Rencontre littéraire avec Rose-Aimée Automne T. Morin

Rencontre littéraire avec Rose-Aimée Automne T. Morin

3 juin 2020

Rose-Aimée Automne T. Morin porte plusieurs chapeaux, à merveille. Elle est journaliste, chroniqueuse, animatrice et autrice. En 2019, elle publie son premier ouvrage, l’essai Ton absence m’appartient, dans lequel elle aborde l’enfance et les déchirures suite au deuil d'un proche. Une expérience vécue qu’elle livre ensuite dans son premier roman, une autofiction parue en 2020 chez Stanké : Il préférait les brûler. Très personnel, elle y raconte l’histoire d’une relation fusionnelle, singulière et malsaine entre un père mourant et sa fille. Son histoire à elle.

Rencontre littéraire avec une touche-à-tout passionnée des mots, passionnée des gens et de leurs histoires.
 


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Rose-Aimée, parle-moi un peu de la place qu’occupe la littérature dans ta vie.
Je suis une lectrice depuis un très jeune âge. J’ai passé mon enfance réfugiée dans les livres. Je n’ai pas eu une enfance particulièrement normale, donc mon repère était la littérature. Dès que j’ai su lire, j’ai pu lire tout ce que je voulais. Donc j’allais dans la bibliothèque de mes parents et je n’avais pas de restrictions. J’ai donc lu des trucs qui n’avaient aucun bon sens pour l’âge que j’avais! (Rires) J’ai tellement lu d’oeuvres religieuses quand j’étais enfant! Pourtant, je n’étais pas dans une famille qui était pratiquante du tout! Même pas croyante non plus! Je me rappelle qu’à la bibliothèque de l’école, j’empruntais plein de livres de mythes religieux et de livres sur la Deuxième Guerre mondiale. J’avais des obsessions littéraires. Quand je partais sur un sujet, je lisais tout.

 

D’où te venaient toutes ces obsessions?
Quand j’étais petite, je pleurais devant les génériques télé parce que je n’étais pas capable de les comprendre. J’avais ce besoin de comprendre. Mes parents lisaient beaucoup, donc je pense que je voulais les imiter. Ça me brisait le coeur de ne pas être capable d’accéder aux mots. Donc à la seconde où j’ai été capable de lire et de m’intéresser un sujet, il fallait que je lise tout. Je pouvais me coucher à trois heures du matin parce que je ne voulais pas déposer mon livre. J’ai toujours été passionnée de lecture, mais je n’écrivais pas. Je n’ai jamais tenu de journaux intimes.

 

Quelles/quels autrices/auteurs t’ont particulièrement forgée?
Dominique Demers, hors de tout doute, avec sa trilogie Marie-Lune, un hiver de tourmente. Ultra-importante pour moi. Aussi, Marie Laberge et sa trilogie Le goût du bonheur. J’ai énormément tripé là-dessus. Je devais avoir quinze ans. Après cela, j’ai tout lu ses livres. Quelques adieux est pour moi un de ses grands livres.

 

Tu as choisi l’autofiction pour ta deuxième publication et ton premier roman Il préférait les brûler, dans lequel tu livres de façon très authentique et intimiste une grande partie de ta vie. Parle-moi un peu de cette démarche?
Dans l’essai Ton absence m’appartient, c’était naturel pour moi. Je fais du reportage et du portrait depuis plusieurs années. Donc c’était en quelque sorte une extension de mon métier, de ce que je savais que j’étais capable de faire, de raconter des histoires tirées de faits et d’en poser des questions. C’était pour moi une zone sécuritaire. Mais je devais passer par là avant de me lancer dans l’autofiction parce que je ne sentais pas que j’avais la légitimité nécessaire pour publier! (Rires) L’essai et la réaction du public m’ont permis de croire en mon talent et de me dire que je pouvais prendre des risques et pour moi, prendre des risques c’était de me lancer dans la littérature. J’avais envie d’explorer cette histoire qui était la mienne sans avoir à composer avec une rigueur journalistique. Donc je voulais pouvoir dire une part de vérité, je voulais pouvoir aussi inventer. Prendre mon vécu pour le transformer en matériel créatif. Donc, c’était davantage un cadeau que je me faisais. Je me suis donné le droit, je me suis dit : « Fais-toi confiance et plonge. » Ça a vraiment été une expérience douce. Ça a été merveilleux écrire ce livre. J’habitais dans une maison de campagne, le sourire aux lèvres, sans la moindre douleur.

 

Ton absence m'appartient, Rose-Aimée Automne T. Morin, Stanké, 2019

À quel point ça a été thérapeutique pour toi de publier cet ouvrage?
Je ne sais pas. Je dirais que l’essai m’a permis de laisser entrer la colère et la frustration, des émotions que j’avais énormément résorbées. On dirait que de raconter de façon objective mon histoire m’a permis de ressentir des émotions que je ne me permettais pas de ressentir. Donc, d’une certaine façon, on dirait que le travail avait été fait avant d’écrire le roman. J’étais dans un état de compassion pour l’enfant que j’avais été et de compassion aussi pour l’autrice que je me permets d’être. Donc, j’étais juste heureuse. Comme il s’agit d’autofiction, moi je sais qu’est-ce qui est vrai et je sais qu’est-ce qui ne l’est pas. Même ma famille ne sait pas exactement quels passages sont inventés ou pas et pour tous les autres, c’est juste une histoire. C’est ce que je trouve merveilleux. C’est de me donner la chance de raconter une histoire.

 

Comment ton métier de journaliste influence ta façon d’écrire?
Assurément. Dans mon premier ouvrage, un essai, c’était 100% moi, reporter, qui écrivais. Dans la fiction, je pense que mon métier influence ma productivité. Ça fait maintenant cinq ans que je suis payée pour écrire des mots. J’en écris énormément. Donc pour moi, l’acte d’écrire est dénué de tout romantisme. Par exemple, demain, j’ai prévu d’écrire entre 8h et 16h30. Donc, entre 8h et 16h30, je vais être en train d’écrire parce que c’est ça ma job. Donc ma profession fait en sorte que quand je joue à l’autrice, tout est fait avec rigueur, tout est planifié. Je sais combien de milliers de mots que je vais écrire dans une semaine.

 

Il préférait les brûler, Rose-Aimée Automne T. Morin, Stanké, 2020

 

As-tu le l’ambition d’écrire quelque chose qui est très loin de toi dans le futur?
Tout à fait! Je suis justement en train d’écrire quelque chose qui n’a rien à voir avec moi et qui concerne quelqu’un d’autre. J’aime beaucoup écrire quelque chose qui ne m’appartient pas. Après avoir écrit l’essai, je devais passer par l’autofiction. Je n’avais écrit que quelques bribes de mon histoire. Plusieurs personnes étaient un peu frustrées que j’aie raconté en superficie une histoire aussi singulière, ce qui est un très bon point. Maintenant, je sens que j’ai la légitimité et le talent pour écrire un roman 100% fictif.

 

Est-ce que cette période de confinement est une période fertile pour toi créativement?
Je travaille beaucoup quand même, donc je n’ai pas énormément de temps à consacrer nécessairement à certains projets créatifs, mais j’ai un peu frappé un mur il y a deux semaines de grande déprime. Pourquoi je travaille si fort en temps de pandémie? Depuis, on dirait que ma créativité s’est réveillée, elle est venue me serrer dans ses bras et maintenant, on gambade! (Rires) J’ai des idées à n’en plus finir!

 

Au terme de ta nouvelle web-série Comment devenir une personne parfaite, qu’est-ce que tu gardes de cette expérience-là?
J’ai gardé des applications concrètes au niveau de l’organisation, étonnamment au niveau de la spiritualité. Par exemple, mon confinement est fait de huit heures de yoga par semaine. Je suis ailleurs. Mais ce que j’ai surtout conservé, c’est une volonté de questionner mes motivations. Je pense que je suis quelqu’un qui va toujours vouloir performer. La pression de performance n’est pas nécessairement négative chez moi, ça rajoute une certaine touche à ma personnalité. Donc je ne veux pas la fuir, mais je veux plutôt essayer de comprendre pourquoi je choisis d’y adhérer quand je me lance dans un projet. Est-ce pour répondre aux attentes? Pour plaire à autrui? Est-ce parce que c’est quelque chose qui est véritablement un moteur pour moi, qui me tente et qui me passionne?

 

Quel message aimerais-tu envoyer aux gens qui sont victimes de cette pression de performance là, qui vivent ça négativement dans la vie en général et particulièrement durant cette période de confinement?
J’ai tellement reçu de messages là-dessus! C’est incroyable à quel point il y a beaucoup de gens qui, en ce moment, doivent composer avec cette pression-là. Je remarque que beaucoup de gens m’écrivent ça avec une certaine cristabilité et je trouve ça super triste! C’est normal de ressentir de la pression de performance et il ne faut pas non plus s’autoflageller. Mon message est le suivant : C’est normal et ce n’est pas de ta faute si c’est ça ton réflexe. Il y a un paquet de systèmes qui nous ont appris que notre valeur tenait à notre productivité. Donc, c’est normal. Il ne faut pas s’en vouloir. Tout n’est pas dans notre contrôle ni dans notre volonté de performer.

 

Est-ce que tu trouves que notre génération est un peu malade à cause de ça?
Oui! Et ce n’est pas moi qui le dit. Il y a des études qui avancent que notre génération est la première à souffrir d’un tel perfectionnisme. Et quand je parle de perfectionnisme, je parle du trouve de santé mentale, on ne parle pas d’essayer d’être la meilleure version de soi-même. On parle d’un trouble obsessif quant à nos qualifications, à nos résultats et à notre productivité. C’est quelque chose qui est caractéristique à notre génération et il y a plusieurs hypothèses qui tentent de nous expliquer pourquoi, mais en attendant, la où notre génération est particulièrement malade, c’est que la plupart des personnes perfectionnistes n’ont pas tendance à vouloir aller chercher de l’aide. Elles ne prennent pas les mains tendues par l’entourage, elles consultent moins, donc c’est un trouble qui peut vraiment avoir des impacts très négatifs parce qu’il va venir teinter plusieurs sphères de leur vie.

 


 

LES SUGGESTIONS CULTURELLES DE ROSE-AIMÉE AUTOMNE T. MORIN

 

Ton livre incontournable?
Je conseille de lire Journal de Marie Uguay, qui est une poétesse québécoise qui est morte tragiquement très jeune et qui encapsule parfaitement ce qu’est être une femme. Comment nous sommes présentement dans  une période de grande introspection, je pense que c’est une oeuvre qui tombe à point.

 

Ton film incontournable?
J’aurais envie de dire Avant qu’on explose, film québécois. Je crois à un public plus adolescent, donc un bon film à regarder en famille pour ouvrir des discussions. Personnellement, ça m’a émue, ça m’a ébranlée, ça m’a touchée. Là encore, on fait place à l’introspection, ça m’a plongée dans des souvenirs et je trouve vraiment que c’est un film qui n’a pas eu le rayonnement qu’il aurait mérité. J’aimerais que le confinement vienne régler ça!

 

Ta série télé incontournable?
En ce moment, je suis en train de regarder The last dance sur Netflix. Moi qui ne connais rien au basketball. Je ne sais même pas comment compter les points. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut mettre un ballon dans un panier. Malgré tout, je capote. Ce sont des histoires d’humains dans des contextes compétitifs et de célébrités tellement intéressantes! Je pense que c’est pas mal ce qui crée l’événement ces temps-ci.

Du côté québécois, je capote encore sur la série Fragile. Je l’ai regardée à Noël et j’y pense encore. Je trouve que c’est une version différente de la masculinité, de l’amitié, de l’amour. C’est une délicatesse pas possible. J’ai été soufflée par cette série-là.

 

Ton album ou ton artiste incontournable?
Je suis présentement dans un gros trip Anoushka Shankar. Honnêtement, son dernier microalbum qui s’intitule Love Letters est peut-être l’album le plus triste et révoltant que j’ai entendu. Mais des fois ça fait du bien d’appuyer sur la tristesse qu’on ressent. Il ne faut pas toujours la repousser. Il faut l’accueillir. Et en période de confinement, on peut avoir des émotions sombres et il faut trouver un moyen de les extérioriser.

 


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