Artiste à découvrir: Thaïla Khampo, illustrateur
Patrick Dupuis
1 mars 2021
En plein hiver 1980, une communauté québécoise est venue en aide à votre famille qui fuyait la guerre au Cambodge. Et c’est à votre arrivée que vous avez commencé à dessiner. Comment cet événement marquant de votre jeunesse a-t-il eu une incidence sur votre envie de devenir créateur?
J’étais trop jeune à l’époque pour être conscient de cet événement qui a bouleversé ma famille et toute la communauté cambodgienne. Nous sommes arrivés en hiver à Napierville. Ce changement de décor si drastique n’avait fait aucun effet sur moi, alors que les plus vieux étaient un peu sous le choc.
Mes grands frères dessinaient et faisaient déjà de la peinture à l’huile. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à dessiner. Je n’ai fait que suivre leurs pas. Ce qui a vraiment piqué ma curiosité, ce sont les bandes dessinées et les livres illustrés que nos parrains de Napierville nous avaient offerts. Je n’avais jamais vraiment vu des livres comme ça lors de notre séjour dans les camps de réfugiés en Thaïlande. Mon frère jumeau et moi avons sauté dans cet univers imagé avec beaucoup de passion. Les contes des frères Grimm et de Perrault, et les mythologies nordiques m’ont beaucoup impressionné à l’époque. Ça m’a motivé à créer mon propre univers avec le dessin.
Vous avez obtenu un baccalauréat en arts visuels, puis en design graphique. Comment ces deux disciplines artistiques ont-elles enrichi votre façon de créer?
L’un enrichit l’autre, mais la transition des arts visuels vers le design graphique n’a pas été de toute évidence. Alors que les arts visuels sont une pratique qui exprime notre propre vision du monde, le design graphique est plutôt une articulation visuelle permettant de communiquer un message. Le métier d’illustrateur est une combinaison de ces deux disciplines. Avec les arts visuels, j’ai su créer un style me définissant alors que le design graphique m’a permis de comprendre l’importance de bien communiquer un message avec une intervention simple et concise.
En vos mots, décrivez-moi votre style artistique.
J’expérimente des styles différents, mais l’essence reste la même. Ce que je vise avant tout est l’authenticité dans mes images. Je ne veux pas forcer une image à exprimer quelque chose, mais plutôt qu’elle dégage naturellement ce que je veux exprimer.
Décrivez-nous votre lieu inspirant de prédilection, votre routine et l’ambiance propice pour trouver vos meilleures idées.
J’aime les espaces dynamiques. J’aime aller dans les cafés pour faire mes recherches. Plus il y a de monde, plus ça me stimule. Pour la production et la création, ça se passe dans mon bureau à la maison.
Vous avez créé des illustrations pour les emballages de chocolat Cacao 70. Parlez-moi du vocabulaire visuel que vous avez inventé.
Lorsqu’il y a une série d’illustrations à créer, le premier alphabet part toujours de la première illustration. C’est celle qui va donner le ton et la direction, puis ouvrir la porte à l’univers visuel que l’on veut créer. Dans le cas de Cacao 70, l’agence et le client voulaient créer un monde ludique qui exprimait chaque saveur des chocolats. Chaque gamme avait un nom particulier, et mon défi était de créer un univers narratif pour chacune de ces gammes.
L’une de vos influences artistiques est l’art surréaliste, que le peintre Magritte pratiquait. Qu’est-ce qui vous attire et vous inspire dans ce courant?
Ce que j’aime de Magritte, c’est sa manière d’approcher le surréalisme. Ses peintures jouent souvent sur le décalage entre un objet et sa représentation. Par exemple, la peinture n’est jamais une représentation d’un objet réel, mais plutôt l’action de la pensée du peintre sur l’objet. Sa fameuse peinture intitulée « Ceci n’est pas une pipe » en est un exemple classique. Ce que je retiens le plus dans ses peintures, ce sont le mystère et l’enchantement que l’on y retrouve. C’est le même genre d’ambiance que j’aime explorer dans mon travail.
Pour les Rencontres internationales du documentaire de Montréal, vous avez créé une panoplie de personnages. Parlez-moi du plaisir de dessiner cet univers coloré.
Lorsque la boîte de création Caserne m’a présenté son tableau d’ambiance (moodboard), j’ai tout de suite su où elle voulait aller avec les personnages. Les références que j’ai vues me rappelaient de vieilles BD françaises ou belges que j’avais lues et relues quand j’étais tout jeune. Ce sont des bandes dessinées moins populaires et marginales telles que Quick et Flupke ou La patrouille des castors, par exemple. Je savais tout de suite le ton et l’humour semi-décalé que je voulais approcher pour ce projet. C’est l’une des rares fois où le crayon a dessiné tout seul.
Faites-nous part d’un coup de cœur culturel.
Mon coup de cœur, l’œuvre qui m’a bouleversé dans les deux dernières années, est l’exposition de la peintre suédoise Hilma Haf Klint au musée Guggenheim à New York. C’était extraordinaire. Elle peignait l’invisible, le monde cosmique et spirituel. Ses œuvres abstraites existaient bien avant l’introduction officielle de l’art abstrait par Kandinsky, par exemple. Est-ce qu’il faudrait réécrire l’histoire de l’art abstrait? Probablement, car Hilma était indéniablement précurseure de ce mouvement. Il y a un documentaire qui traite de ce sujet d’ailleurs.
Nommez-moi 5 objets importants qui font partie intégrante de votre vie, ceux qui nourrissent votre créativité.
Les photos de mes parents, mon iPad Pro, mes deux chats, deux peintures que j’ai faites il y a une dizaine d’années et mon café.
Quel serait l’un de vos rêves de création les plus fous?
Faire un court métrage d’animation. Écrire et illustrer une BD roman qui parle de l’histoire de ma famille et de la diaspora cambodgienne. Ce sont des idées que j’ai depuis longtemps.
Quels sont les projets qui sommeillent dans la tête de Thaïla Khampo?
J’aimerais simplement pouvoir faire une exposition de mes œuvres personnelles en 2021.
Quel est le meilleur conseil que vous pourriez donner à un ou une artiste en devenir?
Ne jamais cesser de croire en soi-même. Dessiner le plus souvent possible. Le style se développe avec le temps. Faire preuve de patience, de curiosité, de créativité et de sens critique.
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