Elisapie : célébrer les peuples autochtones à travers la musique
Claire-Marine Beha
8 juin 2023
Place à la fête et aux cultures autochtones! Le grand solstice, diffusé le 19 juin à 20 h sur ICI ARTV, met de l’avant des talents musicaux issus des différentes communautés afin de souligner la Journée nationale des peuples autochtones qui aura lieu le 21 juin, jour le plus long de l’année.
L’émission de variétés fait converger musique, chant, danse et rencontres chaleureuses propices aux échanges entre artistes autochtones et allochtones dans une démarche qui allie héritage et modernité. Pour sa troisième tenue, Le grand solstice débarque en ville – au cœur du territoire urbain de Tiohtià:ke (Montréal), pour un spectacle encore plus joyeux et rassembleur. Se réuniront lors de cette grande célébration : Elisapie, Florent Vollant, Laura Niquay, Shawnee Kish, Joseph Sarenhes, Kanen, Milk & Bone, Soleil Launière, Martin Lizotte et Valaire.
À l’occasion de cet événement qui désire transmettre le riche patrimoine culturel des Premières Nations, des Inuit et des personnes métisses, nous avons discuté avec l’artiste Elisapie, instigatrice et productrice de l’événement.
Bonjour Elisapie! Parle-moi de la genèse du Grand solstice.
Je voyage un peu partout pour rencontrer d’autres personnes autochtones et j’ai réalisé que le Québec n’était pas très avancé en matière de célébration autochtone. En fait, la majorité des gens que je connais, des personnes pourtant cultivées et ouvertes, ne savaient même pas qu’on célébrait la Journée nationale des peuples autochtones le 21 juin. J’imagine que c’est parce qu’on [les Autochtones] a l'habitude de ne pas prendre trop de place. Je me suis dit que c’était bien beau de se plaindre que les choses n’avancent pas et qu’on manque de visibilité, mais pourquoi ne pas passer à l’action?
C’était un peu épeurant, car c’est un projet d’envergure qui n’implique pas juste moi, mais met en lumière plusieurs artistes autochtones de manière inclusive. Ma vie d’artiste est déjà prenante, alors j’ai dû faire un peu de place à ce nouveau rôle de productrice. C’était à la fois intrigant et excitant de se lancer dans cette aventure! En plus de la musique, on parle aussi des diverses traditions et du passé avec les artistes, mais dans une approche très contemporaine. Avec ma partenaire Marie-Carole Noël, on a proposé ce projet à Radio-Canada, et voilà trois ans qu’il existe.
Crédit photo : Fabrice Gaëtan.
En effet, cette année marque la troisième présentation de l’émission. Quels apprentissages ont été tirés jusqu’à présent?
J’ai appris qu’on ne peut pas à tout prix avoir tout le monde, car les artistes se déplacent parfois de loin. On est une petite équipe et c’est compliqué d’essayer de rejoindre certaines communautés. Par exemple, on voulait inviter un groupe de Manawan, mais on a dû abandonner pour des raisons logistiques. Souvent, c’est assez compliqué et cher pour des vols en provenance du Nunavik, du nord du Québec, pour faire venir des Naskapis, des Cris ou encore des Autochtones qui vivent aux États-Unis ou de l’autre côté du pays. On aspire à avoir une belle diversité chaque année, mais pour le moment, on est réalistes et on tente de faire du beau malgré les contraintes.
On apprend aussi qu’il y a beaucoup d’Innus musiciens [rires]! Au départ, on voulait un ou une seule artiste par nation, mais on a vite compris que ça devenait trop calculé. On y va donc avec celles et ceux qui sont disponibles cette année, qui sont volontaires, qui rayonnent, qui ont quelque chose à offrir au public. La bonne nouvelle, c’est qu’on a des listes d’attente avec des interprètes incroyables pour les prochaines éditions.
Les deux premières années, on avait le sentiment de devoir prouver que le show méritait sa place, mais cette année on se sent plus en confiance.
Ariane Moffatt et Anachnid lors du Grand solstice 2022. Crédit photo : Fabrice Gaëtan
Au sein des musiciens et musiciennes autochtones, quelle a été la réception du Grand solstice?
Elle est très bonne. C’est une impression d’être célébré, d’avoir la première place. Généralement, on est toujours les invités, mais là, c’est l’inverse, ce sont les artistes autochtones qui invitent les amis allochtones. Je crois que les artistes sont très touchés de voir se déployer cette émission et d’y contribuer lorsqu’ils participent, car tout est le plus vrai possible. On bâtit Le grand solstice à la façon autochtone, avec une approche moderne, généreuse et collaborative.
Cette année, Milk & Bone et Valaire rejoignent notamment la cohorte d’interprètes. Pourquoi désirez-vous rassembler des artistes autochtones et allochtones?
Certains musiciens allochtones sont nos amis. Se côtoyer, c’est notre réalité. On invite des personnes allochtones ouvertes, dont on apprécie la musique et la manière de travailler. On a aussi simplement voulu jumeler des artistes et des chansons qui fonctionnent bien ensemble. Cette année, je performe avec le duo Milk & Bone, et nos deux chansons fonctionnent tellement bien ensemble. Pareil pour Joseph Sarenhes et Valaire.
Au-delà de la musique, il y a des échanges entre les interprètes; la magie opère lors de ces rencontres et des amitiés se construisent. En tant que productrice, je tiens vraiment à ce que l’expérience soit chaleureuse. On veut vivre quelque chose ensemble. Sinon, pourquoi amener ça à la télé?
On veut laisser la musique parler et être un moyen de connecter.
Joseph Sarenhes et Valaire performeront ensemble lors de la troisième édition du Grand Solstice. Crédit photo : Fabrice Gaëtan
Comment s’est déroulée la sélection des musiciennes et musiciens cette année?
On cherche toujours à avoir une sélection qui est le reflet de la diversité des communautés autochtones. C’est également important d’avoir des artistes connus du grand public qui invitent les gens à regarder le spectacle; on le sait que ça prend ça. On veut aussi faire de la place à la relève. On ne fait aucun choix aléatoire et on prend le temps d’inviter des artistes qui ont une pertinence et une volonté de divertir. On veut créer une bonne émission de variétés. Car oui, on aborde certaines traditions, mais on n’est pas un documentaire.
Cette année, l’émission est ancrée à Montréal, alors on a beaucoup réfléchi à cette thématique plus urbaine, le côté éclectique et dreamy de la métropole. On a monté une émission avec beaucoup d’énergie et de couleurs. De plus, on est très heureux d’avoir Florent Vollant avec nous cette année; pour moi, c’est comme recevoir une bénédiction. Il est venu accompagné de son fils sur le tournage, et son discours m’a émue aux larmes, c’était un très beau moment. Avoir également un jeune Wendat-Guinéen comme Joseph Sarenhes, un musicien hip-hop super dynamique, c’est génial aussi.
Florent Vollant (à droite) et son fils Mathieu Mckenzie sur le tournage du Grand solstice 2023. Crédit photo : Fabrice Gaëtan
Comment appréhendes-tu tes rôles de musicienne et productrice pour cette émission?
Mes deux fonctions me font voir les choses de manière complémentaire. Je cherche l’équilibre en tant que productrice dans les coulisses. Et en tant qu’artiste, je trouve que le bien-être des interprètes est important. J’ai une exigence pour bien performer moi-même. Je sais ce qui aide, ce qui est important, ce qui est moins anxiogène, etc. J’essaye donc de faciliter leur travail.
De plus, la première édition, j’avais performé, mais pas l’an dernier, car ce n’est pas mon émission en tant qu’artiste non plus, même si Le grand solstice reste mon bébé! Cette année, j’ai de nouvelles chansons, alors je vais chanter.
Finalement, c’est toujours l’envie de bâtir des ponts qui m’anime. On n’a pas le choix, il y a encore beaucoup de travail devant nous pour faire connaître la culture autochtone et faire réaliser aux gens qu'on n'est pas enfermés dans une communauté ni repliés sur nous-mêmes. Cette fausse croyance doit être brisée, car elle génère de la violence, du racisme, de l’intolérance. On est partout, on crée, on partage les mêmes espaces. Alors faire Le grand solstice dans un cadre que tout le monde connaît, Montréal, c’est une manière de dire : « Oui, nous sommes là. » C’est plus facile pour les gens de nous voir loin, pas avec eux, mais je ne tolère plus cette vision-là.
Il faut arrêter de nous voir à travers un regard colonialiste et se dire « Oh, eux autres débarquent en ville. » Non, c’est aussi notre lieu, mais jusqu’à présent on ne voulait pas nous voir.
Kanen sera en prestation à la Biosphère lors du Grand solstice 2023. Crédit photo : Fabrice Gaëtan
De quelle façon souhaites-tu voir grandir Le grand solstice?
Qu’il ait de plus en plus de notoriété, c’est certain, mais je crois que Le grand solstice est parfait tel qu’il est. Ce que je souhaiterais, c’est qu’il y ait d’autres émissions qui mettent en valeur nos cultures, de voir plus de spectacles de variétés, modernes, qui mélangent nos langues, nos racines. On ne veut pas être la seule émission de la sorte. J’aimerais en fait que Le grand solstice ait une petite sœur, un cousin, etc., et que ces projets-là fassent en sorte que ça devient normal d’écouter et voir des artistes autochtones à la télévision.
Ne manquez pas la diffusion du Grand solstice, lundi 19 juin à 20 h à ICI ARTV et le 21 juin à 20 h sur ICI Télé.