Rencontre littéraire Pour emporter avec Louis-Philippe Hébert

Rencontre littéraire Pour emporter avec Louis-Philippe Hébert
photo Johanne Dorion

14 décembre 2021

L’auteur lauréat du Prix du Gouverneur général en 2015, pour Marie Réparatrice, est un touche-à-tout prolifique. Allant de la radio à la télévision en passant par l’édition ou l’informatique, il considère que la théorie et la fiction ne sont pas compartimentées, mais qu’elles se fécondent mutuellement. Partons à la découverte d’un éternel enfant amoureux de la science et à l’imaginaire débordant.

 

Comment la variété de formes entre lesquelles vous avez navigué a-t-elle transformé vos écrits?

J’ai toujours cru qu’un écrivain peut écrire n’importe quoi, mais pas n’importe comment. Pour moi, un écrivain complet peut écrire de la poésie, mais aussi du théâtre, du roman et de la nouvelle, et je n’arrive pas à comprendre (et c’est très personnel) que quelqu’un se limite ou soit limité à une forme en particulier et ne puisse pas en sortir. 

J’ai remarqué que souvent les écrivains contemporains écrivent le même livre plusieurs fois. Il y a des avantages : on peut peaufiner et trouver de nouvelles manières d’écrire sur un sujet (et je ne dénigre pas l’approche), mais pour moi, cela me fait penser à l’usine. Quelqu’un refait toujours le même produit à la chaîne, alors que dans mon esprit, le travail d’écriture est un travail de laboratoire. Ce qui m’intéresse, c’est de découvrir ce que je vais écrire dans quelques heures, quelques minutes ou quelques jours et non pas ce que j’ai déjà écrit.

Dans ma vie personnelle, j’ai fait beaucoup de choses. J’ai travaillé dans les médias, j’ai eu une société d’informatique, j’ai toujours plus ou moins été éditeur dans ma propre maison (Les Éditions de La Grenouillère) ou dans la maison des autres. J’essaie d’être le plus polyvalent possible, car pour moi, ce qui est intéressant dans la vie, c’est d’avoir des expériences différentes et non pas de répéter les mêmes choses. Peut-être que finalement, on n’écrit jamais que le même livre, mais j’essaie vraiment de faire des livres différents!

 

Comment les nouveaux médias ont-ils influencé votre écriture?

J’ai eu cette intuition que l’informatique pouvait nous éclairer sur les processus de création et même nous servir d’aide à l’écriture. À l’époque, on parlait beaucoup de structuralisme, du nouveau roman. Les gens s’intéressaient à la littérature, non pas d’une manière émotive ou émotionnelle, mais d’une manière plus « scientifique ». Donc, l’ordinateur m’apparaissait comme l’outil scientifique par excellence pour travailler l’écriture et ça s’est avéré avec le temps. Je lisais dernièrement qu’on a réussi à synthétiser le style de Proust!

À l’été 1980, j’ai lu un texte au château de Cerisy-la-Salle, en Normandie, lors d’une conférence qui s’intitulait La mécanisation de l’écriture. Mon texte annonçait trois choses : 

  1. L’arrivée de nouveaux outils d’écriture (traitement de texte, etc.). 

  2. La possibilité d’améliorer le travail de l’écrivain et d’ouvrir des portes nouvelles, des champs de connaissances qui normalement demanderaient des déplacements en bibliothèques, etc. 

  3. La transformation du style d’un écrivain en données, en algorithme, qui permettrait de l’immortaliser. 

À cette époque-là, on percevait l’informatique comme un danger public. 

Quelqu’un comme Gaston Miron disait : « Je n’en veux pas [de traitement de texte], je n’ai pas besoin de ça, parce que mes textes n’ont pas besoin d’être traités, ils ne sont pas malades.  

Puis, ces idées ont fini par s’imposer…
 

Que vous permet la forme du roman-poème?

Comme dans toutes les expériences que l’on fait, il y a quelque chose de volontaire et d’involontaire. Du côté du volontaire, il y a dans l’écriture poétique une façon de faire des raccourcis qu’on ne retrouve pas dans l’écriture en prose. C’est un gros avantage. La prose permet de décrire des choses un peu objectivement, de l’extérieur, tandis que la poésie, elle, permet de donner plusieurs dimensions, un peu comme un kaléidoscope. 

Le problème avec la poésie, c’est que très souvent les poètes ne parlent que d’eux, ils épuisent le sujet et cela peut devenir agaçant. Qui a dit que le « je » est haïssable? On hait quelqu’un qui dit tout le temps « je ».

Le type du roman-poème permet d’incarner d’autres personnages. Dans mon œuvre Marie Réparatrice, l’histoire est racontée au « je » par une petite fille de 8 ans. On est dans la fantaisie de l’enfant. Alors que dans l'œuvre Le view master, c’est une vieille dame d’environ 90 ans, dans un asile, qui raconte l’histoire. On est dans un monde de confusion, d’alzheimer et de souvenirs très pointus qui reviennent. 

Au fond, je suis un partisan de l’éclatement des formes!

 

Après tout ça, que souhaitez-vous explorer à nouveau?

Présentement, je travaille sur un roman qui me déconcerte, parce que c’est un roman sur la pluralité des univers. C’est une personne qui, enfant, a fait l’expérience de la mort. Dans ce roman, la mort apprend au personnage principal que le temps n’existe pas et qu’il y a une pluralité d’univers, dont aucun ne disparaît jamais. 

Le monde dont il est question comprend beaucoup d’univers qui se côtoient, se frappent, se cognent et se répercutent les uns contre les autres. Le personnage a toujours dans les poches de son pantalon un certain nombre de billes. Chacune représente un univers potentiel. Lorsqu’il arrive dans une impasse, il a recours à une de ses billes... 

 

Comment avez-vous vécu la pandémie?

Le 13 mars 2020 sortait un de mes recueils de nouvelles qui s’appelleEssai clinique au laboratoire Donadieu. Dans la première nouvelle, il est question d’essais cliniques pour découvrir un vaccin contre la peur. Aussi, la dernière nouvelle s’appelle Le virus de la fatigue. Les gens y tombent endormis un peu partout dans la ville. C’est très dangereux, car le virus s’empare de tout le monde. Le recueil a été lancé le 13 mars, le jour où l’on a annoncé le confinement au Québec!

À ce titre, je pense que l’écrivain qui est vraiment à l’écoute peut jusqu’à un certain point déduire ce que sera l’avenir. 

En 1976, j’ai sorti le recueil La manufacture des machines, où un village entier est isolé et dominé par des machines. Il y a par exemple un appareil optique qui permettait à tout le monde de surveiller ce que tout le monde faisait. Ça ressemble beaucoup à Facebook!

L’écriture, c’est toujours une façon de sortir du « je ». L’enfant sort du « je », dans le jeu. L’écrivain est dans le même ordre d’idées. Il sort de lui-même en mettant en scène un « je » qui lui permet de sortir de qui il est, et en même temps d’être lui-même, car il est ce jeu.

Ce n’est pas « ”je” est un autre », c’est ”je” est un jeu !

 

À la manière de Rainer Maria Rilke, quel secret d’écrivain donneriez-vous à un jeune auteur ou à une jeune autrice?

De n’écouter personne! C’est paradoxal, car j’ai donné des ateliers d’écriture et j’ai enseigné l’écriture à l’université, mais personne ne sait écrire. Il n’y a rien d’arrêté. D’ailleurs, c’est ça qui est merveilleux! Personne ne sait vraiment comment faire, sauf celle ou celui qui essaie. Et même quand on le fait, on n’est jamais sûr que l’on a réussi. Je disais tout le temps : « Nommez-moi quelqu’un qui est sûr de son génie et je donnerai son nom à un âne! »
 

Êtes-vous plutôt adepte de plans ou d’improvisation?

Les deux! Ce n’est pas une manufacture, on n’est pas là pour faire des objets et les produire en quantité industrielle, mais j’ai quand même une volonté de structurer les choses, donc les deux sont essentiels. Vous seriez surprise de voir à quel point mes plans peuvent paraître improvisés et mes improvisations peuvent sembler structurées!
 

Quels sont les auteurs et autrices de la relève québécoise à découvrir?

Je ne fais pas la distinction entre les auteurs dits de la relève et les auteurs accomplis. Je trouve mon plaisir chez les uns comme chez les autres. De plus, je lis beaucoup et je ne voudrais pas être injuste… Présentement, il y a plusieurs courants et c’est difficile de savoir lesquels vont rester. Il y a des poètes, comme Paul-Chanel Malenfant, qui sont absolument extraordinaires. Ils nous amènent dans des endroits où l’on ne penserait jamais aller. Et c’est cela que l’on exige de la littérature. D’ailleurs, je pense que c’est vrai pour la littérature, mais aussi pour l’écriture.

 

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