Série insolite – De l’art performance exceptionnel

Série insolite – De l’art performance exceptionnel
Andrew H. Walker/Getty Images

8 juillet 2022

Le 26 juin dernier, Abraham Poincheval a réussi un exploit des plus inusité : il a fait le trajet entre Montréal et Québec sur la route 138 à la marche, vêtu d’une armure de chevalier inspirée de celles datant du Moyen Âge. L’artiste pluridisciplinaire français a parcouru la distance de 280 kilomètres en 10 jours avec cette charge de 34 kilos sur le dos notamment pour inciter le public à réfléchir aux répercussions de la technologie dans la société moderne. Cette œuvre, appelée Le chevalier errant, a été un défi particulièrement difficile à surmonter, surtout en raison du temps chaud et des pentes qu’il a dû franchir.

Cette prestation singulière nous a donné l’idée de redécouvrir quelques-unes des œuvres les plus marquantes réalisées par des artistes de performance de renom.

Voici celles qui ont retenu notre attention.
 

Carolee Schneemann – Interior Scroll

L'artiste Carolee Schneemann
Carolee Schneemann./Photo : Astrid Stawiarz/Stringer/Getty Images
 

Au début des années 1960, Carolee Schneemann s’est fait connaître pour son art performance avant-gardiste. Tout au long de sa longue et faste carrière, l’Américaine, avec ses œuvres, a suscité moult réflexions sur les normes imposées par la société, dont celles sur le genre. En 1975, elle a présenté Interior Scroll, une prestation au cours de laquelle elle était debout sur une table, nue, et peignait son corps avant de dérouler un long ruban de papier qui avait été inséré dans son vagin. Pendant la prestation, elle lisait sur cette bande de papier un échange qu’elle avait eu avec un critique de films qui refusait de voir ses œuvres parce qu’il les jugeait trop controversées. Interior Scroll était donc une affirmation de soi et, plus largement, une manifestation féministe stipulant que toutes les femmes devraient être en mesure de s’exprimer comme bon leur semble.

C’est toute une façon de passer son message.
 

Joseph Beuys – I Like America and America Likes Me

L’œuvre I Like America and America Likes Me, de Joseph Beuys, a peut-être été réalisée en 1974, mais elle est toujours pertinente, sinon plus, aujourd’hui. En mai de cette année-là, l’artiste allemand est arrivé à l’aéroport John F. Kennedy, à New York, enroulé dans une couverture de feutre, et a été transporté sur une civière, puis dans une ambulance, jusque dans une pièce de la nouvelle galerie de son ami et compatriote René Block, située à proximité des tours du World Trade Center. Dans ce lieu clos se trouvait aussi un coyote représentant l’indocilité du peuple américain. Joseph Beuys a passé trois jours en compagnie de la bête sauvage, qui s’est montrée très craintive et agressive – elle a même déchiqueté en partie la couverture dans laquelle était enveloppé l’artiste – pendant les premières heures de la prestation. Puis, avec le temps, la bête a apprivoisé son nouveau compagnon; celui-ci a même été en mesure de l’approcher de très près. Après son séjour dans la pièce, Joseph Beuys est reparti à l’aéroport en ambulance, toujours enveloppé dans sa couverture de feutre. En réalisant cette œuvre, l’artiste allemand voulait démontrer qu’on peut apprendre à vivre avec autrui, même si nos différences sont grandes, simplement en se côtoyant.

Disons qu’il a atteint son objectif.

Vous pouvez regarder l’œuvre en accéléré ici :

 

 

Chris Burden – Five Day Locker Piece

Chris Burden
Chris Burden./Photo: David Livingstone/Stringer/Getty Images
 

Alors qu’il était étudiant en arts à l’Université de Californie, le jeune Chris Burden a eu une idée de geste artistique très inusitée pour terminer sa maîtrise, soit celle de s’enfermer pendant cinq jours dans le casier d’un vestiaire de l’établissement. Cette prestation n’avait pour seul et unique but que de donner de la crédibilité à l’artiste de 25 ans au moment où il amorçait sa carrière. Pour réussir l’exploit, il s’est cadenassé dans un casier situé au milieu de deux autres, disposés à la verticale : celui du dessus contenait une bonbonne d’eau qui lui permettait de boire en utilisant un tuyau, et celui du dessous renfermait une grosse bouteille qui servait à récupérer son urine. Sa femme de l’époque, Barbara Burden, était à côté des casiers où se déroulait cette expérience pour assurer la sécurité de son mari en cas de problème. Comme personne n’avait été averti de ses intentions, outre quelques proches de l’artiste, il a fallu un certain temps pour que la sécurité et le doyen de l’université soient au courant de la situation. Ces derniers, ne sachant pas quoi faire, ne sont finalement pas intervenus. Ledit casier était maintenant visité par des membres du corps étudiant, qui discutaient avec le prisonnier pour lui tenir compagnie. C’est après que l’expérience est devenue une véritable attraction que Chris Burden a ressenti un grand sentiment de vulnérabilité. L’artiste est sorti sain et sauf de son cachot métallique après cinq jours et a reçu son diplôme un peu plus tard.

Ça, c’est une façon de se faire remarquer!
 

Marina Abramović – The Artist Is Present

Marina Abramović
Marina Abramović lors de sa prestation The Artist is Present en 2010./Photo: Andrew H. Walker/Getty Images
 

Marina Abramović est passée maître dans l’art performance au cours des années 1970 et elle n’a jamais cessé d’épater le monde entier depuis. Elle a été remarquée à de nombreuses occasions pour sa créativité et ses réflexions, comme sur les relations entre les artistes et le public ou sur les limites du corps et de l’esprit, que génèrent ses œuvres. En 2010, l’artiste serbe y est allée d’une autre prestation hors du commun, appelée The Artist Is Present, en restant assise huit heures par jour sur une chaise placée au bout d’une petite table de bois dans une pièce du Musée d’art contemporain de New York (MoMA). À l’autre bout de la table, des gens du public s’asseyaient un instant pour échanger un regard avec elle. Une personne a mentionné qu’elle avait été profondément touchée par le moment vécu avec l’artiste, à tel point qu’elle est revenue 21 fois au cours des trois mois où la performance a été présentée. Un moment particulièrement émouvant est survenu quand Ulay, un autre artiste performatif ainsi que fidèle collaborateur et ami de Marina Abramović, s’est assis devant elle.

Voici ce moment, en vidéo :

On n’aurait pas souhaité être la personne derrière Ulay dans la file!
 

Emma Sulkowicz – Mattress Performance (Carry That Weight)

Emma Sulkowicz
Emma Sulkowicz lors de la réalisation de son oeuvre Mattress Performance (Carry That Weight)./Photo: Andrew Burton/Getty Images
 

En 2012, l’étudiante en arts visuels Emma Sulkowicz aurait été violée par un étudiant de l’Université Columbia de New York, un établissement qu’elle fréquentait également. Deux ans plus tard, à l’automne 2014, la jeune femme a amorcé, dans le contexte de sa maîtrise, une œuvre de performance appelée Mattress Performance (Carry That Weight) qui consistait à transporter un matelas de 23 kilogrammes semblable à celui sur lequel elle aurait été agressée, soit le modèle se trouvant dans les chambres des résidences de l’université, partout où elle se déplaçait sur le campus, tant que son présumé violeur y étudiait. Ce geste visait aussi à dénoncer l’inaction des autorités de l’Université Columbia à l’égard des crimes de nature sexuelle, surtout ceux commis envers les étudiantes. Emma Sulkowicz a aussi établi des règles qu’elle devait respecter lors de la réalisation de son œuvre d’art d’endurance. Par exemple, elle ne pouvait pas demander de l’aide pour déplacer son matelas, mais était en mesure de l’accepter si une personne lui en offrait. Tout au long de l’expérience, la jeune artiste a rédigé un journal de bord relatant ses états d’âme et les réactions générées par son geste. La prestation a pris fin à la collation des grades. Ce jour-là, elle a eu l’aide de plusieurs camarades de classe pour transporter son matelas jusque sur la scène, où elle a reçu son diplôme. L’œuvre a vite fait les manchettes et a inspiré d’autres victimes à dénoncer l’inaction des autorités des établissements d’enseignement en matière de crimes à caractère sexuel.

De l’art qui a fait avancer la société.

Voilà qui conclut notre recensement de quelques œuvres d’art de performance ayant marqué les esprits.

À bientôt pour un autre billet de la série insolite!