Maylee Keo : illustratrice, muraliste et VJ
Patrick Dupuis
12 mars 2020
En entrevue, découvrez l’illustratrice Maylee Keo et son univers coloré et ludique.
Racontez-moi un souvenir de jeunesse qui a pu avoir une influence sur votre choix de devenir illustratrice.
Je me souviens que j’aimais tellement Sailor Moon. Je copiais tout le temps les personnages de l’émission. J’affectionnais aussi plusieurs autres personnages d’animation japonaise tels que Pokémon, Dragon Ball Z et Yu-Gi-Oh.
Comment avez-vous développé votre talent artistique?
J'ai toujours dessiné depuis que je suis petite. C'était quasi-inévitable que je finisse dans le domaine des arts. J'aimais beaucoup mes cours de sciences physiques au secondaire mais rien ne m'allumait plus que mes cours d'arts plastiques. Je me souviens d'avoir dit à mes parents que je voulais étudier en arts. Ils semblaient avoir fait leur deuil que leur fille ne serais jamais docteure. Aujourd’hui, ils ont toujours du mal à expliquer ce que je fais aux gens qu'ils côtoient, mais j'apprécie qu'ils m'encouragent comme ils le peuvent.
À quoi ressemble votre espace de création?
J’aime beaucoup voyager et mon espace de travail change souvent. En ce moment, c’est plein de crayons partout, des retailles de papier et mon iPad qui remplace tranquillement ma grande tablette graphique et mon ordinateur. J’aime beaucoup travailler de chez moi, je suis bien dans ma bulle et je suis productive à des heures irrégulières.
Parlez-moi du plaisir à créer des tatouages éphémères dans l’équipe Skinjackin.
C’est un collectif qui m’offre la possibilité de créer avec des artistes trop talentueux. C’est un projet qui m’aide à sortir de ma zone de confort. Tu dessines, tu partages des histoires et tu réalises des illustrations avec des jeux de mots souvent drôles et sympathiques. C’est aussi le plaisir de rencontrer de jeunes enfants et des adultes lors des événements.
Dans le cadre de l’événement MassivArt, vous avez personnalisé un piano. Parlez-moi du ce projet unique.
Les pianos publics sont à mon avis une superbe initiative d’inclusion artistique. Pour personnaliser cet objet aussi magnifique, j’ai décidé de dessiner des oiseaux. Ils représentent pour moi la douceur et la liberté. Lors de l’événement, le piano était situé au Palais des Congrès dans le Quartier chinois. J’ai souvent l’impression qu’il manque de représentation culturelle dans le domaine artistique à Montréal. Je souhaite que de voir une femme asiatique peindre dans un espace public puisse les encourager à faire ce qu’ils aiment, malgré les attentes de leur culture familiale stricte similaire à la mienne.
Parlez-moi un peu de la culture familiale dans laquelle tu as grandi.
Mes parents sont nés au Cambodge quelques années avant le génocide des Khmers rouges. Ils sont arrivés ici après la guerre. Grandir avec eux, c’était compliqué, j'avais vraiment du mal à communiquer avec eux. Un grand clash culturel nous divisait. Ils avaient de grandes attentes et c'était difficile de ne pas ressentir toute cette pression sur moi. Et lorsque j'étais à la hauteur, ils n'étaient pas contents et semblaient toujours concentrés sur mes erreurs. Ainsi, j'ai dû faire le choix de m'éloigner de mes parents. J'ai travaillé beaucoup sur moi-même et pris le temps d’en apprendre plus sur mes propres racines et de mieux comprendre mes parents. Consulter une psychologue et partir au Cambodge quelque temps sont deux étapes qui m'ont aidé à pardonner le passé.
Vous avez illustré et animé les capsules 5 trucs pour la planète pour ICI Explora. Parlez-moi du défi de mettre en mouvement vos propres illustrations?
J’anime mes projets comme je bouge. Avoir la possibilité d’animer ce que je dessine et de mettre de la vie dans mes personnages, c’est tellement malade. En me fiant généralement à mon storyboard, je réalise des animations en image par image. Et parfois, comme des marionnettes en papier où toutes les articulations du corps bougent avec l’aide d’une punaise. J’y ajoute des effets d’animation, de la calligraphie ou des petits détails qui me font plaisir à moi et au client, ce qui rend le tout authentique à mon style.
Quelle est l’ambiance propice à trouver vos meilleures idées?
J’ai mes meilleures idées avant de m’endormir ou après avoir tourné en rond mille fois dans mon lit. Je les écris alors dans mon cellulaire ou je prends le temps de les dessiner rapidement pour les réaliser le lendemain matin. J’ai du mal à ne pas décrocher d’une idée quand ça m’inspire vraiment. Pour me réchauffer un peu, je commence par dessiner des choses que j’aime, comme des plantes et des animaux. J’ai toujours de la musique qui joue pour me garder inspirée, même sous la douche. Lorsqu’il fait beau, je m’assois dans mon salon, j’admire le ciel bleu et j’écoute de la musique qui reflète ce que je ressens. Je vais aussi sur Instagram pour me mettre à jour avec les artistes que j’aime et je dessine ce qui me vient en tête.
Des motifs scandinaves vous ont inspiré une série de personnages mélancoliques dessinés au trait de crayon. Qu’est-ce qui vous a inspiré ce projet?
J’ai visité Stockholm et je suis une fan finie d’ABBA depuis très longtemps. J’avais rencontré quelqu’un et j’étais vraiment triste lors de notre rupture. J’ai donc dessiné cette série de dessins qui s’intitule Blommor (fleurs en suédois). C’était ironique parce que ce sont des personnages féminins paisibles entourées de fleurs. Au même moment, l’artiste Björk a lancé son album de rupture. Sur cet album, j’ai écouté la chanson Stonemilker en boucle pendant des semaines. Cette chanson m’a grandement inspiré. J’ai réalisé à ce moment-là que mon style artistique devenait de plus en plus concret. C’était un mal pour un bien.
Parlez-moi de l'importance de la musique dans votre vie.
Je vois la vie un peu comme une comédie romantique. La musique affecte grandement ce que je fais sur le moment. Parfois, c'est juste comment ça sonne qui m'aide à créer. Quand ça me donne envie de danser, c'est là que je suis plus productive. Je suis facilement distraite. Avoir de la musique dans les oreilles m'aide à me concentrer.
Sous le thème de l’hiver et de la famille, vous avez illustré et animé une mosaïque d’écrans en plein cœur de la Place des Arts. Est-ce que l’hiver vous inspire?
La Place des Arts m’a donné carte blanche. J’ai donc cherché tout plein d’activités qui me rappelaient le temps des fêtes: des anges dans la neige, des soupers avec de la bouffe à l’infini ou les fêtes du Nouvel An avec les gens que j’aime. Papier Panier Piano ont composé une magnifique pièce musicale avec une touche de nostalgie. C’est aussi tellement illuminé c’est presque de la luminothérapie en fait. Cette grande mosaïque était une belle opportunité de représenter des gens de couleurs, peut-être quelqu’un pourra s’y reconnaître. J’espère que ça apporté des sourires et de la joie dans leurs cœurs! Je n’aime pas beaucoup l’hiver et le froid, mais j’aime bien le temps des fêtes. Ça me donne le temps d’être avec les gens que j’aime et ceux que je n’ai pas vraiment vu durant l’année. J’ai eu la chance de m’échapper de l’hiver au Cambodge, mais j’ai réalisé que je m’ennuyais trop de mes amis et de ma famille ici, au Québec.
Pour le Festival Montréal en Lumière, vos dessins ont été projeté sur les murs extérieurs du Théâtre Maisonneuve. Quelle réaction avez-vous eu en voyant vos dessins si immenses?
Ce projet était un gros cadavre exquis créé en collaboration avec une dizaine de motion designers chez Eltoro Studio. Notre mandat était de réaliser une animation de 10 secondes avec une palette de couleurs pré-établie. Voir mes premières animations projetées sur une surface aussi grande, c’était vraiment magique!
Vous affectionnez le medium de la craie sur tableau noir. Parlez-moi de votre amour de ces créations éphémères et du défi que ça comporte.
Je suis une grande fan de Dana Tanamachi, une designer et calligraphe extraordinaire qui m’a toujours donné goût de travailler avec de la craie. Ça demande beaucoup de patience. C’est un médium que j’aimerais perfectionner. L’imperfection, la texture et le grain que l’on retrouve en dessinant avec de la craie est si beau. Ce type de projet me permet d’améliorer mes compositions typographiques et ma calligraphie.
Quels lieux sont inspirants pour créer?
J’aime beaucoup la nature. Marcher un peu partout m’inspire. J’ai beaucoup voyagé ces dernières années. J’aime la formes des plantes et découvrir des fleurs que nous n’avons pas ici. Je me retrouve ainsi par avoir mille photos de fleurs, de plantes et d’animaux dans mon téléphone. Malgré que la ville soit en constante construction, je trouve qu’il y aura toujours du beau dans cette ville. Les gens sont chaleureux et même si ce n’est pas la plus belle ville au monde, mon cœur restera toujours à Montréal.
Parlez-moi d’une œuvre de vos pairs que vous affectionnez particulièrement ou qui vous a marquée.
Je pense qu’il y en a trop que j’aime que je ne sais pas lequel choisir. Je sais que j’aime bien ce que mon ami Samuel Jacques qui fait des personnages et des plantes qui me font sourire. Il y a aussi mon amie Aurélie Grand qui me surprend toujours avec ses illustrations aux coups de crayon trop parfaits.
À quel projet de création rêvez-vous?
Mon plus plus plus grand rêve c’est de réaliser des projections avec Paul McCartney. Mon plus plus grand rêve c’est de faire un court métrage que je réaliserais au complet. Pour l’instant, mon plus grand rêve c’est de pouvoir réaliser mes dessins sur plein de murs ou créer des livres jeunesse.
Quels sont les prochains projets qui sommeillent dans la tête de Maylee Keo?
Réaliser plus de murales, de grosses projections avec des musiciens qui m’inspirent, continuer à faire des projets qui sont en harmonie avec mes valeurs et partager mes compétences avec des gens moins privilégiés. Pouvoir me réveiller le matin et de me dire que je peux exercer un métier risqué et être heureuse dans ce que je fais est un grand privilège. Je suis restée 8 mois au Cambodge et de voir des gens travaillant sans arrêt pour pouvoir étudier, j’ai réalisé que la chance que j’ai de pouvoir m’épanouir en tant que femme libre de m’exprimer. Ici à Montréal, la liberté d'expression c'est un grand privilège.