Rencontre littéraire Pour emporter avec Gabriel Nadeau-Dubois
Caroline Bertrand
5 janvier 2021
Le député de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois, né en 1990, ne sait pas seulement défendre sa vision oralement; il le fait également avec clarté à l’écrit. En témoignent ses deux essais, Tenir tête, sorti au lendemain de la grève étudiante de 2012, dont il a été un porte-étendard, et sa Lettre d’un député inquiet à un premier ministre qui devrait l’être, sur l’urgence de contrer les changements climatiques, adressée directement à François Legault en 2019. C’est sans compter l’apport de celui qui est aujourd’hui leader parlementaire à Ne renonçons à rien, ouvrage découlant de la tournée québécoise « Faut qu’on se parle ».
Gregory Charles a d’ailleurs raconté à l’émissionPour emporter qu’il recommanderait Tenir tête, qu’il a adoré, aux nouveaux venus au pays « pour que les gens qui arrivent ici voient qu’on a le droit d’écrire ça, de rêver la société comme étant mieux ».
Rencontre littéraire avec Gabriel Nadeau-Dubois, politicien qui aime pousser ses réflexions.
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Tu as étudié en philosophie à l’université. Qu’est-ce qui t’y a mené?
J’ai toujours aimé réfléchir, me poser des questions. Après mon diplôme en histoire sociale, j’ai ressenti le besoin de comprendre les tenants et aboutissants théoriques et philosophiques de ce que j’étudiais. Je suis donc allé faire de la philosophie, parce que j’avais envie de sortir de la pratique et du concret. Ce détour par la philosophie m’a donné des acquis qui me servent tous les jours. Ça peut avoir l’air d’une parenthèse inutile, mais c’est tout le contraire. Ce sont vraiment des études qui m’ont transformé et qui me donnent, encore aujourd’hui alors que je fais de la politique, beaucoup d’outils.
Est-ce qu’apprendre à vulgariser des concepts ainsi a pu teinter ton écriture?
Oui, parce que la première chose qu’on apprend en philosophie, c’est à lire. On lit en quantité industrielle, parce que la meilleure façon d’apprendre à écrire, c’est de lire.
Parlant de lecture, quelle place occupe la lecture dans ta vie aujourd’hui?
Une place pas assez grande; beaucoup moins que ce que je voudrais. J’ai de la difficulté à trouver le temps et, je dirais, l’énergie mentale. Je suis souvent très, très fatigué, alors lire le soir est difficile parce que je tombe systématiquement endormi. Ça me manque, mais j’essaie de me rattraper en vacances – pour les Fêtes, j’avais une liste de lecture interminable. Je ne réussirai probablement pas à lire tous les livres de ma liste – c’est le propre des listes de lecture. Mais j’attends avec impatience d’avoir non seulement le temps, mais aussi l’énergie pour lire. C’est sans doute un des sacrifices que j’ai trouvés les plus difficiles quand je me suis lancé en politique.
Comment est né chez toi ce désir de militer pour des causes sociales, comme l’accès à l’instruction et les changements climatiques, au cœur de tes ouvrages?
Je suis né au sein d’une famille de militants. Mes parents se sont rencontrés dans le mouvement étudiant quand ils étaient jeunes. Mon père a été un syndicaliste et un organisateur communautaire toute sa vie. Ma mère est une avocate qui a défendu les droits des travailleurs et des travailleuses accidentés. J’ai toujours été dans un milieu où la politique, au sens large, et les débats de société étaient présents. Il y a toujours eu un exemplaire du journal sur la table le matin.
Du plus loin que je me souvienne, j’écoutais les nouvelles avec mes parents. Souvent, les gens me demandant quand j’ai commencé à m’impliquer, et il n’y a pas vraiment de début; je l’ai en fait toujours fait. J’ai des souvenirs de journées pédagogiques à l’école primaire où j’accompagnais mon père dans les manifestations.
« S’impliquer pour plus de justice dans la société, c’est le principal héritage de mes parents. »
Gabriel Nadeau-Dubois
Quelle est à tes yeux l’importance de véhiculer des pensées par l’écrit, par l’essai?
Quand j’ai écrit Tenir tête, ma volonté était de faire réfléchir à l’importance du mouvement étudiant de 2012 sur la société québécoise. C’était une invitation à aller au-delà des clichés médiatiques qui avaient été véhiculés sur cette mobilisation. C’était aussi l’occasion pour moi de dire des choses que j’avais envie de dire depuis des mois et que mes fonctions de porte-parole ne me permettaient pas. Il y avait une volonté de susciter un débat, mais il y avait quelque chose d’égoïste. Il y avait un besoin personnel de coucher certaines choses sur papier, de réfléchir à ce qui s’était passé et de faire partager mes réflexions. Et il y avait le besoin de le faire au « je ». Parce que, durant la mobilisation, je parlais au « nous ».
Comme porte-parole, j’avais peu de marge de manœuvre pour exprimer mes opinions. J’avais le besoin de renouer avec une parole qui était la mienne. Pour mes autres bouquins par la suite, la démarche a été différente : c’était d’alimenter des débats de société. J’ai toujours essayé de marcher sur la fine ligne entre des ouvrages que je voulais grand public tout en allant au-delà du superficiel. Ça m’a amené à essayer de trouver un style d’écriture qui est à cheval sur le récit et l’essai. Les Américains l’utilisent beaucoup – au Québec, il y en a peut-être moins. Il y a souvent des essais publiés qui sont très théoriques, très académiques, très poussés et, des fois, on est dans l’autre extrême : des livres qui ne permettent pas de pousser plus loin la réflexion.
Quels effets souhaitais-tu produire avec ton plus récent ouvrage, Lettre d’un député inquiet à un premier ministre qui devrait l’être?
J’espérais que les gens aient du plaisir à le lire. Ce n’est pas un roman policier, bien sûr, mais j’espérais que les gens aient envie de poursuivre la lecture. J’essaie de mettre en récit mes arguments, parce que quand on lit, par exemple, sur les changements climatiques, les injustices sociales ou l’éducation, il faut avoir du plaisir à lire sur ce genre de sujets. Je voulais que quelqu’un qui le reçoit en cadeau, qui n’est pas trop sûr, en lise quelques pages et ait envie de le finir.
L’écriture fait-elle encore partie de ta vie?
La réponse honnête, c’est non. J’ai encore énormément d’idées, mais je n’ai pas le temps de les concrétiser. Je trouve le temps d’écrire de courts textes, comme celui dans L’actualité sur les répercussions de la pandémie sur la société québécoise, mais plus substantiellement, c’est extrêmement difficile dans mon quotidien de trouver non seulement le temps – parce que trouver deux heures dans une semaine, ça se fait –, mais surtout du temps de réflexion, sans être dérangé.
Quand j’ai écrit Tenir tête, j’ai pris un an sans apparition médiatique pour trouver la sérénité de l’écrire. Quand j’ai écrit Lettre d’un député inquiet…, j’ai pris des blocs d’une semaine où je me déconnectais et me plongeais dans l’écriture. J’ai besoin de ce genre d’environnement pour écrire. Avec mes fonctions, c’est extrêmement difficile de trouver ces conditions. Mais ça me peine.
J’imagine, car je te vois comme un penseur. Tu dois aimer cette partie essayiste de toi.
J’ai ces deux parties-là en moi. Une partie plus intellectuelle, qui aime réfléchir et aller en profondeur, et l’autre plus militante, où j’ai envie d’intervenir dans les débats, de changer les choses. Je pense que mon parcours des huit dernières années oscille un peu entre ces deux parties-là. Maintenant que je fais de la politique à temps plein, c’est un défi constant de continuer à alimenter la partie plus intellectuelle de moi. Ça nécessite un effort, et je le fais. J’essaie de continuer à lire, à rester actif intellectuellement, je continue de m’entourer de gens qui réfléchissent.
« Je sais que si je ne fais pas cet effort, le quotidien va l’emporter. Ce n’est pas parce qu’on étudie à l’université qu’on garde nos aptitudes de réflexion théorique éternellement. Elles peuvent se faner si on ne les alimente pas. »
Gabriel Nadeau-Dubois
En matière de changements climatiques, le politique fait face à un paradoxe : devoir plaire pour être réélu, mais déplaire pour éviter la catastrophe écologique. Comment concilier ce dilemme?
Je n’ai pas la solution. Je ne sais pas comment on va se sortir de ce dilemme. C’est, selon moi, le grand défi des démocraties dans les prochaines années. Comment est-ce qu’on va, démocratiquement, être capables de s’imposer les limites et les sacrifices qui vont venir avec la transition écologique? Je ne suis pas le premier à montrer du doigt cette difficulté; des philosophes et des sociologues l’ont fait bien avant moi. Je ne prétends pas avoir la réponse, mais je vois la grande difficulté que ça représente.
Je pense que la classe politique a la responsabilité de s’élever au-dessus des réflexes électoralistes pour proposer un projet de transition écologique qui va mobiliser les citoyens et les citoyennes du Québec. Si l’on attend que, soudainement, tout le monde soit écologiste à temps plein pour engager les débats de société qu’on a besoin d’engager pour entamer la transition écologique, on va attendre beaucoup trop longtemps. Il va falloir que la classe politique prenne ses responsabilités et présente à la population les choix nécessaires. En ce moment, les gestes qu’on fait sont insuffisants. C’est ce que la science dit; ce n’est pas une opinion.
Je te remercie énormément, Gabriel.
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