d’Atlantide, puisque la mythologie est l’une de ses inspirations. L’artiste, qui a submergé plus de 1100 sculptures dans les mers et océans, a également indiqué à plusieurs reprises que son travail puisait ses racines dans la fragilité des écosystèmes sous-marins et l’urgence climatique.
Desert Breath, de Danae Stratou
Plusieurs artistes ont utilisé le désert comme toile de fond. Parmi les œuvres monumentales de land art les plus spectaculaires, il est difficile de ne pas mentionner Desert Breath, de la sculptrice Danae Stratou, en collaboration avec la designer Alexandra Stratou et l'architecte Stella Constantinides. Le trio féminin a mis deux ans à concevoir cette installation qui évoque le passage du temps et qui s’étend sur 360 m de long et 300 m de large au cœur du paysage aride du Sahara, à une vingtaine de kilomètres de la ville égyptienne de Hurghada.
Achevé en 1997, cet ensemble de cônes de sable et de trous dans le sol formant une spirale à l’allure mystique est condamné à disparaître sous l’effet de l’érosion et des vents, mais elle est toujours visible. Le centre de cette œuvre géométrique était autrefois un lac, désormais évaporé. L’installation artistique est impressionnante vue de haut, mais elle crée également son effet lorsque le public brave la chaleur écrasante pour se promener dans ses grands chemins en forme de spirale.
À bientôt pour un autre billet de la série insolite!