Pourquoi cette fascination pour Sissi?
Claire-Marine Beha
22 août 2023
Monarque légendaire, la duchesse en Bavière Sissi, née Élisabeth Amélie Eugénie de Wittelsbach, est devenue l’impératrice d’Autriche et la reine de Hongrie en épousant François-Joseph 1er, mieux connu sous le nom de Franz. Même 125 ans après son décès, Sissi continue de captiver et d’inspirer l’industrie cinématographique et télévisuelle. De ces nombreux récits sur sa vie, bien qu’ils soient plus ou moins fidèles à la réalité, on retient d’elle sa personnalité anticonformiste, sa beauté, sa vie palpitante et son sort tragique. Mais pourquoi aime-t-on tellement Sissi?
Une histoire vraie rocambolesque
L’histoire d’Élisabeth d’Autriche foisonne d’anecdotes malheureuses et de détails croustillants. On rapporte que sa vie intime avec Franz était très passionnée et qu’elle lui aurait notamment donné son accord pour qu’il fréquente une actrice viennoise. L’impératrice au caractère bien trempé rêvait avant tout de liberté. Sissi s’ennuyait la plupart du temps dans la capitale autrichienne et aurait donc beaucoup fait de sport et voyagé. Elle aurait aussi eu du mal à respecter la bienséance de la Cour, ce qui aurait provoqué des conflits irréconciliables avec sa belle-mère, l’archiduchesse Sophie de Bavière.
Des membres de sa famille proche ont aussi connu une fin romanesque, dont son fils Rodolphe, mort dans des circonstances mystérieuses, et sa sœur, brûlée dans un grand incendie à Paris. Sissi elle-même a été victime d’un crime scandaleux : elle est morte à 60 ans, poignardée par un anarchiste italien alors qu’elle était de passage à Genève, en 1898, ce qui a accentué davantage la singularité de sa destinée. Bref, entre tragédies et désir d’émancipation, son parcours émerveille et possède un potentiel dramatique évident.
« En réalité, il s’agit d’un personnage encore plus complexe qu’on le pense, d’une femme révoltée dans un environnement traditionnel », indique Jean des Cars, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur la populaire impératrice. Venant d’un milieu rural et plus permissif, Sissi n’a jamais réussi à s’adapter au prestige de la famille royale de son mari. C’est la raison pour laquelle elle a marqué les esprits, bien qu’il soit parfois difficile de dissocier sa vraie vie des récits qu’on en a tiré. Sa beauté et son sens de la mode sont souvent loués, mais c’est surtout son refus de se plier à une monarchie protocolaire et son indépendance scandaleuse pour l’époque qui font d’elle une figure historique incontournable, comme l’explique l’expert.
L'actrice Romy Schneider incarne Sissi dans le film du même nom de 1955.
Un film mythique et de nombreuses adaptations
En 1955, l’actrice Romy Schneider incarne Sissi dans le film du même nom et dévoile au grand public la personnalité aussi intrépide que charmante de la célèbre impératrice. Le réalisateur Ernst Marischka décline son interprétation en trilogie avec deux autres films, Impératrice Sissi (1956) et Sissi face à son destin (1957), devenus eux aussi des classiques du cinéma. Les intrigues sont légères et bien souvent axées sur la romance. Sissi fait désormais partie de la culture populaire!
Parfois sobres, parfois plus extravagantes, les adaptations de l’histoire de cette icône du XIXe siècle sont multiples. Six décennies après le premier film culte, si Élisabeth d’Autriche plaît toujours, c’est pour sa modernité, ses luttes et ses transgressions qu’on pourrait qualifier, avec notre regard actuel, de féministes. Récemment, les séries L’impératrice (2022) de Netflix, Sissi (2021), et le long métrage Corsage (2022) ont brossé le portrait d’une femme irrévérencieuse, complexe et intelligente, un archétype qui ravit le public d’aujourd’hui.
Ainsi, selon Franck Ferrand, auteur et journaliste français spécialisé en histoire, Sissi réunit les trois conditions pour entrer dans la légende : sa trajectoire a été inusitée, elle a été victime d’un assassinat et le cinéma s’est emparé de son histoire.
Dominique Devenport dans le rôle de l'impératrice d'Autriche dans la série Sissi (2021). Crédit : Lukas Salna.
Un intérêt qui ne se dément pas pour les femmes monarques
Du film Marie-Antoinette, de Sofia Coppola, à la série The Crown, sur Netflix, en passant par Les Tudors ou encore le dessin animé Anastasia, les fictions portant sur les monarques féminins et les familles royales se créent pour toutes les tranches d’âges et connaissent une grande popularité. Fascination pour des destins hors-normes, curiosité pour ces vies de privilèges, besoin d’avoir des modèles de femmes puissantes, quête de connaissances historiques… Plusieurs facteurs expliquent notre intérêt pour les têtes couronnées. Même si souvent, les scénaristes édulcorent les biographies, c’est l’univers tout entier de la monarchie qui a le vent en poupe : châteaux, bals, mariages, guerres et conquêtes, vêtements somptueux, etc.
La journaliste Anne Demoulin soutient que « tout commence avec les contes de fées ». En effet, puisque les histoires pour enfants regorgent de princesses, de rois, de reines et de monarques en tout genre, il semble légitime que cet univers luxueux continue de nourrir notre imaginaire à l’âge adulte. Pour beaucoup de gens, la formule magique « il était une fois » fonctionne donc encore!
Dominique Devenport dans le rôle de l'impératrice d'Autriche dans la série Sissi (2021). Crédit : Story House Pictures.
En ce qui concerne l’obsession pour les destins tragiques des femmes de la royauté, ces héroïnes deviennent presque des emblèmes des oppressions qu’elles vivent, et il est possible d’y projeter nos propres déboires. Par exemple, difficile de ne pas ressentir d’empathie pour Lady Diana, pour son échec marital, sa souffrance mentale, et comment ne pas s’intéresser à Sissi qui, malgré l’opulence de sa vie, se querelle avec sa belle-mère et rêve d’affranchissement comme le commun des mortels? Paradoxalement, nos reines et nos princesses favorites représentent à la fois des standards inatteignables, mais sont aussi résolument humaines.
Alors que certaines personnes trouvent que les monarchies sont archaïques, inutiles et qu’elles incarnent les valeurs colonialistes, d’autres y voient une stabilité rassurante, selon le sociologue Mauro Guillén. Il souligne dans le New York Times que le caractère réconfortant des récits – fictifs ou réels – de la royauté s'explique par « la fascination, la magie, la continuité, la stabilité qu’incarnent la monarchie et les dynasties qui jouent un rôle depuis des siècles ».
Trouvez-vous également du réconfort à suivre les aventures de Sissi à l’écran?
Ne manquez pas les films sur Sissi, diffusés sur ICI ARTV : Sissi (1955) le 26 août 2023 à 21 h, Impératrice Sissi (1956) le 2 septembre à 21 h et Sissi face à son destin (1957) le 9 septembre à 21 h.