Catherine Léger : l’écriture pour dénoncer la misogynie

Catherine Léger : l’écriture pour dénoncer la misogynie
crédit photo : Dominique Lafond

17 novembre 2022

Vendredi 18 novembre à 20 h, c’est l’ancienne journaliste sportive devenue vice-présidente, communications hockey pour les Canadiens de Montréal, Chantal Machabée, qui sera en visite sur le plateau de Pour emporter. France Beaudoin et elle reviendront sur les grandes étapes de sa vie personnelle et de sa carrière, notamment en parlant d’œuvres qui ont influencé son parcours. Parmi celles-ci se trouve la pièce Baby-sitter, écrite en 2016 par l’autrice Catherine Léger, qui s’inspire d’un phénomène viral de l’époque qui voulait que des hommes crient des propos d’une grande vulgarité lors de topos en direct faits par des journalistes sportives. Dans la pièce, pour mieux mettre cette histoire en contexte au Québec, c’est Chantal Machabée qui était victime de la mauvaise blague faite par Cédric, personnage central de Baby-sitter, qui voit son geste avoir de nombreuses répercussions d’importance sur sa vie.

Pour en savoir plus sur le travail d’écriture, autant au théâtre qu’à la télé et au cinéma, de Catherine Léger, nous avons eu le privilège de discuter avec elle récemment.

Voici ce qu’elle avait à nous dire.

 

Qu’est-ce qui t’a menée à l’écriture en général? Et plus spécifiquement à celle de la pièce Baby-sitter?

C’est venu tellement tôt. C’était clair. C’est bizarre, mais aussitôt que j’ai commencé à écrire, je savais que c’est ce que je voulais faire. J’essayais d’écrire des livres; mes grandes sœurs sont témoins de ça. J’avais vraiment commencé très tôt à être passionnée par le geste d’écriture. Je lisais énormément quand j’étais enfant.

Pour ce qui est de la pièce Baby-sitter, je l’ai créée en 2016. À cette époque-là, il y avait des vidéos qui devenaient virales aux États-Unis. C’était des gars qui, présumant que le caméraman n’aurait pas le temps de les couper, interrompaient des journalistes sportives en direct en disant quelque chose d’extrêmement vulgaire, souvent une blague de viol. Ensuite, ça s’est transformé en baiser sur la joue. Ce sont ces événements-là, mais aussi les réactions qu’ils ont suscitées, qui m’ont donné envie d’écrire Baby-sitter. Le discours pour critiquer ces gestes-là ramenait souvent le fait que les filles en général vivaient avec la peur d’être agressées. Je trouvais que cet argument-là n’était pas utile dans la conversation. Ce que les types faisaient – cette espèce de mini agression, cette incursion en direct qui était très déstabilisante pour les journalistes –, en soi, c’était facile à dénoncer. On n’avait pas besoin d’ajouter que les filles ont donc peur. 

Je trouvais que c’était un événement qui mettait en scène deux formes de misogynie, d’une certaine façon. C’est-à-dire que d’abord, on pense qu’on peut facilement interrompre une journaliste en direct parce que c’est une femme, qu’on le fait et qu’on s’en fout. Ensuite, il y avait aussi ce genre de paternalisme où il fallait protéger les femmes. Comme si les filles, on était toujours en train d’attendre notre chevalier servant pour venir nous défendre. Ça me faisait beaucoup rire que ces événements devenaient finalement la synthèse de ces deux formes de misogynie.

 

Pourquoi écrire?

Dans le cas plus précis de Baby-sitter, c’était très satisfaisant d’écrire la pièce parce que c’était une façon d’amener le débat autour des enjeux de la misogynie et du paternalisme dans la comédie. C’était une façon de sortir de l’argumentaire pour réfléchir. Je pense que la fiction, pour moi, c’est ce que ça me permet; c’est-à-dire que j’aime à la fois partir d’anecdotes et aussi d’hypothèses avant d’aller explorer. On n’est pas dans la rhétorique ou dans l’argumentaire, mais il y a quand même une réflexion. Je trouve qu’en écrivant de la fiction, je me fais souvent surprendre par les personnages. Je les observe, je les laisse vivre, j’essaie de leur donner une certaine logique avant de la mettre en œuvre. Ça me permet de réfléchir à des enjeux de société en les faisant interagir. Je trouve que la fiction est une façon intéressante d’explorer et de trouver de nouvelles idées.

 

Que souhaites-tu réaliser avec tes œuvres?

J’ai envie d’arriver avec une voix différente quand j’écris, et pas nécessairement pour ce qui est de la forme. J’ai accepté que sur ce point, j’étais beaucoup plus attirée par la comédie, le réalisme, le côté classique de la structure. J’essaie d’arriver avec un point de vue qui peut être déstabilisant. Comme dans ce cas-ci, j’abordais la pornographie, mais du point de vue des jeunes femmes qui sont très détachées par rapport à ce type d’enjeux là. Je trouvais que tout d’un coup, on entrait dans une nouvelle façon d’aborder le sujet.

J’aime aborder des sujets d’actualité, mais aussi contribuer à la conversation avec un point de vue ou un angle différent.

 

Quel sentiment t’habite lorsque tu penses à tes œuvres?

Même si je l’ai écrite en 2016, je continue d’être très contente de la pièce Baby-sitter. Ensuite, il s’est passé beaucoup de choses dans les médias et dans la société autour des questions féministes. Je trouve que la pièce demeure pertinente dans la mesure où on ne parle pas d’agression sexuelle à proprement dit – on n’est pas en train de parler de Weinstein –, et donc, je trouve que ça n’ajoute pas de la légèreté, mais de la comédie. Les gens sortaient de la pièce en se disant qu’ils avaient été déstabilisés, et en l’étant, ils étaient plus détendus pour discuter de ces sujets assez sérieux qui pouvaient souvent être une source de confrontations dans les conversations. 

Je suis assez contente d’avoir réussi à faire une comédie sur un sujet difficile et que cette comédie-là reste pertinente, qu’elle n’ait pas été anecdotique. Encore aujourd’hui, plus on va creuser dans les dénonciations et plus on va aller dans le côté sombre de ces questions. Je suis contente d’être arrivée à créer une comédie qui aborde ce thème, mais pas de façon frontale.

 

Tu écris des pièces de théâtre et tu es scénariste pour la télé et pour le cinéma. Qu’aimes-tu dans ce mélange de tâches?

Il y a quelque chose de très technique dans ce qu’on peut aller chercher comme auteur ou autrice quand on change de média. Entre la pièce de théâtre Baby-sitter et le film qui en a été adapté, il y avait une différence dans l’écriture. Dans le film, on entrait beaucoup plus dans l’intimité et on était capable de rester dans la comédie en plus d’aller plus loin dans la douleur. Au théâtre, on était resté plus dans une comédie à gros traits parce que le théâtre permet moins l’intimité, d’une certaine façon. Quand je suis arrivée au cinéma, le propos était plus nuancé, tout comme les personnages, qui l’étaient davantage dans leurs émotions; en revanche, c’était peut-être moins drôle. La pièce avait permis une comédie à gros rires. 

Je trouve ça intéressant de passer d’un média à l’autre parce que même avec une matière qui est similaire, tu en explores les différents côtés.

Le côté intime du cinéma me plaît énormément, mais je suis aussi une fille de dialogues, alors la joute de dialogues qu’on peut se permettre au théâtre, mais pas au cinéma, me manque quand ça fait trop longtemps que je n’ai pas écrit une pièce. Et la télé, ça permet de développer des personnages sur une période beaucoup plus longue; la construction psychologique des personnages devient beaucoup plus intéressante. En me promenant d’un à l’autre, je reste dans l’écriture, mais c’est très différent. J’aime beaucoup varier les tâches dans mon horaire.

 

Qu’apprécies-tu dans le fait d’écrire des scénarios d’adaptation pour le cinéma (La déesse des mouches à feu, Baby-sitter, Deux femmes en or)?

J’adore écrire, j’aime le geste, mais quand j’ai fait l’adaptation de La déesse des mouches à feu, je suis devenue plus technique dans mon cerveau. D’abord, j’étais libérée du souci, du doute à savoir si la prise de parole était pertinente parce que ça avait déjà été déterminé suite au succès qu’avait connu le roman de Geneviève Pettersen. Moi, j’arrive par la suite et je travaille sans le doute, sans la pression de me demander si ça vaut la peine d’amener cette œuvre-là au cinéma. Tout d’un coup, je travaille comme une technicienne, d’une certaine façon, en essayant de trouver la meilleure façon d’incarner ce roman à l’écran. Je m’amuse avec la structure. C’est comme s’il y a une part d’anxiété qui n’est pas là.

Mais quand j’ai adapté Baby-sitter ou Deux femmes en or, c’était différent, parce que j’avais fait ces œuvres pour le théâtre et que je les transposais au cinéma ensuite. Il y a eu une double adaptation d’une certaine façon. Dans le cas de Deux femmes en or, c’est vraiment une adaptation libre puisqu’on change d’époque et de personnages. On revient à quelque chose qui est plus comme une prise de parole. Je fais ce métier-là pour avoir cette prise de parole là, mais des fois, c’est aussi intéressant de se dire qu’on prend notre outil – ma capacité à adapter des œuvres – pour prendre la parole de quelqu’un d’autre. Ça fait partie du plaisir de mon travail.

 

Quel livre (ou auteur/autrice) t’a le plus marquée?

Le premier auteur qui me vient et que je relis constamment, c’est Raymond Carver. Quand j’ai trouvé Raymond Carver, au début de ma vingtaine, ça a vraiment été une révélation. Ça m’a marquée, et quand je doute ou que j’ai besoin de me retrouver, je vais aller relire une de ses nouvelles.

 

Catherine Léger, merci beaucoup!

Ne manquez pas l’émission Pour emporter de vendredi 18 novembre à 20 h, où Chantal Machabée sera l’invitée de France Beaudoin.