Rencontre littéraire Pour emporter avec Ingrid Falaise
Philippe Côté-Giguère
11 septembre 2020
Vendredi, pour le premier épisode de la troisième saison de Pour emporter, France Beaudoin accueillera la fougueuse et pétillante Julie Snyder, qui s’ouvre sur des pans de sa vie plutôt méconnus, tels que sa vision du féminisme, ses ambitions politiques et ses peurs. Comme à son habitude, l’animatrice discutera avec son invitée de certaines œuvres qui l’ont particulièrement touchée et même parfois influencée de façon concrète. Parmi celles-ci, nous retrouvons notamment le livre autobiographique Le monstre, écrit par Ingrid Falaise et paru en 2015.
Pour en connaître davantage sur cette autrice, dont l’œuvre a non seulement marqué les esprits, mais provoqué de profondes réflexions sur nos agissements en société, nous avons discuté brièvement avec elle.
Voici le compte-rendu de cet entretien.
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Qu’est-ce qui t’a menée à l’écriture, autant en général qu’à celle de ton premier livre?
L’écriture est mon exutoire depuis que je sais écrire. Par le passé, j’ai écrit des poèmes, du rap, des slams, de la poésie; c’était le moyen que j’avais trouvé pour faire sortir mes émotions. C’est comme ça que mon amour pour l’écriture s’est manifesté, mais je n’avais jamais eu l’ambition de publier un livre ou d’être autrice. Le monstre, mon premier récit, je l’ai écrit pendant des années. Les 25 premières pages, je les ai écrites et réécrites. J’avais besoin de les sortir de moi, mais elles restaient prises dans mon ordinateur. Un jour, une de mes grandes amies m’a conseillé de faire lire ces mots pour pouvoir avancer, et c’est ce que j’ai fait. J’ai envoyé ce que j’avais – la fin de mon récit, puisque c’est comme ça que mon livre débute – à Nadine Lauzon, une éditrice que j’admire et qui est devenue une amie, et elle m’a donné son aval, m’a encouragée à poursuivre mon écriture.
C’est donc ton amie qui t’a convaincue que ton histoire avait le potentiel de devenir un livre?
Oui, peut-être. Je n’avais pas écrit ce récit dans le but que cela devienne quelque chose. Je pensais que ça allait rester sur les tablettes parce que pour moi, ce n’était pas l’ouvrage comme tel qui comptait; j’avais plutôt besoin de sortir ces événements qui étaient pris à l’intérieur de moi. C’est donc très égoïste comme démarche, mais je pense que l’écriture part toujours de soi. C’est beau, être égoïste aussi; il n’y a rien de péjoratif là-dedans. Après, quand une maison d’édition a décidé de me publier, ça m’a donné un objectif à atteindre en plus de m’aider à poursuivre ma démarche, à vivre cette sorte de thérapie. J’ai donc été très surprise quand mon premier livre a atteint les 100 000 exemplaires vendus.
T’attendais-tu à ce que le public s’identifie autant à ton histoire?
Non, vraiment pas. Quand on parle de violence conjugale, on a l’impression d’être seule au monde à vivre ça. On ne pense pas que ça va faire écho. Je ne savais pas que des milliers de femmes vivaient la même chose que moi. C’est pour cette raison que je commence et termine Le monstre : la suite en remerciant les femmes et les hommes d’avoir lu mon récit et de m’avoir écrit parce que ce que j’ai vécu les a touchés; leurs témoignages m’ont aidée à panser mes blessures, à comprendre et à pardonner la petite fille en moi d’avoir vécu ça. C’est vraiment beau, l’écriture. Pour ce qui est du Monstre : la suite, je l’ai écrit pour mon fils qui grandissait dans mon ventre et pour les femmes qui me demandaient : « Mais il se passe quoi après avoir vécu une chose pareille? Est-ce qu’on peut se reconstruire? » Ces femmes ont été mon moteur.
Que souhaites-tu réaliser avec tes œuvres, autant celles du passé que celles du futur?
Élever les consciences. Je veux briser des stéréotypes, des tabous et des préjugés, et je pense que je l’ai fait avec Le monstre et Le monstre : la suite. Mon œuvre est devenue une série télé qui a voyagé. J’ai aussi fait des documentaires et plusieurs autres trucs en lien avec mes livres afin de mettre la lumière sur la violence conjugale. J’ai sonné des cloches chez les politiciens. Avec mon équipe, très humblement, on a fait bouger les choses et on a élevé les consciences. Maintenant, avec Guerrières, une série documentaire que j’animerai qui sera diffusée à Canal Vie, on met encore une fois la lumière sur des sujets d’importance comme la prostitution, l’alcool au volant, le handicap chez les enfants... On met la lumière sur des failles dans notre société.
Maintenant, oui, j’ai des projets d’écriture, mais je dois d’abord trouver le temps de m’asseoir et de bercer la pression que je ressens en raison du succès monstre – c’est le cas de le dire – de mes deux premiers livres. Je la ressens toujours, alors je n’ose pas me lancer. Pourtant, j’ai mon sujet et je sais comment l’aborder, mais je me retiens parce que j’ai peur de me casser la gueule après avoir connu ce succès. Je n’ai pas encore trouvé l’endroit doux à l’intérieur de moi pour pouvoir écrire en toute liberté. C’est drôle, c’est la première fois que je parle de ça en entrevue et je suis très honnête : c’est ce qui me retient. J’ai promis à mon éditrice que ça s’en venait; j’ai annoncé dans les médias que j’avais un troisième livre en chantier, mais j’ai un blocage. Il va falloir que je passe par-dessus. Dans tous les cas, j’ai toujours utilisé l’écriture pour parler de difficultés qu’on éprouve, surtout en tant que femmes. Ça me motive beaucoup.
Dans l’écriture d’un livre, est-ce que tu souhaites toujours que ton œuvre ait une portée sociale?
Je pourrais écrire une pure fiction, mais je dois être connectée à mes émotions, à mon senti. J’aime écrire pour que des choses dans la société bougent, pour dénoncer certains aspects, pour que ça touche l’âme des gens. J’aime aller là. Je n’écrirais pas d’humour parce que ça ne me ressemble pas. J’aime écrire pour faire œuvre utile et je pense que ça me met une certaine pression, qui est aussi source de motivation.
Quand tu penses à tes œuvres, quel sentiment t’habite?
Ce qui m’habite, c’est un sentiment du devoir accompli, de la douceur envers moi-même et envers les autres aussi. Je me suis ouverte sans censure et en toute humilité. Je trouve ça beau d’avoir été capable de le faire et je suis fière d’avoir réussi. Cette forme de vérité, d’authenticité, de non-censure a fait en sorte que mes histoires ont touché les gens. J’ai tout dit et je crois qu’il est primordial de tout dire pour que l’histoire soit complète. Je suis aussi fière de mon écriture, moi qui avais le syndrome de l’imposteur puisque je n’ai pas étudié la littérature.
Y a-t-il une œuvre littéraire qui t’a particulièrement marquée au cours de ta jeunesse?
Oui, je me souviens d’un livre qui m’avait bouleversée : Racines, d’Alex Haley. C’est l’histoire d’un jeune Africain qui se fait kidnapper pour être vendu comme esclave aux États-Unis. C’était la première fois que je pleurais en lisant un livre, et ce récit est resté avec moi longtemps; j’ai encore le livre dans ma bibliothèque et je me rappelle qu’il était criant de vérité. Il démontrait aussi l’horreur que l’esclavage a laissée. Il faut aussi honorer ces histoires et savoir d’où les gens viennent. J’avais été beaucoup touchée.
Est-ce que cette œuvre t’a aussi influencée dans l’importance d’être authentique et de raconter ton histoire sans censure?
Je crois que oui parce que quand j’écris, c’est très imagé; j’ai envie d’amener les gens avec moi, dans mon monde. Il y a beaucoup d’images, de descriptions. C’est ce que j’aime lire aussi; j’adore entrer dans l’histoire, sentir les odeurs, être là-bas avec les personnages. C’est comme ça que j’écris aussi, et ça, on me l’a dit beaucoup. Les gens m’ont souvent mentionné qu’ils avaient l’impression d’être là avec moi, d’étouffer avec moi et ensuite de respirer avec moi. Oui, je crois avoir été influencée par ce type de récits qui m’a beaucoup touchée et marquée.
Ingrid Falaise, merci beaucoup!
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Ne manquez pas le premier épisode de la saison 3 de Pour emporter avec Julie Snyder, vendredi 11 septembre à 20 h sur ICI ARTV.
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