Les filles de Caleb : Faites des enfants, qu'ils disaient!

<i>Les filles de Caleb</i> : Faites des enfants, qu'ils disaient!
Photo prise pendant le tournage du 7e épisode/ Crédit : Attraction images

19 décembre 2022

« J’ai tourné neuf scènes d’accouchement et huit scènes d’enterrement dans Les filles de Caleb », lance le réalisateur Jean Beaudin, qui a dû trouver des manières créatives d’illustrer ces événements marquants au petit écran.

On se souvient effectivement d’une série accouchements interminables et douloureux. Il y a d’abord celui de Félicité Pronovost, qui perd un bébé et manque d’y laisser sa vie à l’épisode 7, puis ceux d’Émilie, qui accouche souvent seule, notamment lors de la séquence inoubliable où elle donne naissance à Blanche au milieu d’une tempête de neige.

Anecdote de tournage : la neige était faite de petits morceaux de patates, plus écologiques que du carton ou du plastique. 

Au risque de vous décevoir, la vraie Émilie n’a pas donné naissance à Blanche dans un banc de neige, mais elle a survécu à 10 accouchements laborieux, dont certains qui ont duré trois jours. La petite Rose a manqué d’air à la naissance et Louisa n’a vécu que trois mois.

Même si les familles étaient encore nombreuses à l’époque d’Émilie Bordeleau, on estime que les femmes nées en 1867 avaient en moyenne 4,8 enfants, alors que leurs mères en avaient 7,8. (Source : L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles)


La véritable Émilie Bordeleau et ses filles Marie-Ange, Jeanne, Rose et Rolande. C'est Blanche qui a pris la photo./ Crédit : Gracieuseté de Nathalie Jean, La vraie histoire d'Émilie Bordeleau

De l’acte naturel à la maison à l’accouchement médicalisé

Mettre un enfant au monde au début du 20e siècle était une affaire de femmes qui s’appuyaient sur leur réseau d’entraide. Malgré un mouvement de médicalisation de l’accouchement à partir de la fin du 19e siècle, surtout en ville, la majorité des accouchements avaient encore lieu à la maison, avec l’aide d’une sage-femme.

Le manque de médecin en campagne et les tarifs de ces derniers faisaient en sorte qu’on les appelait généralement en dernier recours. De plus, puisque les interventions comportaient de grands risques d’hémorragie et d’infections, le médecin était souvent tout aussi impuissant que la sage-femme.

Ajoutez à ceci le rigorisme moral de l’Église, qui préconisait l’accouchement des femmes dans la douleur et qui s’opposait aux nouvelles techniques d’anesthésie pour les accouchements difficiles.


Infirmières, berceaux et tables roulantes pour bébés au Montreal Maternity Hospital, 1925-1926 / Crédit : Photo de Blackburns, un don de Miss Caroline Barrett, Musée McCord

En fait, il faudra attendre les années 30 pour voir de réels progrès en obstétrique. Travaillant d’abord en collaboration avec les sages-femmes, les médecins les ont peu à peu « tassées » des salles d’accouchement. À partir des années 1950, l’hôpital est devenu le lieu d’accouchement privilégié : l’amélioration de l’hygiène, les antibiotiques, les sulfamides et les transfusions sanguines contribueront à diminuer drastiquement les risques de mortalité des mères et des bébés.


Salle d'accouchement au Montreal Maternity Hospital, Montréal, 1925-1926 / Crédit : Photo de Blackburns, un don de Miss Caroline Barrett, Musée McCord

Survivre à sa première année

Étonnamment, il valait tout de même mieux mettre un enfant au monde en campagne qu’en ville au début du 20e siècle. On estime qu’à Montréal, un enfant sur quatre mourait avant d'avoir 1 an. Outre les maladies infectieuses, telles que la diphtérie, la scarlatine et la rougeole, qui faisaient des ravages, le lait et l’eau contaminée empoisonnaient un grand nombre de nouveau-nés.

Grâce aux campagnes de sensibilisation à l’allaitement et aux initiatives telles que les « Gouttes de lait », qui distribuaient du lait de qualité gratuitement, ainsi que l’amélioration constante de l’hygiène et des soins offerts aux mères et aux nourrissons, le taux de mortalité infantile est passé de 274,7 sur 1000 naissances au début du siècle à 19,9 cas pour 1000 naissances à la fin des années 1960. Le taux actuel au Québec se situe à 4,3 sur 1000 naissances (Source : Institut de la statistique du Québec).


Chariot de livraison no 36 de la Guaranteed Pure Milk Compagny à Montréal, vers 1910 / Crédit : Don de la Guaranteed Pure Milk Co, Musée McCord