Le temps d'une paix : nostalgie, quand tu nous tiens!

20 août 2018


Joseph-Arthur et Rose-Anna dans l'émission Le temps d'une paix

ICI ARTV regorge d’émissions au goût du jour. Pourtant, c’est Le temps d’une paix, un téléroman des années 1980, qui attire chaque semaine le plus de téléspectateurs à l’antenne. Près de quarante ans plus tard, pourquoi cette œuvre télévisuelle a-t-elle toujours autant la cote?

Christiane Lahaie, directrice du Département de lettres et de communication de l’Université de Sherbrooke (UdeS), a étudié cette dramatique au cours de la dernière décennie. « La popularité actuelle du Temps d’une paix ne me surprend pas. », dit-elle. Selon la professeure, le caractère divertissant, instructif, mais aussi réconfortant de l’émission, qui faisait d’elle un succès autrefois, a tout pour plaire encore aujourd’hui.

Bien évidemment, ce feuilleton a été filmé à une époque où la haute définition relevait de la science-fiction. La direction photo assez rudimentaire jumelée au jeu d’acteur plutôt théâtral, quoiqu’excellent, rebutera possiblement les amateurs de séries américaines, fourmillant de plans rapprochés et de scènes d’action.

Ceci étant dit, Le temps d’une paix, avec sa trame narrative didactique et progressiste, demeure une émission attirante pour un public fervent d’histoire. « Le scénariste avait un souci véritablement pédagogique. », mentionne Christiane Lahaie. Sans être un documentaire, la série témoigne de plusieurs faits historiques du Québec.


Les personnages de l'émission Le temps d'une paix

Selon Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’UQAM et théoricien de la télévision québécoise, ce téléroman reste l’un des meilleurs produits par Radio-Canada. Il souligne au passage la justesse des comédiens et l’intelligence de la plume de Pierre Gauvreau. Prenant place  dans la région de Charlevoix pendant l’entre-deux-guerres, Le temps d’une paix met en scène quatre familles : les Saint-Cyr, les Fournier, les Desrosiers et les Lavoie. Pendant six saisons, on s’incruste dans leur vie en milieu rural, transformée par l’arrivée de l’industrialisation et teintée de drames familiaux.

Pour la directrice du Département de lettres et de communication de l’UdeS, le caractère très moderne de ce feuilleton fait de lui un chef-d’œuvre télévisuel au Québec. Plusieurs personnages, dont ceux de Rose-Anna et de Ti-Coune, manifestent une ouverture d’esprit peu commune à cette période.


Nicole Leblanc interprète Rose-Anna dans l'émission Le temps d'une paix

« Rose-Anne représente l’image parfaite d’une femme courageuse et autonome. Veuve, elle refuse de se marier à Joseph-Arthur, non pas par fidélité envers son défunt mari, mais plutôt par désir d’indépendance. », souligne-t-elle. De son côté, Ti-Coune, malgré son handicap mental, n’incarne à aucun moment un poids pour son entourage, ajoute-t-elle.

 Le passé pour se réconforter

L’ingéniosité de cette oeuvre écrite par Pierre Gauvreau suscite certainement l’intérêt de téléspectateurs d’âges variés aujourd’hui. Par contre, ceux qui ont suivi Le temps d’une paix dans les années 1980 constituent le public le plus fidèle à cette émission. « Je crois que les personnes d’un certain âge ne se retrouvent pas tellement dans la télévision actuelle. », avance le codirecteur du laboratoire de recherche sur la culture de grande consommation et la culture médiatique du Québec, Pierre Barrette.

D’après lui, les grilles horaires des chaînes télévisées ciblent principalement les gens âgés entre 25 et 55 ans. Les sexagénaires et suivants seraient donc de grands oubliés du petit écran, alors qu’ils constituent environ 20 % de la population de la province.

Pour eux, retrouver de vieux amours télévisuels, qui leur ressemblent, amènerait un fort sentiment de réconfort. « Écouter Le temps d’une paix donne l’illusion qu’on est figé dans le temps et cela est très rassurant. C’est sécurisant de se dire que les choses ne changent pas. », remarque Christiane Lahaie.


Monique Aubry et Nicole Leblanc interprètent respectivement Mémère Bouchard ainsi que Rose-Anna

La popularité des émissions des années 1980 révèle assurément la fibre nostalgique chez les téléspectateurs québécois. Aux yeux de Katharina Niemeyer, professeure à la Faculté de communication de l’UQAM et spécialiste des questions relatives à la nostalgie, le fait de revoir des émissions du passé procure effectivement un certain plaisir.  « Cela peut même permettre à l’individu de mieux gérer et d’affronter l’accélération sociale. » Dans une ère où tout se développe très rapidement, se lier au passé serait un anxiolytique.

La nostalgie au petit écran

Dans les décennies à venir, le professeur Pierre Barrette prévoit un retour grandissant de la nostalgie au petit écran. « Étant donné que la télévision a fait son entrée dans les foyers au cours des années 1950, nous serons [les 50-60 ans] les premiers qui auront véritablement grandi avec la télévision. »

Selon lui, la génération appelée silencieuse a davantage de souvenirs liés au cinéma et à la musique, contrairement à ceux des baby-boomers, par exemple, qui sont davantage liés aux médias. « Nous [les 50-60 ans] sommes très marqués par la télévision. Nos souvenirs sont médiés par elle. La plupart d’entre-nous se rappellerons plus des émissions de notre enfance que de nos échanges avec des membres de notre famille. », avance-t-il.

Dans 20 ans, Les Bougon seront-ils de retour en ondes? Seul l'avenir le dira. D'ici-là, les paris sont lancés!