Petite histoire de maison d’édition : La Peuplade
Caroline Bertrand
27 avril 2018
Simon Philippe Turcot et Mylène Bouchard, cofondateurs de la maison d'édition La Peuplade
© Sophie Gagnon-Bergeron
La genèse
En 2006, Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot, ensemble en affaires comme dans la vie, s’installent dans un village au Lac-Saint-Jean, où ils ont racheté la maison d’enfance de Mylène. « Si on déménageait en région, on s’est dit qu’on fondait notre propre entreprise », se rappelle Simon Philippe, directeur général de La Peuplade. Après une bonne année de réflexions, ils optent pour une maison d’édition, mus par leurs réseaux et leurs passions. Ils élaborent leur plan d’affaires, et La Peuplade voit le jour. « Fonder une maison d’édition hors des grands centres urbains et en étant si jeunes, ce n’est pas si facile », fait remarquer Simon Philippe.
Bien que les deux partenaires écrivent, ils ne visent nullement à se publier. Férus d’arts visuels et entourés de créateurs, ils souhaitent plutôt créer un espace de création, de production et de diffusion pour leurs futurs collaborateurs, composés tant d’auteurs que d’artistes visuels.
« On a voulu envoyer le signal que notre projet n’était pas de nature régionaliste. »
– Simon Philippe Turcot, directeur général de La Peuplade
Ils lancent La Peuplade en grand au célèbre restaurant Le Pied de cochon à Montréal, où les reçoivent des amis. « C’était une façon de montrer dès le départ qu’on souhaitait prendre notre place, et ce, à l’échelle nationale, même en vivant en campagne », explique Simon Philippe. À leurs débuts — période plus « artisanale » —, ils financent chaque projet grâce aux recettes du précédent. Ils rencontrent sans tarder des libraires de toute la province et enchaînent les événements partout au Québec : lectures dans des cafés, en librairie, tournées…
« L’organisation d’événements, c’était dans l’ADN de notre projet, raconte Simon Philippe. Avant de fonder La Peuplade, on orchestrait déjà les Jeudis littéraires, un événement qu’on a tenu surtout en région, à Tadoussac et à l’île d’Orléans entre autres, mais également à Montréal et à Québec. »
Découvrez le catalogue de La Peuplade
Le métier qui rentre
Progressivement, le couple fait ses armes. « On a appris le métier jusqu’à un certain point sur le tas, sachant que ni l’un ni l’autre ne provenait du milieu de l’édition. Les premières années nous ont servi à apprendre », estime le cofondateur. Rapidement, Mylène et lui affûtent leur expertise, s’attirent la confiance de collaborateurs et publient d’excellents textes — chaque livre de leur catalogue constitue d’ailleurs un coup de cœur. Après les quelques années initiatiques, des institutions soutiennent leur croissance en leur offrant des subventions.
« Comme l’on reçoit des projets par centaines, l’œuvre doit être un coup de cœur pour qu’on aille de l’avant. »
– Simon Philippe Turcot, directeur général de La Peuplade
En 2013, La Peuplade revoit son image de marque, des couvertures au logo, avec Julie Espinasse de l’atelier de conception graphique Mille Mille — refonte qui donne une impulsion nouvelle à la maison. Les cofondateurs instaurent peu de temps après un programme de traduction avec le Canada anglais. En 2016 éclot Fictions du Nord, une collection de textes issus de pays nordiques, traduits en français; Homo sapienne, la première œuvre littéraire à sortir du Groenland, est du lot. Ce roman bouleversant sur l’identité, écrit par la jeune inuite Niviaq Korneliussen, âgée de 24 ans au moment de la parution, voyage maintenant par-delà les frontières.
Propulsée au fil du temps par certains titres, la maison a pris de l’expansion et occupe aujourd’hui une place qui lui est propre au sein du panorama littéraire québécois. L’équipe de La Peuplade se réjouit d’avoir déménagé ses pénates l’an passé dans un nouveau bureau, toujours à Chicoutimi, doté à l’avant d’un espace public.
Mylène et Simon Philippe, respectivement aux commandes de l’édition et du développement de la maison, sont entourés de l’éditeur Paul Kawczak, qui travaille de concert avec la directrice littéraire, et de Stéfanie Tremblay, responsable des communications, qui appuie davantage Simon. C’est sans compter leur équipe de pigistes à Paris, qui compte deux attachées de presse et un relationniste libraire.
Virage européen
« On a tout récemment emprunté le virage de la diffusion française avec beaucoup d’enthousiasme, déclare Simon Philippe. C’est un gros pas en avant. Et ça se passe très, très bien. »
Après deux années d’efforts, Simon Philippe a finalement conclu en mars dernier une entente de diffusion et de distribution avec la France — un jalon important dans l’histoire de La Peuplade.
La maison aspire en effet à des carrières d’envergure internationale pour ses auteurs de langue française. « Un peu comme on l’a fait pour Christian Guay-Poliquin, l’auteur du roman Poids de la neige, paru en 2016, poursuit le directeur général. Il a gagné plusieurs prix, mais on l’a emmené sur la scène internationale en vendant des droits de traduction dans pas moins de 10 pays. Ce secteur nous attire particulièrement. »
La maison envoie ainsi des délégations d’auteurs québécois en France, en Belgique et en Suisse afin d’y renforcer leur place sur le marché européen. Elle souhaite en outre étendre son programme de ventes de droits de traduction à l’étranger — un autre projet de première importance. « On a Fictions du Nord, mais on s’intéresse aussi à d’autres territoires », indique le cofondateur, qui approfondira assurément ce projet avec ses complices au cours des prochaines années.
Boîte à projets
« La Peuplade, c’est vraiment une boîte à projets », lance Simon Philippe Turcot. La preuve, cette idée — en plus de toutes les autres — de balado conçu devant public dans leur bureau, à l’automne prochain. Certes, il ferait rayonner leurs livres, mais il viserait avant tout à sonder des thématiques et des sujets reliés à la littérature. Bref, les cofondateurs, la tête foisonnante de projets, ne manquent pas de travail. Ils ont brillamment remporté leur pari.