Première mondiale de POW WOW

28 octobre 2011

Une ravissante femme vêtue de blanc semblant sortir tout droit d'une toile de Tamara de Lempicka nous accueille à l'entrée de la salle. Sa figure élégante jonche le sol telle une sculpture sophistiquée et dispendieuse, ses jambes sous sa robe courte sont prolongées par deux adorables escarpins rouges. La boule de cristal qu'elle tient dans sa main fait écho à la sphère translucide et démesurée qui gît immobile à ses pieds. Son visage voilé est couvert d'un rideau de perles qui dissimule tant bien que mal le fait que son regard est tourné vers le sol.

Son attente fait écho à notre curiosité, attise notre voyeurisme.

Tout dans ce premier préambule de Pow Wow, minutieusement mis en scène par Dany Desjardins, dégage une nette impression de soumission. La docilité de cette femme superbe s'offrant à nous, à nos regards convergents, nous captive.

Sans crier gare, le corps immobile de la femme s'active, s'anime d'une énergie féline, entraînant avec elle la sphère qui quelques secondes plus tard finira sa course aux pieds des spectateurs. Dans la première rangée, les jeux d'optique piègent le reflet de la femme au centre de la sphère, tel le corps des femmes piégés dans l'espace exigu de l'histoire en mouvement. Beau clin d'œil.

Cette séquence n'est pas sans rappeler une scène célèbre du 7e art qui augure, tel un motif emblématique du médium en mouvement réinventé, la rupture dans la convention des points de vue.

http://youtu.be/jipboWI9uiE

Le rituel symbolique qui s'en suit conduit au cœur d'un parcours initiatique où le rythme est le fil d'Arianne qui permet aux quatre interprètes d’expérience et en pleine possession de leurs moyens de s'émanciper et de se frayer un chemin commun dans cette brève histoire de la danse urbaine et de la féminité à laquelle nous convie Desjardins. La réhabilitation de la danse urbaine comme empreinte et document vivant de notre époque semble le motif en filigrane.

L'ÉVEIL DES SENS


Isabelle Arcand (lumineuse), Geneviève Boulet (intimiste), Claudine Hébert (transcendante) et Esther Rousseau-Morin (mystique).

Au fil des métamorphoses successives que vivront sur scène les protagonistes, les différents styles musicaux (soul, new wave, hip hop, house, trip hop) et les disciplines corporelles qui leur sont associées (jacking, waacking, voguing, popping, stomping, krumping) feront avancer l'intrigue vers son dénouement mystique: l'émancipation et la célébration du corps féminin, véhicule sacré aux pouvoirs surnaturels, force intarissable de vie et d'entropie, soumisse toutefois aux diktats de la perception.

Les quatre danseuses de formation contemporaine s'offriront totalement à nous au fil des divers tableaux narratifs, jouant à la perfection et jusqu'à l’épuisement leurs rôles de vestales plongées, corps et âmes, dans la transe et les rites mystiques de la corporalité. Guidées instinctivement par leur sensualité, originales par leur volonté de revenir aux origines, ces femmes n'hésiteront pas une seconde à se délester des traces laissées par l'histoire sur leurs corps (perles, bustiers, masques, robes, ceintures de chasteté), à régresser jusqu'au point de départ du culte millénaire et libérateur que constitue la danse.

Le spectateur appréciera l'audace et l'originalité de l'exercice, la conviction totale des interprètes, ainsi que la vision très aboutie d'un auteur dont le pari était de donner un break au spectateur, de détourner les codes et de revenir aux sources fondamentales de la danse: musique, communion, extase, émancipation des corps et des sens.

Pow Wow, de Dany Desjardins est à l'affiche jusqu'au 29 octobre au Théâtre La Chapelle.

Crédits photos: Marquis Montes