Rencontre littéraire avec Kevin Lambert

Rencontre littéraire avec Kevin Lambert

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Il est né en 1992 à Chicoutimi. Enfant, il raconte avoir été difficile, même désagréable pour ses professeurs.  Déjà à cette époque sommeillait en lui une révolte, un besoin d’affirmation, de contestation. Aujourd’hui, ses mots font le tour de la francophonie. Il fait partie des écrivains québécois qui ont le plus fait jaser au cours des trois dernières années. Son dernier roman, Querelle de Roberval, paru chez Héliotrope en 2018, a connu un foudroyant succès, tant au Québec qu’en France. À 27 ans, il laisse déjà sa marque.

Rencontre avec Kevin Lambert.
 


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Quel genre d’enfant étiez-vous?
« J’étais un enfant quand même désagréable (rires). Mes professeurs me le disaient beaucoup. J’étais quand même turbulent. Je m’emmerdais à l’école. J’avais beaucoup de temps pour réfléchir et notamment de réfléchir à la position des enseignants. Je me souviens, au primaire, pendant les cours, les réflexions sur l’injustice que les professeurs incarnaient pour moi. Ce n’était pas du tout politique à cette époque-là, mais je me souviens de me demander pourquoi c’était ce monsieur-là qui est devant la classe. C’est quoi son droit? Pourquoi c’est lui plutôt qu’un autre? Je ne comprenais pas. J’avais, on pourrait dire, un trouble avec l’autorité. Ce qui faisait en sorte que j’étais un peu chiant. Par exemple, je faisais des pétitions contre mes profs. J’allais chez le directeur, je me faisais mettre dehors. »


Qu’est-ce qui vous causait cette révolte?
« J’étais révolté entre autres parce qu’il y avait une partie de moi qui savait que j’étais gai. J’évoluais dans un monde ou j’avais l’impression
d’être presque un méchant. »



Cette partie de votre vie se reflète-t-elle dans votre premier roman Tu aimeras ce que tu as tué?
« Oui, j’ai un peu utilisé ça dans mon premier livre aussi. C’est un portrait de moi que j’ai voulu faire. Je dis souvent que ce que je fais se rapproche un peu de l’autofiction parce que tous les sentiments qui sont dans le livre sont vrais, mais j’ai voulu cacher les situations, par exemple. Je les ai maquillées, je les ai transformées. Je n’avais pas envie de témoigner, ce n’était pas ça mon objectif. Je ne voulais pas raconter mes souvenirs ou la réalité de ce que j’ai vécu. Par contre, les sentiments sont vrais, mais les situations sont modifiées. »


Quelle place occupait la littérature dans votre vie en grandissant?
« J’ai toujours beaucoup lu. Je pense que c’est un peu pour fuir la réalité. J’ai une demi-soeur, on a sept ans de différence, donc j’ai presque été un enfant unique. Quand j’étais petit, je lisais beaucoup parce que je m’ennuyais. Je lisais presque juste des choses qui ne se passaient pas dans notre monde. Des livres fantastiques. Je ne viens pas d’une famille littéraire. Il y a juste ma grand-mère qui lisait dans ma famille et c’était du Danielle Steel ou du Mary Haggins Clark. J’ai d’ailleurs aussi lu ça. Et puis j’ai découvert les Harry Potter au primaire. 

Au cégep, je ne sais pas trop pour quelle raison, j’ai choisi le programme d’arts et lettres. Je ne voulais surtout pas me plier aux modèles que le conseiller en orientation nous proposait : devenir soit médecin ou avocat.

J’étais inscrit en sciences nature jusqu’à l’été. J’ai changé de programme à la dernière minute. C’est vraiment au cégep que je me suis mis à profondément aimer la littérature. Un peu au secondaire avec les quelques livres qu’on nous faisait lire, mais j’avais de très mauvais profs de littérature au secondaire. »


 

Qu’est-ce qui fait qu’un professeur est bon ou mauvais, selon vous?
« Je pense qu’un mauvais professeur est quelqu’un qui n’aime pas lire à la base et qui nous fait lire les livres que l’école achetait parce que ça coûtait moins cher. Ce n’est pas une très bonne manière selon moi. Ce que j’ai découvert au Cégep, à vrai dire, ce n’est pas tant la littérature elle-même, mais plutôt l’écriture. Un de mes premiers contacts avec la littérature c’est qu’une histoire banale peut prendre une dimension plus grande par son écriture, dans la forme. Au cégep, j’ai réellement compris ce qu’est l’analyse de texte. On peut poser des questions à une œuvre et elle peut nous répondre. On parle donc d’aller plus loin que la simple lecture et d’aller vers une interprétation, un développement. »

 

Quels ont été vos premiers contacts avec l’écriture?
« Plus jeune, j’écrivais des choses qui ressemblaient à ce que je lisais. Je faisais des espèces d’esquisses de romans d’aventures ou de romans fantastiques. Je ne suis jamais vraiment allé très loin. Je lisais beaucoup de livres traduits. Les auteurs québécois que je connaissais, c’était des auteurs de livres jeunesse. Adolescent, devenir auteur ce n’était pas vraiment une voie pour moi. Ce n’était pas quelque chose de possible dans ma tête. Pour moi, les auteurs, c’étaient des Américains ou des Britanniques comme JK Rowling. Je ne rêvais pas de devenir écrivain non plus. »

 

Quelles oeuvres ont été révélatrices pour vous?
« Il y en a plein et il y en a encore aujourd’hui. À chaque fois c’est une renaissance. Tu découvres un nouveau pan de la vie, de la littérature ou du monde que tu ne voyais pas avant. Chacune est importante pour des raisons différentes. Je pourrais dire que le roman Baise-moi de Virginie Descentes, que j’ai lu au cégep. C’est un roman punk. Ce sont deux personnages qui en veulent complètement au monde dans lequel elles vivent et qui se vengent contre la société. Ça m’avait marqué. Je me disais : « Wow, on a le droit d’écrire ça! » Ça avait eu un gros effet sur moi.

 

Baise-moi, Virginie Despentes, 1994

 

Toujours au cégep, j’avais été fasciné par un roman qu’un professeur nous avait demandé de lire : La trilogie New Yorkaise de Paul Auster. Ce prof nous l’enseignait pour vrai. Par exemple, pendant plusieurs cours, on analysait le livre. Il avait le courage de donner tout le sérieux, toute la richesse et tout le potentiel que peuvent avoir ces questionnements-là dans le cours. On avait passé quasiment la moitié de la session sur ce roman-là. On l’avait vraiment décortiqué. C’est un roman avec plein  de références à la littérature elle-même, comme si le roman était la pointe de l’iceberg et que toute la partie cachée renvoyait à tout un réseau d’autres textes, d’autres références. C’est le genre de roman qui m’a donné envie de lire. T’embarques vraiment avec la spécificité de cet auteur-là, qui connait super bien la littérature. Moi qui ne connaissait rien! C’était l’opposé de moi. C’est comme s’il me donnait une sorte d’indice vers un monde qui m’était alors inconnu. »

La trilogie New Yorkaise, Paul Auster

 

Décrire une sexualité gaie est encore en 2020 un geste politique. Comment réagissez-vous face aux lecteurs qui sont choqués face à certains passages violents et sexuellement explicites de Querelle de Roberval?
« Quand on écrit, on n’écrit pas pour faire plaisir non plus. Je dis souvent que je ne considère pas la littérature comme un art d’adhésion. Moi quand je lis un livre, je ne le lis pas parce que j’ai envie de l’aimer. C’est assez simpliste de voir l’art de cette manière. Je ne pense pas qu’on entre en contact avec l’art parce qu’on veut aimer l’oeuvre. Je ne fais pas des oeuvres parce que je veux que les gens les aiment. Je fais des oeuvres parce que je veux qu’elles suscitent des choses chez les gens qui les lisent.

Mais après, c’est sûr que ça peut être désagréable à recevoir, comme commentaire. Il y a beaucoup de gens qui viennent me voir dans les salons du livre pour me dire qu’ils n’aimaient pas ça, que ça les choquaient. Ça m’est arrivé souvent. Il y a des gens qui, quand ils ont lu ton livre, ils ressentent un devoir de donner leurs feedbacks parce qu’ils ont ressenti quelque chose en le lisant. Alors quand ils ont accès à toi, ils veulent partager le sentiment qui les a habité lors de la lecture. C’est basé sur un partage. Mais c’est sur que comme auteur, c’est difficile à recevoir parce qu’on est fragiles.


Souvent, les personnes choquées ne sont pas celles que j’imaginais être choquées. J’étais étonné que l’élément qui revenait le plus soit la sexualité. Moi, personnellement, la sexualité je ne la trouve pas si intense que ça. Je le dis souvent, mais je n’ai pas l’impression non plus d’écrire un manuel de comment il faut avoir du sexe dans la vie. C’est des personnages qui baisent d’une certaine manière dans un univers fictif. Mais j’ai été étonné de voir que du sexe gai peut encore autant choquer. Il y a plein de gens qui n’en ont tout simplement jamais vu.


Je pense aussi que l’écriture de Querelle de Roberval, il y a du désir dans l’écriture elle-même. C’est-à-dire que formellement, dans ma phrase, je travaillais une écriture de désir. »

Querelle de Roberval, Kevin Lambert, 2018, Héliotrope.

Dans Tu aimeras ce que tu as tué, vous avez anéanti Chicoutimi, en quelque sorte. Parlez-moi de cette ville qui vous a vu naitre. Vous êtes-vous réconcilié avec elle?

« Je reste critique de plein d’aspects. Ce n’est pas tant le Saguenay en tant que tel, mais plutôt une certaine mentalité.  Je n’aime pas tant la réconciliation. Ça ne m’intéresse pas vraiment. Je suis plus intéressé par la critique, par la réflexion, par ce qu’on peut penser du monde dans lequel on est. Aussi, connaitre les causes de qu’est-ce qui nous a fait souffrir. Comment on peut interpréter les raisons pour lesquelles on est ce qu’on est et qu’on a vécu ce qu’on a vécu. Je trouve ça plus intéressant que de seulement se réconcilier. Je ne vois pas pourquoi je me réconcilierais. Mais après, ça ne veut pas dire qu’il y a juste des choses que je n’aime pas  de cette région-là évidemment. Je la défends sur plein d’autres
aspects. »

 

La recommandation culturelle de Kevin Lambert

« Je trouve que le confinement est un bon moment pour commencer de grands projets! On plus de temps qu’à l’habitude. Je conseillerais le cycle Soifs de Marie-Claire Blais. C’est 11 livres. Elle construit un monde avec une série de personnages et c’est une œuvre qui s’intéresse aux grandes questions politiques de notre temps : l’homophobie, le racisme, les inégalités. »
 


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