Rencontre littéraire Pour emporter avec Léa Stréliski
Caroline Bertrand
15 janvier 2021
L’humoriste Léa Stréliski aime apporter son grain de sel sur les sujets préoccupants de notre époque. Ces dernières années, la mère de trois enfants a traversé une période sombre après avoir rompu avec son agence artistique. Captive d’un rythme de vie effréné, engouffrée dans les réseaux sociaux, étouffant sous la pression de se surpasser... au péril de sa santé mentale, la chroniqueuse à L’actualité et à La soirée est (encore) jeune a dû ralentir la cadence, impérativement.
Cette course contre la montre collective mène où? Et vers quoi? s’est-elle demandé, à bout de souffle. De ses réflexions sur le bien-être, et sur ce qui lui nuit, est né en 2019 un court recueil, La vie n’est pas une course, son premier, dont a parlé sa sœur, la pianiste Alexandra Stréliski, à l’émission Pour emporter.
Rencontre littéraire avec Léa Stréliski, qui a su remettre le plaisir au centre de ses priorités et vivre à son rythme.
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Plus d’un an après la publication de La vie n’est pas une course, comment se porte la cadence?
La pandémie a tout changé pour tout le monde, mais je te dirais que ça s’est placé. Évidemment, pendant le premier confinement, tout a ralenti, mais ça a surtout accéléré mon désir de faire vraiment juste ce que j’aime. La pandémie nous rappelle combien on est éphémères, combien c’est important d’aller vers l’essentiel. Ça va donc encore mieux sur ce plan. C’est sûr que je continue à faire plein d’affaires, mais ce sont des choses qui me donnent de l’énergie. Je garde une plus grande partie de ma journée pour faire les affaires que j’aime. J’ai compris que c’est ce qui me ressourçait et que ça me donnait l’énergie de faire les autres choses plus difficiles.
Tu sembles t’être délestée de cette « obésité mentale » dont tu parles dans ton livre.
Oui, mais ça a pris du temps – l’anxiété liée à la première vague [de COVID-19] a été vraiment douloureuse, surtout que mes enfants n’allaient pas à l’école. Je pense que lorsque tu deviens plus toi et que tu sais plus ce que tu aimes dans la vie, ton capital bonheur fait juste augmenter et tu as moins de pensées négatives. Le monstre est toujours là, mais je me concentre sur autre chose.
Sur quoi te concentres-tu, par exemple?
Ce qui est difficile dans la conciliation travail-famille, c’est que si tu t’amuses, ça veut dire que tu n’es pas en train de travailler. Mais je me suis rendu compte que la façon dont j’organise mon nid, ma maison, comment je la décore, ça a énormément d’importance pour moi.
« Je l’ai tassé vraiment longtemps, ce bout de moi, parce que je pensais qu’il était plus superficiel, mais je me suis rendu compte que quand je garde plusieurs heures dans ma journée pour organiser mon quotidien et mon rôle de maman, je me sens mille fois mieux et mille fois plus moi. »
Léa Stréliski, humoriste et chroniqueuse
Et je suis beaucoup plus efficace au travail. C’est quand je suis heureuse que je suis le plus productive. C’est comme si la dualité de femme qui travaille et de mère a cessé; ces deux bouts-là de moi ont arrêté de se battre. Avoir un Pinterest et travailler sur ma maison pour la rendre belle, ça m’apporte beaucoup de bonheur. C’est là-dessus que je me concentre. Ça et passer du temps avec ceux que j’aime dans ma bulle.
Qu’est-ce que t’a apporté l’écriture de ce court livre?
C’était la première fois que j’écrivais un livre, et j’étais surprise de voir que, quand j’ai écrit le dernier mot, je savais que c’était le dernier. Déjà, je me suis dit : « Ayoye, il y avait une dernière phrase. » C’est comme si les livres existaient en nous avant qu’on les écrive. Je me suis dit : « Ah, c’est fait, comme un bébé qui naît. »
Est-ce que ça a ouvert la voie à d’autres aspirations littéraires?
Je suis en train d’écrire un deuxième livre, mais je ne suis pas une écrivaine. Je ne sais pas vraiment ce que je suis, mais je sais que j’aime beaucoup les mots et m’exprimer. Je ne pensais jamais écrire un livre, et là, je vais en écrire un deuxième. J’ai eu l’idée en écrivant le premier. Mais je ne suis pas Amélie Nothomb, je n’ai pas de rêves littéraires. J’ai vraiment plus de rêves d’humoriste. Pour moi, l’art le plus difficile à maîtriser, c’est le monologue sur scène, et je vais toujours me concentrer à offrir le meilleur monologue possible. C’est juste que j’écris depuis beaucoup plus longtemps que je fais de l’humour. Ça fait 20 ans que j’écris, depuis que j’ai 19 ans. C’est sûr que mon deuxième livre sera aussi court que le premier. J’ai quelque chose à dire, et ça rentre dans ce format-là.
Quand tu dis que tu écris depuis tes 19 ans, renvoies-tu à ton passé en publicité ou écrivais-tu aussi autrement?
J’ai commencé comme rédactrice publicitaire, mais rapidement, je me suis mise à écrire pour moi, sur mes états d’âme. À force de le faire, ça m’a appris à reconnaître ma propre voix. Ensuite, j’ai eu une chronique dans La Presse; j’ai écrit un peu partout, à Elle Québec, à Urbania, au Voir; j’ai eu des blogues. J’ai toujours écrit, mais avec le temps, ça s’est cristallisé en ma manière d’écrire.
Justement, tu couvres des sujets de société en tant que chroniqueuse à L’actualité. Que t’apporte cette forme d’écriture?
C’est un rythme parce que j’en fais deux par semaine, depuis le début de la pandémie. C’est un exutoire, comme la radio. J’aime observer, contempler les choses; j’aime réfléchir et faire rire le monde. C’est un bon muscle, parce que ça me force à être tout le temps en train d’écrire. Des lecteurs m’écrivent, mais c’est quand même dur de connaître notre contribution.
Et comment qualifierais-tu ton style d’humour?
J’aime beaucoup m’inspirer de la vraie vie, que ce soit de mon quotidien ou de l’actualité. Après, sans réfléchir, je trouve des angles comiques aux choses. Des fois, il arrive des trucs drôles par eux-mêmes, comme le Bloc québécois qui fait sa campagne en disant « Bonjour, Ho! » avec le père Noël.
La scène te manque-t-elle?
Heureusement, je fais de la radio, donc je peux parler. Je fais un peu de déni quant au fait que ça me manque. J’ai fait des spectacles l’été passé et je dois me cacher à quel point je m’en ennuie parce que, sinon, ça fait trop mal. Il ne faut pas que j’y pense. Tout ce qui est un semblant d’humour, les espèces de shows virtuels, c’est plate.
Dans une entrevue, tu as déjà avoué, à la blague, qu’avoir des bébés t’avait abîmé le cerveau et que tu ne savais plus lire de longues œuvres. En ralentissant la cadence de ta vie, as-tu réappris à lire?
Pas autant que je le voudrais. C’est une honte, parce que quand je me remets à lire, ça fait tellement de bien à mon cerveau – c’est comme si on lui faisait un massage. Lire un livre versus être sur les réseaux sociaux ou sur ton ordi, c’est tellement différent.
« Quand tu passes un moment investie dans une seule chose – et pas dans 38 en même temps – et que tu n’as pas 75 onglets ouverts, ça coule. Mais ça demande un effort, comme n’importe quoi de bon pour toi dans la vie. »
Léa Stréliski, humoriste et chroniqueuse
Ce n’est même pas une question de temps – tu l’as, l’heure avant de te coucher pour lire un livre. Il faut créer le moment, c’est comme n’importe quoi d’autre. Tu vas aller naturellement vers ce qui est le plus facile. Si tu as le choix entre te faire à manger et te commander du fast-food, tu le sais que ça va être plus bénéfique pour toi de te faire un bon repas, tu le sais que tu vas te sentir mieux après. Mais il faut lutter contre la paresse.
Est-ce qu’une lecture t’a marquée, récemment?
Récemment, j’ai lu Marie Kondo – j’aime les gens qui se penchent sur un seul sujet pendant toute leur vie, comme ma sœur, qui est dans le piano, et qui va être dans le piano toute sa vie. J’aime les obsédés d’un sujet. Marie Kondo est obsédée par l’efficacité, le rangement et avoir une maison qu’on aime. Ça me fascine. Ce n’est pas un quick fix ; au-delà de sa technique, ça t’amène à réfléchir à qui tu es, à pourquoi tu possèdes les choses que tu possèdes, pourquoi tu gardes les choses que tu gardes. Il y a tout un aspect philosophique et spirituel à ça qui est vraiment intéressant. Elle a touché une fibre qu’on a tous, pour avoir touché autant de monde. Tellement de gens pensent que c’est une folle ou une espèce de nazie du rangement, mais ce n’est pas du tout ça! Ce qu’on possède et où on vit, ça a un effet sur nous. C’est une réflexion intéressante.
Je te remercie sincèrement, Léa.
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