Ève Ringuette, nouvelle recrue dans Eaux turbulentes

Ève Ringuette, nouvelle recrue dans <i>Eaux turbulentes</i>
Productions BLIKTV

13 février 2023

Dans la deuxième saison d’Eaux turbulentes, Ève Ringuette incarne une jeune policière anishinabe aux côtés d’Hélène Florent et de Gabriel Sabourin. L’actrice innue nous parle de son rôle de Rubina Duquette et de ses différents projets au cinéma et à la télévision.  

 

Vous interprétez une nouvelle recrue de la police de Queensbury. Comment vous êtes-vous préparée?

J’ai fait l’école de police, et il y a beaucoup de policiers autour de moi. Ma sœur jumelle est sergente-détective, et mon père était à la Sûreté du Québec, donc je suis arrivée en terrain connu. En partant, c’est difficile pour une femme de faire sa place dans un domaine d’homme. Quand, en plus, tu es une Autochtone qui arrive dans un poste majoritairement non autochtone, c’est une pression supplémentaire sur les épaules. Je voulais que mon personnage soit [une femme] forte, donc je me suis inspirée de ma sœur, une femme déterminée qui a du caractère! Chez mon père, je suis allée puiser le professionnalisme, la loyauté, la sincérité et l’honnêteté. Je pense que ça m'a beaucoup aidée dans l'appropriation de mon rôle; ça m'a permis d'arriver en confiance et de ne pas me sentir trop intimidée. Parce que travailler avec Hélène Florent et Gabriel Sabourin, c'est très impressionnant quand même! 

 

Pouvez-vous nous parler de Rubina Duquette?

Rubina est une bonne policière qui essaie de faire son bout de chemin d’un point de vue professionnel. Elle connaît la communauté, mais elle n’est pas « l'Indienne de service » chargée d’instruire et d’expliquer comment ça fonctionne. Oui, c’est un atout pour l’équipe, mais Marianne et Charles la voient avant tout comme une policière. On parle un petit peu de sa personnalité, notamment quand elle dit que c'est difficile de sortir de la communauté quand on a de l'ambition, mais on n’entre pas en profondeur. Dans le dernier épisode, on va par contre découvrir une intrigue coup de poing à son sujet et qui peut ouvrir des portes pour une troisième saison! Ça aurait été tellement facile de révéler cette intrigue plus tôt, cela aurait induit que son parcours professionnel est teinté par cette histoire. J’ai aimé la façon dont ça a été amené, et que tout ne soit pas centré sur le fait qu'elle est autochtone. 

crédit photo : Productions BLIKTV 

 

Est-ce un défi de jouer dans une série écrite par des autrices non autochtones?

Le fait que l’on soit plusieurs Autochtones sur le tournage m’a donné confiance pour dire « OK, ça non, ça ne se fait pas comme ça dans nos communautés » ou « telle chose ne fait pas partie de nos valeurs ». Il y avait une belle ouverture de la production et de Jim Donovan, le réalisateur, qui nous demandait ; «OK, tu dirais ça comment? Que proposes-tu? » Il y a une prise de conscience sur cet aspect sur les plateaux parce qu’on parle davantage des Premières Nations et qu'il y a plus de diversité à la télévision

 

Justement, les rôles que l’on vous propose sont-ils plus diversifiés? 

Ça s'est amélioré, même s’il y a encore du chemin à faire. Oui, il y a souvent des problèmes d'alcoolisme, de drogue et de violence dans nos communautés, mais on a tellement d'histoires enrichissantes à raconter et à partager. Concernant la diversité des rôles, ça tend à changer un peu aussi. Pendant des années, j'ai eu l'impression qu'on me choisissait parce que je faisais partie de la diversité, pas nécessairement pour mon talent. C’est un complexe de plus qu'on a comme actrice, de se demander si on est vraiment bonne. C’est d’ailleurs ce que j’ai apprécié dans le film Jour de merde.

 

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Qu’est-ce que ça prend, pour raconter ces histoires-là?

Pour pouvoir raconter des histoires différentes et montrer qui on est, ça passe par du contenu créé et réalisé par des Autochtones. On l'a vu avec la série Pour toi Flora. Les gens nous disaient que notre façon de raconter est un peu plus lente, et c’est vrai que c'est comme ça chez nous; on a une douceur pour raconter les choses. C’est ce que j’apprécie beaucoup chez la scénariste et réalisatrice Sonia Bonspille Boileau. Peu importe ce qu'elle raconte, il y a toujours cette douceur, ce petit quelque chose qui fait que tu comprends d'où ça vient. Mais on va aussi pouvoir raconter des histoires plus comiques, parce qu'on est très drôles! Pour Dans un territoire près de chez vous, je me suis promenée partout au Québec dans les Premières Nations, et chaque fois, c’était avec l’humour que l’on connectait. 

 
crédit photo : Radio-Canada

 

Vous intéressez-vous à la production? 

Oui, je m’y intéresse. On sort de plus en plus des grands centres, on veut faire plus de cinéma en région. Certaines productions se sont même promenées dans les communautés pour justement mettre de l’avant les membres des Premières Nations. Il y a tellement de beaux endroits! Si on pouvait produire, monter des projets et réaliser des films dans nos communautés, ça créerait de la main-d'œuvre, ça nourrirait des passions chez les jeunes et ça leur ouvrirait des portes. Moi, je me disais que je ne pourrais jamais devenir actrice parce que j'habitais loin et que j’étais autochtone. 

 

Dans Eaux turbulentes, le fils de Marianne et Joe veut reconnecter avec ses racines. Vous êtes-vous retrouvée dans ce personnage? 

Oui. Comme mon père était policier, on a beaucoup déménagé quand j’étais jeune. On a vécu dans des villes qui n'étaient pas autochtones; je n'ai pas passé beaucoup de temps dans ma communauté et je n'ai pas appris ma langue. Quand j'allais quelque part, on me demandait : « T’es pas blanche, t'es quoi? » Dans ma communauté, les enfants me disaient : « T'es qui, toi? » J’étais constamment dans un entre-deux. Même si j'apprends tranquillement ma langue, pas assez vite à mon goût, je me sens encore parfois comme une impostrice. Pourtant, ma communauté ne m'a jamais fait sentir comme ça. Aujourd’hui, j'ai le goût de me reconnecter plus. On a construit un chalet sur la terre de ma famille et on y va avec nos trois garçons pour qu’ils apprennent leur culture. Et nous vivons maintenant à Uashat.


crédit photo : Albert Camicioli

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à déménager sur la Côte-Nord?

C’est une idée que j’avais dans la tête pour pouvoir passer du temps avec mon père qui était malade. Nous sommes très proches dans la famille, et on a été avec lui jusqu’à la fin, c’était tellement beau! Quand je suis rentrée à Gatineau, j’ai réalisé que j’avais besoin d'être chez moi, du soutien de ma famille, de me rapprocher d’elle et de ma communauté. Même si je ne connaissais pas tant de personnes, ça m’a apporté un sentiment de sécurité et de chaleur humaine. À la mort de mon père, mes priorités ont changé, et ma famille passait avant tout. Quand j’ai fait le saut pour venir à Uashat, en 2018, je me préparais à faire une croix sur ma carrière d'actrice et de réalisatrice. Puis, j’ai eu la chance de collaborer avec le Wapikoni mobile et j’ai réalisé que concilier les deux, ça se pouvait. Depuis, j’ai eu beaucoup d'opportunités, et l’aspect positif de la pandémie, c’est qu’on utilise maintenant beaucoup la visio!

 

Pouvez-vous nous parler de Jour de merde, qui sort le 24 mars prochain?

Je joue une mère monoparentale dont l’ex-copain est un pervers narcissique et qui doit, dans le cadre de son travail à Loto-Gold, partir à la rencontre d’un ermite (Réal Bossé). Et elle va passer une journée de merde! N’importe qui aurait pu endosser ce rôle, ça a adonné que c'était une Autochtone, donc j'ai vraiment senti que j’avais été choisie pour mon talent. Kevin T. Landry, le réalisateur, a l'esprit ouvert depuis longtemps, c’était très naturel pour lui. Ce rôle-là m’a aussi aidée à prendre confiance, puisque mon personnage est énergique et vit une grande palette d’émotions. J’ai vu ça comme un défi parce que, souvent, je joue des personnages plus stoïques, posés, en contrôle. Et puis, ça m’a aussi permis de fermer une porte sur une relation toxique que j’ai vécue il y a très longtemps. Kevin ne réalise pas à quel point ce rôle m’a fait du bien! Surtout, je me suis beaucoup amusée sur le tournage, il y avait une équipe de feu! 

 

Eaux turbulentes 2, les jeudis à 19 h sur ICI ARTV.