Rencontre littéraire avec Simon Boulerice
Thomas Dallaire-Boudreault
17 juillet 2020
Le prolifique auteur Simon Boulerice n’est plus à présenter. On le retrouve à la télévision, au théâtre et maintenant comme auteur de série télévisée. Il n’a pas fallu beaucoup de temps aux Québécois pour adopter cet homme souriant aux multiples talents. L’équipe d’ICI ARTV l’a rencontré pour remonter le temps : son enfance, son adolescence, ses premiers écrits, jusqu’à ses plus récents projet en télévision. Qu’est-ce qui choque Simon Boulerice? Où puise-t-il son inspiration? Il a généreusement répondu à toutes nos questions.
Simon, comment abordes-tu l’écriture d’un roman comparativement à une pièce de théâtre ou une série télévisée?
Il n’y a pas tant de différences que ça. J’aime voir ça comme un témoignage d’humanité. Une oeuvre d’art, peu importe sa forme, il y a toujours une transmission. Évidemment, la forme bouge, mais moi, à la base, je n’ai jamais été un puriste. Je suis très mal à l’aise avec l’idée de cataloguer très rapidement. Je me souviens, quand j’avais 17 ans et que j’étudiais en littérature, je découvrais des auteur-es comme Nicole Brassard qui était passée du roman au poème. J’aimais cette liberté. L’idée que tout était possible dans le livre. Je trouve que le livre peut tout embrasser.
Donc, dans certaines histoires, comme Paysages au néon, je commence un roman qui finit par être versifié. J’ai écrit un roman par poème, Géolocaliser l’amour. J’ai imbriqué une pièce de théâtre dans un roman qui s’appelle Le premier qui rira. Je ne vois pas des vases clos, mais plutôt des vases communicants. Le métissage m’a toujours vraiment plu. C’est sûr que la télé ou le cinéma, c’est un autre langage. Mais ça s’apprend et je pense qu’une même histoire peut vivre de façons différentes. En télévision ou en cinéma, on préfère évidemment plus le voir que de le dire. Donc il faut toujours que ce soit dans l’action, il faut toujours qu’on voie les choses. Moi qui viens du théâtre, j’ai toujours aimé l’évocation. Et je trouve que le pouvoir d’évocation que j’ai appris dans le théâtre m’a toujours servi pour tout. Non seulement pour le roman et la poésie, mais aussi pour le cinéma et la télévision. J’ai l’impression que mes études en jeu, en interprétation théâtrale au Collège Lionel-Groulx, ça me sert énormément en tant qu’auteur au niveau des dialogues et quand je scénarise, tout doit être fluide, tout doit swinger. Les acteurs me disent d’ailleurs que c’est facile de mettre mes textes en bouches. Alors tant mieux! J’ai envie de préserver tous les glissements du langage.
Jusqu’à quel point puises-tu dans ton vécu lorsque tu écris?
Je vois mon vécu comme un matériau créatif. Je ne veux pas prétendre que ma vie est si intéressante, mais je suis de ceux qui croient que toutes les vies peuvent l’être. Donc la mienne l’est! (rires) Il y a plusieurs éléments dans la vie que je trouve suffisamment intéressants pour triturer, donc mon but c’est toujours de réinventer mon vécu. Dans certains cas, je vais tellement triturer ce que j’ai vécu que ça devient une fiction qui semble totale. Mon prochain roman est encore une fois une autofiction qui s’appelle Pleurer au fond des mascottes et c’est sur l’arrivée du théâtre dans ma vie. Ça fait partie de la Collection III de Danièle Laurin. Elle demande à des auteurs de revisiter trois souvenirs et d’y insérer de la fiction. On ne sait pas ce qui est inventé et tout semble toujours vrai. J’ai choisi trois moments où j’ai fait des mascottes dans ma vie et à travers ça, on voit qu’il veut entrer à l’école de théâtre. Je raconte aussi à quel point l’école de théâtre a été un moment fondateur de ma vie.
Mon expérience en tant que mascotte, je n’ai jamais eu de mépris par rapport à ça. J’ai déjà eu des collègues qui trouvaient ça presque honteux de faire ça alors que moi je trouve que ça rend un livre plus intéressant. Je prends la mascotte comme un symbole. Par exemple, le fameux sourire que j’ai toujours dans le visage, on m’en parle souvent. Évidemment que ce sourire recèle autre chose, je ne suis pas aussi joyeux que ce que je propose. C’est un peu ça que j’ai envie de débusquer dans le livre.
Qu’est-ce qui te choque dans la vie? À quoi ça ressemble Simon Boulerice fâché?
La colère la plus profonde je ne la vis pas nécessairement comme tout le monde. Je la vis dans les larmes et dans le silence. J’envie presque ceux qui ont une colère flamboyante. Moi, le seul moment où je peux avoir une colère flamboyante, c’est pour des niaiseries. Par exemple quand je joue à Docteur Mario. Je deviens un monstre. (Rires) Je me mets à sacrer et si je ne gagne pas la partie, je suis en ta*******. (rires) Ça, je trouve ça très sain. J’aimerais que ma colère s’exprime pour des raisons plus valables. Par exemple, dernièrement avec la mort de George Floyd, quand j’ai vu la vidéo, j’avais tellement envie de m’insurger. J’avais une immense rage en voyant ça et je pouvais faire autre chose que de pleurer sans arrêt. Je ne suis pas capable d’articuler quoi que ce soit quand une telle émotion arrive. Donc j’aimerais être capable de m’insurger haut et fort avec la même force que quand je joue à Docteur Mario, mais on dirait que je n’ai pas ça en moi.
Je me souviens qu’à l’École de théâtre, on m’avait appris que l’expression neutre de chacun était différente. Moi, on m’a dit que mon visage neutre était souriant. Donc si tu veux jouer la joie, il ne faut mettre presque aucune intensité alors que pour jouer la colère, il fallait que j’en mette plus qu’un autre. C’est un apprentissage. J’ai l’impression que la joie je la connais sous toutes ses coutures alors que ma palette de colère grandira éventuellement. (Rires)
Tu parles souvent de ton adolescence comme étant une période difficile et solitaire. Quel regard poses-tu sur cette période de ta vie maintenant?
Mon regard est maintenant très tendre. Quand je me vois, c’est un cliché, mais tellement juste : j’ai envie de prendre l’ado que j’ai été dans mes bras et de me rassurer. En même temps, et ça, c’est un atout que j’ai toujours eu, je savais que des choses viendraient. Je ne sais pas d’où me venait cette intuition, mais ça m’a vraiment sauvé. Je savais que j’en bavais à l’école, j’ai eu des moments très très durs, mais je me disais toujours que les belles choses allaient venir. Je pense qu’on a cette intuition ou on ne l’a pas.
Est-ce que j’avais une colère? Je pense que j’avais un désir de vengeance exceptionnel sur ceux qui me faisaient du mal. D’ailleurs, l’une des premières phrases que j’ai écrit et que j’ai aimées, je devais avoir 15 ou 16 ans et je la trouve encore belle à ce jour, même si je suis très loin de cette vengeance : « Je vais cotiser tous ceux qui m’ont fait souffrir et je vais me racheter une vie. » J’avais fait un recueil de poésie dans le cadre d’un travail scolaire et mon professeur Serge Boucher avait écrite la phrase en question sur un des tableaux en ne spécifiant pas à la classe qui était son auteur. Il avait seulement mis les guillemets. À la fin du cours, il a invité la classe à lire la phrase inscrite au tableau et de la commenter. Le pouls général était hyper positif, même que quelques-uns mentaient même en prétendant l’avoir déjà lue quelque part. Le professeur, très habile, a alors affirmé que l’auteur se trouvait dans notre classe. « Est-ce qu’il ou elle veut se manifester? » J’aurais pu vouloir demeurer anonyme, mais ayant constaté l’amour et l’enthousiasme qu’a suscité ma phrase, j’ai levé ma main fièrement en disant : « C’est moi! » (rires) Je pense que c’était la première fois de ma vie que je sentais que tout ce qui me différenciait des autres, tout ce qui me marginalisait, ça s’incarnait maintenant comme étant un atout.
L’an dernier, je suis allé à mon conventum pour souligner les 20 ans de la fin de mon secondaire. Mes deux conventums m’ont infirmé le regard que j’avais sur les autres. C’est-à-dire le sentiment de gérer, beaucoup de haine était, je pense, biaisé. Je suis très heureux d’y être allé, parce que j’aurais pu conserver cette forme d’animosité à l’égard de mes collègues. Je ne vais pas nier la douleur que j’ai vécue, mais j’ai l’impression qu’il y avait beaucoup de maladresse et il n’y avait pas que de la haine. J’ai tellement reçu beaucoup d’amour lors de mes conventums!
Je vais te raconter d’ailleurs une anecdote. Très jeune, j’étais ami avec un garçon qui est devenu hyper populaire au secondaire. J’ai l’impression qu’à l’époque, j’incarnais un peu tout ce qu’il rejetait. Donc, au secondaire, il ne me parlait plus du tout. Donc l’an dernier, au conventum des vingt ans, il était là avec son épouse qui était dans notre classe. À un certain moment, il y a eu un slow et il m’a invité à danser avec lui. Je dois l’avouer, ça ne me tentait pas du tout, mais j’ai tellement compris ce qu’il voulait faire et ce que ça représentait pour lui! Je pense qu’il y a plein de gens dans la vie qui n’ont pas le tour de s’excuser. Pour lui, c’était certainement sa façon de le faire. Je ressentais toute sa tendresse.
Quels auteurs t’ont le plus marqué plus jeune?
Je dis souvent que j’ai grandi avec la littérature jeunesse. Les livres de La courte échelle, par exemple. Je pense aussi à Dominique Demers. J’ai eu la chance de lire de la littérature faite sur mesure pour moi à chaque étape de ma vie, ce à quoi les générations avant moi n’avaient pas nécessairement accès. Je pense par exemple à Michel Tremblay qui a lu Jules Verne très jeune. Dans mon cas, ça a été beaucoup plus graduel et je trouve ça parfait. L’idée, c’est ce lire quelque chose qui te fait du bien. Ces livres-là sont québécois, c’est toujours le fun d’avoir des références communes avec le personnage. C’est grisant quand tu commences à lire. Je dis toujours aux jeunes que je rencontre d’aller lire des livres dans lesquels ils vont se reconnaitre. Après ça, ils pourront aller se dépayser. C’est tout à fait normal de partir de son nombril, tant quand on écrit que quand on lit.
Revenons dans le passé. À quoi ressemblaient tes premiers écrits?
Mon premier roman, je l’ai écrit au primaire. C’était le roman de ma soeur. Elle l’avait jeté à la poubelle et je l’avais poursuivi. J’ai commencé avec un plagiat! (Rires) Mais mon premier roman que j’ai écrit du début à la fin sans copier personne, j’avais 15 ans. J’étais en secondaire 3. Ça s’appelait Dans ces grands champs de larmes. (Rires) Le titre est dégueulasse. Je voulais faire pleurer, donc j’avais mis le mots « larmes » dans le titre. Je trouve que ça représente très bien ce que j’étais adolescent: vouloir faire réagir. Je pense à comment on reçoit. C’est pas du tout dans la démarche, dans la prise de parole. Je voulais juste faire ressentir ce que moi je ressentais moi quand je lisais un livre bouleversant. Je n’écrivais pas pour les bonnes raisons non plus. Ce n’était pas pour me faire du bien, je le faisais tout simplement pour être aimé.
Parle-moi un peu de ta série Six degrés. Quelle a été la genèse de ce projet?
Ça s’est fait de façon très particulière. Mon amie Sophie Parizeau, qui était à l’époque productrice chez Encore Télévision. On avait déjà eu un projet ensemble qui n’a finalement pas abouti qui était pour Vrak avec Guillaume Lambert. On avait écrit une série qui s’appelait Tête d’affiche. On avait tourné un pilote et finalement, le projet a été avorté. Je n’étais pas du tout aigri de cette expérience-là, surtout que ça ne concernait pas du tout Sophie. J’avais adoré travailler avec elle.
Sophie m’a ensuite recontacté pour qu’on ait un autre projet ensemble et elle m’a dit qu’elle aimerait avoir un projet avec un personnage malvoyant ou semi-voyant ou complètement aveugle. C’était une idée du producteur chez Encore Télévision. Je lui ai dit « C’est drôle, j’ai eu un amoureux qui lui était mal-voyant et je m’étais inspiré de lui pour écrire un album qui s’appelait Florence et Léon. L’idée n’était pas d’adapter mon album, mais bien de revisiter l’étincelle. Au départ, c’est mon ami qui m’avait inspiré cette histoire-là. Je l’ai recontacté, je lui ai posé plein de questions sur comment les choses s’étaient développées pour lui. Ça s’est fait de façon très simple et saine. C’était la première fois que j’écrivais une bible sans trop savoir vers où ça s’en allait nécessairement. Je faisais lire la bible, tout le monde trippait!
On a été lu par Radio-Canada et tout de suite, on est allé en développement et on a eu l’approbation pour tourner. Ça s’est fait de façon très saine et très rapide! Je suis conscient que ce n’est pas toujours comme ça que ça fonctionne. J’ai commencé à écrire en avril 2019 et en mai on tournait! C’est quand même complètement fou. C’est rare que les choses aillent aussi rondement. Sophie appelait ce projet son « projet bonheur ».
Ça allait trop bien jusqu’à temps que la COVID arrive, évidemment, qui a coupé notre bel élan. Il faut préciser que c’était une allée où tout coulait de source. C’était la première fois où je bâtissais tout. J’ai écrit mes treize épisodes tout seul, ma bible tout seul, évidemment chapeauté par Sophie. Mais c’est la première fois où j’endossais tout. J’ai trouvé ça vraiment grisant. Vraiment. Et je ne pensais pas aimer ça autant. Il y a beaucoup plus de liberté que je pensais. J’ai toujours préféré la liberté du roman à la télévision ou au cinéma, et là, on dirait que depuis quelques temps, j’ai l’impression que j’embrasse plus large parce que cette s’est tellement faite dans la joie que j’ai plein d’autres projets télé qui se seraient sûrement concrétisés autrement. J’ai autant envie d’aller dans la websérie que dans la série télé, j’ai toujours des projets de cinéma et je n’arrêterai jamais d’écrire des livres. Je me sens plus excité à embrasser tous les médiums. Tout est possiblement intéressant. J’écris présentement la saison 2 et c’est encore une joie qui se renouvelle.
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