Marc-Antoine Lemire : Tourner son premier long-métrage au temps de la COVID-19

Marc-Antoine Lemire : Tourner son premier long-métrage au temps de la COVID-19

Les trois dernières années ont été charnières pour le jeune réalisateur Marc-Antoine Lemire alors que son court-métrage Pre-Drink l’a révélé au grand jour en remportant de nombreux prix internationaux, notamment ceux du meilleur court-métrage canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF) ainsi qu’au Gala Québec-cinéma. Jusqu’à récemment, il était en pleine production de son tout premier long-métrage qui devait se terminer cet été. Il a également obtenu du financement pour un autre court-métrage qu’il devait tourner en juillet prochain. Malheureusement, COVID oblige, les tournages furent interrompus. Comment vit-il la situation? ICI ARTV lui a posé la question.
 


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Marc-Antoine, comment vis-tu toute cette situation?
Marc-Antoine : Sérieux, en ce moment, il se passe tellement rien, je capote! (Rires) J’ai eu du financement pour deux films cet été. Je devais faire un court-métrage en juillet. Je ne pense pas que ça va se faire… À moins que quelque chose d’incroyable se passe, je pense que ça ne se passera pas. C’est un court-métrage avec beaucoup trop de monde. Pour que ça puisse se faire, Il faudrait que la SODEC nous donne des délais qui nous permettraient de le faire l’an prochain. Mais avec la situation actuelle, je ne sais pas si on va être capable de le faire cette année.

 

La plus grande partie de votre long-métrage est déjà tournée?
Marc-Antoine : Oui, j’ai tourné la plus grosse partie de mon long-métrage. C’était un film que je voulais aborder avec très très peu de moyens. Nous avions le financement de Téléfilm Canada, mais c’est assez dérisoire. À l’heure actuelle, les deux tiers du film sont tournés. Il manque une dernière partie à tourner que j’avais reportée au début de l’été, donc maintenant. J’étais en recherche de locations et en casting. Et avec tout ça, tout est à l’eau. Plus de rencontres de casting, plus de recherches de locations. Donc si, admettons, que demain la machine peut repartir, il y a tellement de retard dans tout que je ne serais pas prêt!

 

As-tu une petite idée du moment où il pourra enfin sortir?
Marc-Antoine : Mon long-métrage, c’est certain qu’il va sortir à un moment donné. Il ne reste qu’à savoir quand. Mais quand la machine va repartir, tout le monde va se garrocher sur l’équipement et sur les techniciennes et techniciens. Et les petits projets seront assurément les derniers à repartir parce qu’on dépend des ententes avec des compagnies de location. Au bout du compte, ça va faire deux mois que l’industrie n’a pas travaillé et ça va être difficile d’attirer des pigistes à venir travailler sur un petit film sans budget.

 

Et comment tu vis ça personnellement?
Marc-Antoine : Je fais beaucoup de casse-têtes. (rires) Non, mais sérieusement, ça va quand même bien! Je fais aussi de la production, donc ça m’a permis de me mettre à jour sur toutes les affaires plus plates. Maintenant, je peux dire que tout est vraiment à jour! C’est assez rare que ça arrive. Ça m’a quand même pris du temps à trouver mon beat de confinement parce que ce qui est plate avec le cinéma c’est que c’est un art qui n’est vraiment pas spontané. Il y a tellement d’interventions et c’est tellement d’étapes. Tu ne peux pas vraiment le faire seul.

 

Peux-tu nous dire en primeur de quoi va parler ton nouveau film?
Marc-Antoine : C’est sur fond de rupture amoureuse. Ça parle de solitude, de lâcher prise, d’essayer d’arrêter de tout contrôler et que pour avancer, il faut accepter les choses telles qu’elles le sont.

 

Pre-drink, le court-métrage à la longue histoire

 

Le court-métrage Pre-drink, paru en 2017, a connu un immense succès en festivals et a reçu de nombreux prix tant au Canada qu’à l’international. Il a notamment remporté les prestigieux prix du meilleur court-métrage canadien du Festival international du film de Toronto (TIFF) et l’Iris du meilleur court-métrage au gala Québec-cinéma en 2018.

D’une durée de 23 minutes, le film nous transporte dans la chambre d’Alexe, une jeune femme trans, qui boit quelques verres en compagnie de son meilleur ami Carl, un homme gai, juste avant de quitter pour une soirée entre amis. Ce soir-là, ils décident de coucher ensemble pour la première fois. Leur amitié se voit confrontée à un sentiment inattendu.

 

Le court-métrage Pre-drink, de Marc-Antoine Lemire, Midi la nuit, 2017. 


L’intention du réalisateur était d’abord et avant tout de faire un film sur l’amitié. Loin de lui l’idée de vouloir faire un film sur la transidentité, même s’il savait qu’en choisissant que son personnage principal serait une femme trans, il devait aborder la question avec authenticité et respect : « J’avais envie de parler du sentiment de solitude, du désir. Je me suis mis à réfléchir à ce personnage-là, de la femme qu’elle veut être, son rapport au désir et du regard des autres sur soi. J’ai été interpellé par cette espèce de sentiment là, de ne pas avoir l’impression d’être désirable ou d’être semi-désirable », explique le réalisateur.

 

« Pour moi, c’est quand même un film qui pourrait se passer entre deux personnages hétérosexuels. C’est évident que dans le cas de ce film, ça rajoute des couches. J’avais envie de faire un film d’abord et avant tout sur l’amitié et de l’ambiguïté qu’il peut y avoir entre l’amour et l’amitié, la ligne très très fragile qu’il y a entre les deux. »
- Marc-Antoine Lemire

 

L’actrice principale, Pascale Drévillon, a fait partie du projet depuis les premières étapes, mais d’abord en tant que guide. Désirant livrer un scénario authentique en abordant une situation qu’il ne vivait pas de près, il était devenu impératif de faire valider certains points par une personne trans. L’actrice est l'une des premières personnes à avoir lu le scénario. Au bout du compte, elle est restée jusqu’à la fin, même si elle n’était pas de prime abord son premier choix pour le rôle : « Au départ ce n’était pas du tout dans un objectif de casting. On s’est rencontrés, on s’est super bien entendus, on est restés en contact. Lorsqu’est venu le temps du casting, on lui a fait passer des auditions comme à toutes les autres filles. Au départ, ce n’était même pas tant elle qui était dans notre radar parce qu’elle est extrêmement différente du personnage. Et encore maintenant, quand je regarde Pre-drink et que je regarde Pascale dans la vraie vie, elle est totalement différente. Donc c’est vraiment un personnage de composition. »

 

 

Tourner un film sans budget : un luxe?
 

Bien que Pre-drink a obtenu du financement après le tournage, le réalisateur estime que le fait de pouvoir financer un court-métrage sans budget peut être un luxe. En effet, les contraintes liées au financement et aux boites de production peuvent devenir des enjeux créatifs importants: « On a tourné quatre jours et c’est un luxe. Si on avait eu de l’argent, il aurait fallu couper ça en deux ou trois jours, comme c’est assez simple, c’est un seul lieu. C’était très important pour moi qu’on prenne notre temps, qu’on fasse de petites journées pas longues pour ne pas nous épuiser. Nous étions 5 sur le plateau. Super intimiste. Je voulais que ça soit vraiment relax et qu’on fasse une scène en avant-midi, une scène en après-midi. Je voulais que les acteurs soient dans un mood très détendu. » 

 

« Avec un peu d’argent, par exemple le long-métrage que je suis en train de réaliser présentement, j’ai eu 125 000$ de Téléfilm Canada, qui est comme un budget de court-métrage. C’est ce que ça a couté Pre-drink, avec les salaires et tout. Et pour mon long, ça vient avec des responsabilités financières, des assurances, des syndicats… Dès que t’as un peu d’argent, ça vient avec des responsabilités bureaucratiques qui sont vraiment vraiment lourdes. Et au final, avec un budget, ça peut finir par te coûter plus cher! » 
- Marc-Antoine Lemire

 

 

Métier : réalisateur

 

Marc-Antoine, comment le cinéma est entré dans ta vie?
Marc-Antoine : Ma famille n’était pas très cinéphile. Jusqu’à très tard, le cinéma c’était, pour moi des blockbusters américains ou des comédies, parce que c’est ce qu’on regardait dans ma famille. Même que je me souviens qu’ado, jeune ado, je n’aimais pas ben ben ça les films. Ça ne me parlait pas vraiment. J’étais plus dans le théâtre à ce moment-là. Mais à un moment donné, j’ai découvert Tim Burton par le théâtre. On a fait Edward aux mains d’argent. Je trouvais que Tim Burton était vraiment bon pour bâtir un pont entre le cinéma populaire et le cinéma d’auteur. Quand il y a eu Big Fish, j’ai capoté. J’avais alors compris l’importance de raconter des histoires et de l’impact que ça pouvait avoir sur les gens. C’est donc après beaucoup d’hésitation que je me suis enligné dans le programme de cinéma au Cégep St-Laurent.

 

As-tu toujours visé la réalisation?
Marc-Antoine : On dirait que je pense qu’un peu comme tout le monde qui vont là-dedans, c’est ça que je voulais faire. Mais quand tu creuses plus précisément, les gens ont tendance à se spécialiser. Dans mon cas, la réalisation est toujours restée. Mais je savais que c’était un métier qui était difficile. Quand je suis entré à l’UQAM, je me suis dit que je ferais des décors si ça ne marchait pas. Mais, pendant mon bac, j’ai perfectionné ma réalisation et je me suis rendu compte que j’étais quand même bon. Quand tu fais quelque chose dans laquelle tu te sens à ta place, c’est super valorisant. Ça aide aussi que j’aie une passion pour les films de sous-sols. Les propositions dépouillées avec peu d’argent. Autant j’ai aimé le côté magique et grandiose des films de Tim  Burton, autant je me rends compte que plus ma sensibilité se développe, plus je tripe  sur les films simples qui mettent de l’avant les personnages, des films comme Fish Tank, par exemple.

 

Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton métier?
Marc-Antoine : Je pense que j’aime beaucoup beaucoup de choses, mais étant donné qu’en tant que réalisateur, on est un peu le chef d’orchestre de tout, t’as pas le choix d’être en montage, moi je veux réaliser mes propres scénarios, t’as pas le choix de toucher à plein de choses. J’aime beaucoup la direction d’acteurs. Ultimement, je veux toucher les gens. La méthode que j’ai trouvée c’est à travers mes personnages. L’écriture, pour moi, c’est la partie la plus difficile. Le geste me demande une discipline incroyable. Mais par après, la satisfaction que ça procure vaut le coup. Mais le geste de m’assoir, d’écrire… j’aime pas ça. Je trouve ça extrêmement difficile. J’ai l’impression de me faire douleur chaque jour que j’écris. Mais je le fais en ayant en tête qu’éventuellement, ça va en valoir la peine.