Monarchie britannique : discussion avec un passionné

Monarchie britannique : discussion avec un passionné

ICI ARTV s’est entretenu avec le lieutenant-colonel Carl Gauthier, qui est aujourd’hui le directeur des distinctions honorifiques et reconnaissance à la Défense nationale du Canada. Son intérêt pour la monarchie, particulièrement de l’histoire reliée à celle-ci, est tel qu’il a même accepté de passer de major à capitaine, donc d’être rétrogradé, afin de saisir l’opportunité de côtoyer de très près la famille royale, particulièrement le Prince de Galles. Il est sans contredit le plus grand connaisseur canadien francophone.

Rencontre avec un passionné
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Monsieur Gauthier, expliquez-nous le poste que vous occupez.
Carl Gauthier : Je suis le directeur des distinctions honorifiques et reconnaissance à la défense nationale. Mon équipe et moi sommes responsables de remettre les reconnaissances, donc des médailles, à toutes les personnes militaires qui ont fait des services qui sont méritoires. Il y a plusieurs types de reconnaissances : le mérite militaire, des décorations pour des actes de bravoure, les médailles de campagnes pour services en Afghanistan ou en Irak, reconnaissances et distinctions étrangères pour les membres des forces canadiennes, etc. Je suis le directeur depuis 2013.

Racontez-nous jusqu'où remonte votre passion pour l’Angleterre, la famille royale et la monarchie? 

Carl Gauthier : Ça remonte à très loin. Ce n’est pas relié particulièrement à la famille (royale). Je suis personnellement originaire de l’Est du Québec, à Mont-Joli. La Famille royale n’est pas le sujet de prédilection dans ce coin de la province! (Rires) Mes parents ne sont pas particulièrement intéressés à ça non plus. C’est un intérêt personnel qui s’est développé et je pense que appartenance aux cadets de l’aviation et surtout grâce au commandant de l’époque François Dornier de l’Escadron 736 des cadets de l’aviation à Mont-Joli. Il était passionné d’histoire et il connaissait très bien le sujet. Il a piqué ma curiosité. Je me suis mis à m’intéresser à cela, à lire là-dessus, à m’informer.

Mais depuis toujours, je suis attiré par l’Angleterre et ses traditions. En lisant, je me suis rendu compte du rôle constitutionnel important de la monarchie qui fait partie de notre histoire ici également, au Canada. Comme vous savez, nous n’avons pas eu de révolution contrairement aux États-Unis et à la France. Nous on parle plutôt l’évolution. Nous sommes partis d’une monarchie absolue et nous sommes maintenant devenus l’une des premières démocraties au monde, mais tout en gardant notre système monarchique.

La pierre angulaire c’était définitivement mon voyage  d’échange avec les cadets de l’aviation en Angleterre en 1993. J’avais été sélectionné pour participer à cet échange et ça a vraiment scellé ma passion pour l’Angleterre et tout ce qui concerne ce pays.

J’ai eu l’occasion d’entrer en contact pour une première fois, de loin, avec un membre de la Famille royale : le prince Édouard, qui est plus tard devenu le Comte de Wessex. Il était présent à un événement où nous étions. Ce fut ma première rencontre officielle avec un membre de la Famille royale. Depuis ce temps, j’ai continué à me passionner pour ça et dans le cadre de mon travail, j’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres membres par la suite.

 

Vous considérez-vous « fan » de la Famille royale?
Carl Gauthier : Je ne suis pas « fan » dans le sens que je m’excite de la façon dont ils sont habillés! (Rires) L’intérêt dans la monarchie ce n’est pas l’apparence, mais bien la fondation historique et l’importance constitutionnelle du rôle. Oui, en principe, c’est plus un rôle qui est symbolique, mais il demeure quand même des pouvoirs résiduels qui sont importants. Si, par malheur, un premier ministre ou un gouvernement en venait à vouloir utiliser de leur pouvoir de façon non constitutionnelle, ça serait le rôle de la Reine, ou le gouverneur général au Canada, de mettre son pied à terre et de refuser une action.

 

L’intérêt dans la monarchie ce n’est pas l’apparence, mais bien la fondation historique et l’importance constitutionnelle du rôle. 

- Lieutenant-colonel Carl Gauthier

 

Qui avez-vous eu la chance de côtoyer et dans quel contexte?
Carl Gauthier : J’ai été en présence de la Reine à plusieurs reprises. À Ottawa, en 2002, j’ai eu la chance d’assister à la cérémonie de son jubilé  d’or. J’avais aidé à quelques événements, je l’ai vue de très près cette fois-là.

J’ai également pris part à des Garden Party, des soirées au Palais de Buckingham un été, alors que j’étais de passage à cet endroit. À travers un de mes amis de l’aviation qui était à ce moment affecté en Angleterre, j’ai été formellement présenté à la Reine lors de sa visite au pays en 2010. C’était le soir avant qu’elle parte pour les Nations Unies et c’était la dernière fois où elle a été au Canada. J’ai agi à ce moment-là comme maître de cérémonie pour présenter tous les Canadiens qui assistaient au dîner d’État ; c’est moi qui présentais tout le monde.

Ils m’ont par la suite présenté à elle et j’ai eu la chance de présenter les 350 plus grands Canadiens à la Reine du Canada en personne! C’était définitivement une expérience inoubliable.

J’ai également été maître de cérémonie à quelques événements où la Reine était présente, notamment en Normandie en 2004 et surtout le redévoilement du monument de Vimy en 2007 après la grande restauration. La Reine était venue l'inaugurer. Je dois vous dire que de présenter la Reine du Canada à 30 000 Canadiens sur la colline de la crête de Vimy 90 ans après la grande bataille alors qu’il y avait près de 2 millions de Canadiens qui regardaient en direct, c’était certainement l’un des plus grands moments.

 

Sa majesté la Reine Elizabeth II en 2007 lors du redévoilement du monument de Vimy en France. À sa gauche, Carl Gauthier, alors maître de cérémonies. Photo : Archive personnelle de Carl Gauthier 

Quant au Prince Charles, ma plus grande rencontre c’était évidemment lorsque j’ai été son écuyer pendant la visite royale de 2009. Je suis allé en Angleterre passer deux semaines avec eux pour un peu m’accoutumer et apprendre comment ça se passe. On est ensuite retourné au Canada et j’étais à leurs côtés pendant tout le voyage : on parle de 68 événements dans cinq villes différentes, dans quatre provinces différentes en dix jours. C’était extrêmement intense, mais c’était une expérience absolument inoubliable. J’ai eu des moments privilégiés, seul à seul avec le Prince de Galles et la Duchesse de Cornwall. C’était vraiment très intéressant.
 

Carl Gauthier, alors écuyer écuyer canadien, escortant le Prince de Galles pour déposer sa gerbe au Monument national du Guerre à Ottawa lors de la cérémonie du jour du souvenir le 11 novembre 2009. Photo : archive personnelle de Carl Gauthier.  

Par la suite, en 2012, j’ai été maître de cérémonie à Toronto où le Prince était ici à l’occasion du Jubilé de diamant de la Reine. En 2014, pour la commémoration du débarquement de Normandie, j’étais également maître de cérémonie.

Et finalement, de nouveau, en 2017, lorsqu’il est venu pour le 150e anniversaire du Canada, le Prince Charles, il se souvenait de moi, a su que j’étais là et il a demandé à me rencontrer moi et un autre de ses anciens écuyers. On a eu la chance de parler avec lui pendant quelques minutes.

 

La question que tout le monde se pose : comment ça se passe une rencontre avec le Prince de Galles, de quoi discutez-vous?
Carl Gauthier : Il m’appelle par mon prénom! La dernière fois que je l’ai vu pour la Fête du Canada, il a regardé mes manches et il m’a dit en les pointant, tout bonnement: « Wow, tu as été promu! » Il l’avait remarqué! Il m’a ensuite demandé si j’étais toujours dans le domaine des décorations et des médailles. Pour lui, ce n’est pas seulement un item que l’on met sur les uniformes! Il s’agit d’un sujet qu’il connait très bien, qui l’intéresse grandement. Il est d’ailleurs président d’honneur de la Orders and Medals Research Society en Angleterre. Je suis membre d’une des branches canadiennes de cette organisation.  Il s’agit d’une société qui est consacrée à des gens qui se passionnent des ordres des décorations des médailles et qui font de la recherche sur le sujet.

Il se souvenait clairement de moi et de notre rencontre en 2012 à Toronto. Il m’avait posé alors le même genre de questions. Il a une très bonne mémoire considérant le nombre de personnes qu’il rencontre!

 

Le Prince de Galles et Carl Gauthier, en 2009. Photo : archive personnelle de Carl Gauthier. 

Comme passionné de la monarchie et de l’histoire de l’Angleterre, comme vous sentez-vous d’avoir pu passer autant de temps auprès d’eux?
Carl Gauthier : Dans ce contexte, il faut toujours rester professionnel. Il faut évidemment savourer le moment où on a un peu la chance de côtoyer l’histoire, d’une certaine façon.

 

Est-ce que vous êtes un collectionneur?
Carl Gauthier : C’est certain que ma maison est pas mal pleine. Évidemment, j’ai collectionné plusieurs items avec les années. C’est sûr qu’il y a des items qui sont faciles à trouver, mais au fil du temps, j’ai réussi à trouver des items un peu plus uniques ou particuliers. Par exemple, des photographies signées de la main de membres de la famille royale et de gouverneurs généraux passés, j’ai aussi un des bancs qui a servi lors du couronnement du roi George VI en 1937 à Westminster, à Londres. Ceux qui assistaient à la cérémonie pouvaient les acheter l’un des bancs qui a servi au couronnement du Roi. Ça aidait à réduire les coûts. Malheureusement, on ne sait pas qui les a utilisés, mais je les ai trouvés pendant la visite royale avec le Prince de Galles lors de notre arrêt à Vancouver. Ce dernier était d’ailleurs très intéressé par ma trouvaille.

 

Quel est l’item de collection que vous chérissez le plus?
Carl Gauthier : J’ai reçu une photo du Prince de Galles autographiée et encadrée avec son insigne. Il m’a également offert des boutons de manchette en argent émaillé bleus. Ça, c’est un cadeau que j’ai reçu personnellement de lui. Pour moi, c’est certain que ça a une plus grande valeur que d’autres items que j’achète, surtout quand on ne connait pas l’histoire ni la provenance de l’objet. Ce cadeau représente aussi toute l’interaction que j’ai eue avec lui. Une valeur hautement symbolique, plus que monétaire évidemment.

 

En tant que grand connaisseur et passionné de la monarchie et de la famille royale, qu’est-ce que vous répondriez aux Canadiens qui sont lassés que ce lien avec l’Angleterre persiste après tant d’années?
Carl Gauthier : Je reviendrais avec ce que je vous ai mentionné plus tôt : ça fait partie de notre histoire. Ce n’est pas seulement une histoire reliée aux Britanniques. On en a fait notre propre monarchie depuis longtemps, maintenant. Depuis que les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, on est sous une monarchie : sous les Français, sous les Britanniques  et ensuite le Statut de Westminster de 1931. Depuis, la monarchie canadienne est indépendante de la monarchie britannique. C’est la même personne qui porte la couronne, mais ce sont des couronnes qui sont légalement distinctes. Le système a évolué et évidemment la plupart des pouvoirs qui étaient dans les mains du Roi, il y a 400 ans, ont été mis dans les mains d’élus démocratiquement. La monarchie demeure quand même le symbole national, et il s’agit d’un symbole qui est apolitique. La politique est ce qu’elle est : tout le monde ne vote pas nécessairement pour la personne qui a le pouvoir, les points de vue politiques vont différer. Mais il y a un grand avantage à avoir un chef d’État qui n’est pas coloré par la politique et qui a un certain niveau de permanence, alors qu’on est dans un monde de grands changements de plus en plus rapides et fréquents, c’est rassurant d’avoir quelque chose qui est ancré dans l’histoire et qui est permanent.


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