Dorian Danielsen, designer de couverture de livres
Patrick Dupuis
1 juin 2020
Racontez-moi un souvenir de jeunesse qui a pu avoir une influence sur votre choix de devenir designer.
Comme tous les enfants, j’ai toujours plus ou moins dessiné. J’étais et je suis toujours un fan des livres qui décrivent de façon réaliste, et presque documentaire, des mondes imaginaires. Ceux qui détaillent le mode de vie, l’anatomie, les moeurs de créatures fantastiques.
Le plus réussi à mes yeux est Les Gnomes de Wil Huygen, un livre de 1976 édité en français par Albin Michel. Déjà vers 7 à 8 ans, ce qui m’amusait le plus était de faire des plans de maisons, châteaux, bunkers secrets, de la cartographie de pays fictifs, des fausses cartes d’agent secret et des fiches descriptives de personnages. En fait, de la création plus proche des arts appliqués que de l’art tout court. De plus j’ai grandi dans un environnement plutôt artistique où on ne m’a jamais découragé à m’investir dans le domaine de la création.
Vous êtes designer graphique et illustrateur, avec une spécialité en design de couvertures de livres. En vos mots, décrivez-moi votre style artistique.
Que ce soit en illustration ou en design, j’essaie d’être le plus synthétique possible. Que le message ne passe que par une seule idée visuelle. J’ai toujours considéré le travail de la couverture comme celui d’une affiche devant laquelle on aurait pas le temps de s’attarder trop longtemps. Après quand c’est possible, c’est toujours payant de savoir faire un pas chassé par rapport au sujet traité. D’y apporter un point de vue et aller vers quelque chose de plus conceptuel. Jouer autour du sujet plutôt que mettre les deux pieds dedans. J’aime faire appel à l’intelligence et à la sensibilité du spectateur. Après, le marché de l’édition étant ce qu’il est, il m’arrive aussi très souvent de faire du design grand public. Mais malgré tout, je m’efforce d’insérer une idée, un concept et pas seulement de faire une redite visuelle du titre du livre.
Parlez-moi de l'importance de la lecture et la littérature dans votre vie.
Paradoxalement je ne lis jamais, hormis les romans sur lesquels on me demande de travailler. Et même dans ce cas, il est très rare que je dépasse les deux tiers du livre. J’aime ne pas connaître le fin mot de l’histoire lorsque je dois réaliser une couverture de livre. Je préfère rester sur ce suspense pour garder une approche créative plus libre.
Par contre, je suis un très grand lecteur de bande dessinées. Plutôt les trucs indés et les histoires de vie quotidienne où les personnages s’emmerdent un peu. J'affectionnent les comics des années 70 et 80 et les auteurs comme Adrian Tomine, Seth, Daniel Clowes et bien sûr, Michel Rabagliati.
Comment alimentez-vous votre inspiration?
C'est vraiment sur internet que je puise mon inspiration. En faisant de la veille constante, en suivant les artistes que j’admire et en essayant d’en découvrir de nouveaux le plus possible. Mes onglets de favoris de ma barre de recherche sont pleins à craquer au point que ça en devient contre-productif!
Après avoir travaillé sept ans aux Éditions Bayard à Paris, vous avez traversé l'Atlantique pour poursuivre votre création à Montréal. Que signifie pour vous ces deux métropoles?
Ces deux endroits raisonnent comme deux étapes dans ma vie. J’ai débuté ma carrière à Paris en tant que salarié d’une maison d’édition, en faisant un peu de la pige à côté. Mais le gros de ma production était dicté par mon employeur. J’y ai fait mes premières armes dans des conditions exceptionnelles, entouré de gens très talentueux auprès de qui j’ai véritablement appris le métier. Par la suite, Montréal est devenu pour moi le symbole de mon émancipation. Je me suis mis à mon compte dès mon arrivée et c’est ici que je suis devenu mon propre patron en quelques sorte. D’une certaine manière, cela m’a poussé à affirmer de façon plus franche mes choix créatifs.
Expliquez-nous l'importance de la couverture d'un livre?
Même s’il n’existe pas de recette immuable, l’important est de traduire une ambiance, un ton, une amorce de narration visuelle. Il est aussi important de ne pas trahir le lecteur, ne pas trop lui en dire, attiser sa curiosité et laisser planer une part d’inconnu. Par exemple je n’aime pas utiliser des visages trop identifiables. C’est voler une partie de l’imaginaire du lecteur.
Quelle est l’ambiance propice à trouver vos meilleures idées?
Tard le soir, quand tout le monde est couché chez moi et que dehors les réverbères sont allumés. C’est un bon moment pour créer de l’intime et du singulier. Idéalement, il faudrait que je travaille dans un phare ou dans une maison un peu isolée en forêt. La musique est importante, elle comble bien le vide de la page blanche mentale. Je ne suis pas capable de rester à plancher sur un concept très longtemps. Mon cerveau n’a jamais bien fonctionné sur la durée. J’alterne donc entre 15 minutes de réflexions et 45 minutes d’autre chose. C’est souvent quand on n'y pense pas que l’inconscient devient le meilleur terreau à idées.
Quels sont vos couvertures de livres favorites?
Il y en a des centaines! J’aime particulièrement celles qui abordent une approche contemporaine du classicisme. En gros, celles qui donnent le sentiment d’avoir été faites il y a 50 ans, mais dont certains détails trahissent l’origine contemporaine. Un illustrateur comme Pascal Blanchet par exemple, est tout à fait dans cette veine. C’est assez anglo-saxon comme approche graphique. La première fois que j’ai pris conscience de ça, c’était il y a une dizaine d’années, en découvrant le travail de cover artists comme Alex Merto, Janet Hansen ou Derek Thornton. Ça a été le point de départ d’une nouvelle façon de considérer mon métier.
Quels artistes vous inspirent?
J’ai toujours été bluffé par le studio DKNG qui sont spécialisés en affiches de concerts. Que ce soit au niveau conceptuel ou graphique, ce sont des maîtres en la matière. On peut observer leur processus créatif en vidéos sur leur siteweb. À chaque fois, ça me donne envie de raccrocher les gants tellement ils sont bons!
En illustration, je suis un très gros fan de Mike Mignola. C’est un auteur et illustrateur de comics surtout connu pour sa série Hellboy. C’est synthétique, radical, intemporel et avec un sens de la composition impeccable. Son univers est très singulier avec ses savants fous, ses mythes antiques et ses légendes urbaines. Une sorte de mélange entre Ghostbusters et H.P. Lovecraft.
Pour ce qui est des covers artists, il y en a tant. Commençons par l'incontournable Chip Kidd qui a beaucoup compté pour la reconnaissance contemporaine du métier. Il a, entre autres, réalisé la couverture du roman The Lost world, qui sera adapté au cinéma sous le nom de Jurassic Park. Le logo de l’affiche du film, le crâne fossile du tyrannosaure, n’est rien d’autre que la reprise du design de sa couverture! Allez voir ses conférences sur internet, c’est très enrichissant.
Puis, je citerais le designer de Chicago David Fassett. Beaucoup de ses couvertures sont des petits chefs-d’oeuvre. Il possède une richesse et une minutie graphique impressionnante.
Quel serait l’un des vos rêves de création les plus fous?
Bosser pour l’éditeur Penguin Books. Dans leur catalogue on trouve parmi les couvertures les plus iconiques du monde de l’édition anglo-saxonne. Je me sentirais très flatté de côtoyer certaines d’entre elles.
Quels sont les projets qui sommeillent dans la tête de Dorian Danielsen?
Continuer ma chaîne YouTube d’analyse BD, mais le temps me manque. Sinon je pense régulièrement à faire des ateliers autours de mon métier. L’enseignement m’a toujours attiré.
Quel est votre meilleur conseil à donner à un ou une jeune artiste en devenir?
J’aime beaucoup cette phrase de Paul Rand : «N’essayez pas d’être original, contentez-vous d’être bon.» C’est finalement un conseil bien plus profond qu’il n’y parait. Et plus personnellement je rajouterais: Ne cherchez pas à faire du beau, cherchez avant tout à faire du sens.