L’influence de Mélina dans la quête de Gabrielle Roy, à travers ses écrits
Catherine Dulude
14 décembre 2021
Toute sa vie, Gabrielle Roy tente de fuir l’existence qu’a menée sa mère : femme au foyer, épouse sans doute peu comblée, aventurière refoulée. Pour accomplir son rêve d’écrivaine, elle doit quitter ce petit monde, ce Manitoba qui, pour elle, manque d’effervescence.
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Dans son œuvre, elle fait souvent référence à sa mère, parfois avec regret et nostalgie, parfois avec tristesse. Dans le conte L’enfant et le vieillard qu’on retrouve dans le recueil La route d’Altamont, le périple de la fillette au lac Winnipeg inspire à la narratrice des réflexions sur sa mère.
Alors j’ai su, je suppose, qu’elle était pauvre il est vrai, elle qui n’avait jamais vu le grand lac Winnipeg, ni l’océan, ni les montagnes Rocheuses, qu’elle avait tant désiré voir pourtant, nous en ayant parlé jusqu’à nous pousser à l’abandonner s’il le fallait, pour parcourir le monde. Je pense avoir aussi quelque peu compris qu’il ne suffit pas d’avoir la passion de partir pour pouvoir partir; qu’avec cette passion au cœur on peut quand même rester prisonnier toute sa vie dans une petite rue. (Extrait de La route d’Altamont, « L’enfant et le vieillard », p. 89)
Dans le récit La route d’Altamont du recueil du même nom, la narratrice devenue adulte aborde la question avec sa mère : a-t-elle été satisfaite de sa vie?
Un jour, n’en pouvant plus, je tentai de parler avec ma mère de ce que j’éprouvais.
— Maman, dans ta propre vie, as-tu parfois eu l’impression d’y être comme l’effet d’une erreur, en étrangère ?
— Souvent, dit-elle comme projetée par cette simple question dans la terrible et vaste rêverie où nous sommes si seuls à savoir ce que nous pensons de nous-mêmes. Crois-tu donc qu’il y a beaucoup de gens à être assez satisfaits de leur propre vie pour ne pas s’y sentir à l’étroit — ou à l’étranger, si tu aimes mieux? (Extrait de La route d’Altamont, p. 145)
Puis, finalement, dans son ultime livre autobiographique, La détresse et l’enchantement, Gabrielle Roy tire des conclusions sur la vie de Mélina, alors qu’elle en est au bilan de sa propre vie.
Au fond, maman n’eut jamais qu’à mettre le pied hors de la routine familière pour être aussitôt en voyage, disponible au monde entier. (Extrait de La détresse et l’enchantement, p. 12)
La relation privilégiée qu’elle a eue avec sa mère est au cœur de son parcours d’écrivaine. Rongée par les remords de devoir quitter les siens pour pouvoir s’accomplir comme autrice, elle trouve dans la perception de la vie de sa mère, du rôle de la femme, des rêves avortés de quoi stimuler son imaginaire et esquisser son propre parcours, qui lui, mène à l’œuvre que nous connaissons aujourd’hui.
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