Le théâtre anglo-montréalais est bel et bien québécois
Philippe Couture
3 octobre 2017
Le soir de la première de la version anglaise de la comédie musicale Belles-Soeurs, l'auteur Michel Tremblay et le compositeur Daniel Bélanger saluent le public en compagnie des actrices.
Les artistes du théâtre en anglais sont-ils de vrais Québécois? Le metteur en scène anglomontréalais Guy Sprung, un artiste très établi, posait cette question dans Le Devoir le 12 septembre dernier et agitait un vif mais vieux débat. Or, en 2017, il est absolument temps de faire tomber les barrières.
Souvenir de 2013. Au Festival du Jamais Lu, sur la scène des Écuries, des acteurs anglophones et francophones lisaient la pièce The Weight, une création bilingue d’Emmanuel Schwartz et Benoît Drouin-Germain. Très montréalais, mais racontant aussi un monde de plus en plus pluraliste, ce texte osait représenter la vraie diversité linguistique et culturelle de la ville.
C'était beau à voir. Un public assez jeune, affranchi des vieilles luttes et des vieux complexes linguistiques, en était ressorti ravi et stimulé, se disant que le théâtre québécois arrivait enfin à sa maturité transculturelle, se montrant apte à explorer la richesse de la cohabitation des peuples et des identités.
Les acteurs Matthew Raudsepp et Marylin Castonguay lors de la lecture publique de la pièce bilingue The Weight, au Festival du Jamais Lu le 8 mai 2013 / Crédit David Ospina
Pour le milieu du théâtre, c’était une modeste initiative de réconciliation, parmi d’autres, entre les mondes francophones et anglophones. On y percevait le début d’un riche dialogue et d’une possible fréquentation accrue. Peut-être la fin d’un demi-siècle de cloisonnement.
Car dans la jeune histoire de notre théâtre, les deux communautés se sont peu rencontrées. Les francophones ont beaucoup valorisé un théâtre d’affirmation du fait français et du joual, nécessairement exclusif. Les anglophones ont souffert de leur statut de minorité et de nombreuses difficultés à promouvoir leur travail dans les cercles francophones.
Le début d'un temps nouveau
Le metteur en scène Guy Sprung / © Robert J Galbraith
Comme le dit Guy Sprung dans son éloquente lettre, ce monde binaire dans lequel le francophone devait s’affirmer contre son menaçant voisin anglophone, n’existe plus.
Nous sommes encore, écrit-il, vus comme « les Anglos », une appellation que beaucoup d’entre nous rejettent avec acharnement, qui fait référence à l’ancienne classe dominante anglo-saxonne protestante de Westmount, plutôt qu’à la réalité d’aujourd’hui.
Certes, le déclin du français à Montréal est préoccupant. Le théâtre francophone va continuer, parfois, d’affirmer des préoccupations identitaires à cet égard. Mais à l’image de cette pièce, The Weight, qui avait réjoui les festivaliers du Jamais Lu en 2013, la situation d’isolement entre les deux communautés théâtrales est tranquillement en train de s’atténuer.
Quelques premiers pas
Voici quelques initiatives qui pourraient calmer les inquiétudes de Guy Sprung. Et que tous devraient suivre de près cette année.
Le théâtre La Licorne, d’ailleurs très épris de théâtre anglo-saxon, poursuit l’aventure des surtitres anglais certains soirs, histoire d’accueillir un public anglophone en ses murs et de créer des ponts. Ce mois-ci, la pièce Des arbres, mettant en vedette Sophie Cadieux et Maxime Denommée, sera surtitrée le 12 octobre prochain. Et si le Centaur ou le Segal Centre faisaient pareil ?
Le festival Fringe et le Théâtre Main Line, champions de la création d’événements théâtraux bilingues où se côtoient de jeunes acteurs francophones et anglophones, proposent cette année une extension de leur mythique festival. Le Fringe Encore se déroule du 4 au 7 octobre et, comme d’habitude, ne se soucie pas de la barrière des langues.
Cet été, des productions québécoises francophones ont été jouées en anglais par leurs créateurs et leurs acteurs d’origine au festival d’Edimbourg : une tentative de percer un marché anglophone, mais aussi de créer des ponts avec le Canada anglais (les pièces étaient de la programmation du Canada Hub). Les acteurs québécois n’hésitent plus à jouer en anglais et à considérer l’altérité anglophone comme étant un public naturel. Ce mouvement ira certainement en grandissant.
Mais il y a encore du chemin à faire, notamment dans les médias, comme le souligne Guy Sprung, et aussi dans les théâtres institutionnels comme le TNM ou Duceppe. De ce côté-là, toutefois, gardons l’oeil ouvert : les nouveaux codirecteurs artistiques de Duceppe, David Laurin et Jean-Simon Traversy, sont des anglophiles qui n’hésiteront probablement pas à collaborer avec des Anglo-Montréalais sur certains projets.
Petit à petit, petit train va loin.