Rencontre littéraire Pour emporter – Michel Rabagliati

Rencontre littéraire Pour emporter – Michel Rabagliati
crédit photo : La Pasthèque

9 novembre 2022

C’est le comédien et auteur François Létourneau qui sera l’invité de la semaine à l’émission Pour emporter, diffusée les vendredis à 20 h sur ICI ARTV. Au cours de l’entretien que le créateur de la série C’est comme ça que je t’aime aura avec l’animatrice de l’émission, France Beaudoin, il abordera le rôle de Paul, qu’il a joué dans le film Paul à Québec. Cette fiction est une adaptation du livre du même nom, créé par le bédéiste Michel Rabagliati et paru en 2009, dont il sera aussi question lors de la discussion.

Pour en savoir davantage sur ce grand auteur de bandes dessinées et sur sa passion pour le neuvième art, nous avons eu la chance de discuter avec lui récemment.

Voici ce qu’il avait à nous dire.

 

Qu’est-ce qui t’a mené au dessin? À l’écriture? À la bande dessinée?

Ça remonte à mon enfance. J’ai commencé à m’intéresser à la bande dessinée quand j’étais très jeune. J’étais abonné à tous les hebdomadaires jeunesse européens : Tintin, Spirou, Pilote et compagnie. J’en mangeais. J’étais un garçon très tranquille et solitaire. C’est comme ça que tout a débuté. Je dessinais quand j’étais assez jeune, vers 9 ou 10 ans. Je commençais déjà à faire des dessins sur la table du salon en essayant de copier des personnages de BD, des trucs du genre; la base. Ceux qui commencent à faire de la BD, habituellement ils copient leurs auteurs préférés. C’est ben trippant de faire ça.

 

Pourquoi écrire? Que t’apporte l’écriture?

C’est un phénomène assez étrange. C’est une sorte de correspondance avec un lecteur inconnu à l’autre bout. C’est un besoin de parler, j’imagine, de raconter et de partager des impressions sur l’air du temps, sur la vie. Dans mon cas, on est beaucoup dans le plausible. Ça reste des aventures de l’ordinaire, de la vraie vie. Le pari avec la série de bandes dessinées Paul, c’est d’essayer de rendre intéressants ces moments ordinaires du quotidien. Je ne sais pas ce qui me pousse à faire ça. (Rires) Au début, tu fais ça pour le fun, et hop, ça fonctionne! Les gens trouvent ça intéressant, tu as des encouragements, tu es publié, traduit, etc. Tu te prends au jeu et tu trouves ça plaisant de communiquer avec des gens. Ce qui est le fun aussi, c’est d’être libre. J’ai toujours cherché à faire un travail qui me donnait le plus de liberté possible. Je n’ai jamais travaillé dans un bureau, j’ai toujours été à mon compte. Ça, c’est le summum du travail autonome, parce que je n’ai même plus de clients. C’est moi, le client. J’ai tout de même un éditeur qui travaille avec moi pour valider mes trucs, mais à la fin, mon travail se retrouve sur des rayons et ce sont les lecteurs qui me font vivre. C’est assez intéressant comme principe.

 

Tu as déjà dit que tu te considérais davantage comme un romancier qu’un bédéiste. Pour quelle raison?

Ce qui m’importe d’abord, c’est l’histoire. Ce que j’ai à dire, c’est là-dessus que je travaille, que je cogite. Je ne suis pas quelqu’un qui dessine tout le temps sur les napperons de restaurant parce qu’il est enragé du dessin; je ne dessine même pas en vacances. J’aime mieux jouer de l’accordéon. (Rires) Quand une histoire me vient en tête, je commence à écrire des idées pour l’alimenter. Pas des sketches, pas des scènes ou des personnages. Je ne dessine jamais pour rien, peut-être parce que je viens du graphisme, de l’illustration commerciale. Ça me prend une commande. C’est quoi la commande? Je vais la remplir et te livrer ton illustration. J’ai toujours travaillé comme ça.

Un livre, c’est une commande que je me passe à moi-même. Quand je décide de raconter une histoire, je me passe la commande de la raconter et de l’illustrer.

À ce moment-là, il va y avoir un livre au bout, ça va servir à quelque chose. Tous les dessins que je fais servent à quelque chose. Je ne dessine pas pour le fun. Même si je fais des sketches, c’est pour m’en servir dans mes bandes dessinées. Si je suis pour copier un objet – un pot de fleurs, une maison –, je vais m’en servir dans une case. Je ne dessine pas pour le fun. (Rires)

 

Pourquoi avoir choisi la BD et non le roman sous forme traditionnelle?

Au Québec, il n’y a pas grand monde qui se bouscule pour faire de la BD, comme c’est laborieux, long et pas particulièrement payant. Ça adonne que je suis illustrateur et conteur, ça fait que tu mets ça ensemble, ça donne la bande dessinée, le neuvième art. Ce n’est pas pour rien que c’est un art qui a commencé aux alentours de 1850 par des phylactères et que ça n’a jamais lâché. Il y a toujours eu du monde intéressé à faire ça. Ce n’est pas de l’écriture juste à la dactylo, ce n’est pas juste faire de belles illustrations, c’est entre les deux, c’est autre chose. Tu peux te permettre de faire des dessins plus rudimentaires, moins finis, et ce n’est pas grave. Le lecteur va suivre. Le système des cases, l’ellipse entre les cases, c’est très le fun. C’est un genre de cinéma de papier. C’est facile à lire. Tu n’as pas besoin de beaucoup de matériel. Tu racontes ton histoire en séquences. Pour ça aussi, c’est spécial, la BD. Ce ne sont pas des illustrations fixes, mais presque. Ce sont des illustrations qui se succèdent, ce qui donne un genre de film dans la tête du lecteur. Il s’imagine que ça bouge. Ça marche au coton. Tintin, ça bouge en maudit, même si c’est imprimé.

C’est vraiment un art très spécial qui est indéplaçable et indétrônable. Il y en aura toujours, je pense, parce qu’on est entre le cinéma et la littérature, entre le dessin animé et la littérature.

Je pense que j’ai un petit talent en dessin et un petit talent en écriture, alors j’ai mêlé les deux. Au Québec, il n’y a pas tant de monde que ça qui le fait, c’est peu occupé. Il y a encore beaucoup de lecteurs à conquérir, surtout dans la bande dessinée adulte. Il y a ben du monde qui a arrêté de lire la BD avec la série des Astérix et qui n’a pas rouvert une BD depuis 1972. Ça a passablement bougé depuis ce temps-là. Il y en a beaucoup pour adultes depuis le début des années 1990. C’est ça, la révolution en BD. Le nouvel âge d’or, il est là : c’est la BD pour adultes.

 

Quel sentiment t’habite lorsque tu penses à tes œuvres?

C’est un sentiment de fierté, mais pas sur le plan du succès, plus de la liberté. Je parle tout le temps de ça, parce que c’est quelque chose qui est très précieux, d’être libre de son temps. J’ai travaillé là-dessus toute ma vie. J’ai bûché pas mal et c’est une sorte de récompense. J’ai eu des clients, j’ai été graphiste, j’ai fait toutes sortes d’affaires – travailler dans les agences et tout ça. C’est une troisième carrière pour moi et je suis fier de vivre de mon art. C’est le pari que je m’étais fait au début : je me disais que si je faisais ça comme il faut, consciencieusement, d’une belle façon et en essayant d’aller le plus loin possible, que je pourrais en vivre, ce qui est le cas d’à peu près personne au Québec. C’est très rare, les gens qui vivent seulement de ça, la BD. En plus, je vis de ma propre bande dessinée. C’est tout ce que je fais; je ne travaille que sur mes livres personnels. C’est une grande chance.

Je suis fier d’avoir réussi à me faire un petit métier avec ça, qui me fera peut-être vivre jusqu’à ma mort. J’en suis vraiment heureux, je n’en demande pas plus. C’était ça, mon rêve, de pouvoir vivre de mon art, et c’est arrivé.

 

Comment as-tu réagi quand tu as vu les personnages que tu avais imaginés prendre vie à l’écran dans le film Paul à Québec, de François Bouvier?

C’est extraordinaire de voir ça. François Létourneau faisait un super Paul. On l’avait dans la tête depuis le début quand on a commencé à écrire le film, François Bouvier et moi. On parlait beaucoup de lui, de cette espèce de dégaine, de son apparence filiforme. Mon personnage est plus grand que moi et plus long. François a cette espèce de regard. On le voit encore, même dans C’est comme ça que je t’aime. Cette dégaine, candide, même s’il est criminel; il est comique. Il a un regard d’enfant. C’est un peu ça, Paul : un personnage qui déambule, les mains dans les poches. La vie défile devant lui, et ce n’est pas qu’il la subit, mais il la vit quasiment en touriste. J’ai trouvé qu’il a fait un Paul parfait. C’est exactement ça qu’il fallait, même s’il n’y avait pas beaucoup de texte pour lui dans le film. La distribution était super; on était pas mal proche du livre. Souvent, on entend les auteurs dire que l’équipe qui a fait l’adaptation a scrappé leur livre. Ce n’est pas mon cas! François Bouvier aimait bien la série et il n’est pas allé trop loin. Il est resté dans cette gentillesse, cette chaleur familiale là. On est proche du livre avec Paul à Québec, et je suis très content du résultat.

 

Quel livre (ou auteur/trice) t’a le plus marqué?

C’est certain que pour moi, les auteurs de bandes dessinées, les graphistes et les illustrateurs, ce sont des gens qui ont eu beaucoup d’influence dans ma vie. Quelque chose de déterminant, c’est Hergé, le père de Tintin. C’est une grosse clé dans ma vie d’enfant. Quand mon père m’a acheté Objectif Lune, ma vie a changé. Ça a ouvert une porte qui ne s’est jamais refermée. Il y a eu d’autres auteurs de bandes dessinées qui se sont ajoutés, mais on peut dire qu’au départ, c’est Hergé, par son graphisme et sa narration. Encore aujourd’hui, il est imbattable. Tu lis un Tintin et tu ne peux pas décrocher. C’est un metteur en scène hors pair, redoutable. Il aurait fait un super cinéaste s’il s’était retrouvé derrière une caméra.

 

Michel Rabagliati, merci beaucoup!

Ne manquez pas l’émission Pour emporter au cours de laquelle France Beaudoin recevra le comédien et auteur François Létourneau, le vendredi 11 novembre à 20 h sur ICI ARTV.