Catherine Ocelot : de la bande dessinée empreinte de poésie

Catherine Ocelot : de la bande dessinée empreinte de poésie
Justine Latour + Catherine Ocelot

23 mai 2023

L’autrice et artiste Catherine Ocelot conçoit des bandes dessinées dans lesquelles humour et réflexions poétiques se côtoient. Ses histoires, infusées de mélancolie, explorent les relations, les mises en scène du quotidien et la multitude d’émotions qui façonnent l’existence. La bédéiste brouille les frontières entre réalisme et onirisme pour toujours nous surprendre et stimuler notre imagination. 

Marqués par une vulnérabilité assumée et enveloppante, ses récits visuels qui abordent des sujets lourds comme la maladie, l’anxiété, l’identité ou encore la solitude évitent l'écueil du repli sur soi, et, au contraire, facilitent la contemplation de ce qui se passe à l'intérieur et de la beauté des connexions humaines.

Dans son dernier ouvrage, Symptômes, Catherine Ocelot s’interroge sur ce qui nous lie aux autres, la trace qu’ils et elles laissent en nous, sur ce qui fragilise et guérit le corps. Un fil conducteur unit ses quatre parutions, il s’agit de son désir de disséquer nos interactions et introspections, avec curiosité et enthousiasme. Symptômes est en lice pour le prix Bédélys 2023 et vient de remporter le Prix BD des collégiens.

À l’occasion du Mois de la bande dessinée, l'illustratrice et autrice nous parle de son parcours et de ses inspirations.

 

As-tu toujours voulu faire de la bande dessinée?

Pas du tout! C’est ma rencontre avec le dessinateur Jimmy Beaulieu, à l’époque éditeur de bandes dessinées, qui a marqué mon parcours. Il m’a ouvert à ce beau milieu et a accepté de publier mon premier livre. Il m'a donné ma chance dans le domaine. Depuis, on est devenus de bons amis. Par contre, j’ai toujours su dans mon cœur que j'étais artiste. J’ai étudié en art au cégep, puis à l'université, et j’ai fait ma maîtrise en art-thérapie à Concordia, donc j’ai un peu bifurqué. Je me suis ensuite dirigée en design, et c'est dans le cadre d’un emploi en direction artistique que j’ai commencé à réaliser des illustrations. Avant, j'étais plus attirée par la peinture et le collage. À ce moment-là, je me suis aussi intéressée à la bande dessinée, sur le tard on pourrait dire. Je n’étais pas vieille; j’étais dans le début de ma trentaine. Il y a des gens qui sont fans de BD depuis l’enfance, mais moi, ce n'était pas mon cas. 

Il y a des livres qui m’ont vraiment happée, comme ceux de Marjane Satrapi et de Julie Doucet, par exemple. C’est de la BD un peu plus contemporaine. Je pense aussi aux ouvrages de maisons d'édition québécoises comme La Pastèque et Mécanique générale. Je me suis sentie vraiment très interpellée par ce type de récits là, et ça a ouvert la porte à mon style d’exploration. Les formats sont un peu différents, plus éclatés. Ces BD abordent des thèmes originaux, sous forme parfois de reportages. On est moins dans le « cartonné », ce à quoi on a été habitués avec Astérix et Obélix ou autres. Je trouve ça stimulant!

Couvertures des BD de Catherine Ocelot.
Couvertures des trois dernières bandes dessinées de Catherine Ocelot.

 

Qu’est-ce que la BD te permet d’exprimer que les autres disciplines ne permettent pas?

Je ne peux pas tout exprimer avec les mots et je ne peux pas tout exprimer avec les images non plus! Donc la combinaison des deux vient vraiment créer un espace où je peux évoquer des choses qui échappent au langage, un peu à la manière d’un rêve éveillé. Oui, il y a des histoires dans mon travail, mais j'ai l'impression de les raconter sous forme de poésie. C’est peut-être ça, ma signature! J’aime beaucoup aussi le langage imagé et les expressions. J'explore ça dans mon dernier livre, Symptômes : par exemple, on dit « manger ses émotions » ou encore « une mère intérieure ». J’aime plonger dans le langage et en sortir les images que ça suscite.

En fait, avec la BD, j'ai l'impression d'arriver à toucher à un univers dans l’entre-deux. Au cinéma, on appelle ça le réalisme magique. Il s’agit de faire ressortir des éléments qui semblent exister entre deux mondes et pour lesquels les mots ne suffisent pas.

 

Depuis la publication de ta toute première BD, Nenette cherche un sens, en 2006, de quelle manière ton travail a-t-il évolué?

Je trouve que ça commence à devenir intéressant. J’ai l'impression que plus j'avance, moins je me cache derrière ce moyen d’expression. 

DansTalk-show(2016), il y avait beaucoup de décors, de théâtralité. En fait, mon travail aborde depuis toujours les relations, la communication, l’envie d'écouter l’autre et de s’écouter soi-même, et dans cet ouvrage, il y avait quelque chose de plus flamboyant. Dans mes dialogues, il y avait des choses dissimulées. 

Extrait de la BD Talk-Show.
Extrait de la bande dessinée Talk-show.

Alors que pour La vie d’artiste (2018), j’y suis allée de manière plus frontale avec un personnage qui était le mien, avec celui de ma fille, de mon entourage, de vraies personnes, etc. Sauf qu’en même temps, tout le monde était déguisé en oiseau! Je suis très pudique, alors même si je parle de moi, je reste relativement réservée. Je trouve des façons de ne pas trop en dévoiler. Mais plus j'avance, plus je creuse.

Si, dans Talk-show, il était question du rapport aux autres par le biais d’entrevues [celles de Bruno, personnage principal de l’album, un ours polaire animateur d’une émission de variétés], dans La vie d’artiste, ce sont mes propres questions sur le travail artistique, donc le lien avec moi était beaucoup plus affirmé. 

Extrait de La vie d'artiste.
Extrait de La vie d'artiste.

Enfin, avec Symptômes (2022), je creuse encore plus; je vais à l'intérieur du corps. Je réfléchis à comment les liens qu'on tisse avec les autres nous influencent, comment le corps recueille la parole des gens, mais aussi quelle est la saine distance entre soi et les autres, comment on fait pour exister parmi les autres, etc. 

Je suis donc partie de quelque chose d'extérieur, de très mis en scène avec mes deux premiers livres. D'ailleurs, dans ma première BD (Nenette cherche un sens, 2006), il n’y avait carrément pas de mots. Et là, j’arrive de plus en plus dans le corps, dans l’intériorité, dans l’intimité.

Extrait de Symptômes.
Extrait de Symptômes.

Pour moi, la bande dessinée c’est vraiment le plus beau moyen d’expression!

 

Ta formation en art-thérapie semble favoriser chez toi la création pour panser certaines plaies, pour parler de santé mentale, d’états d’âme… 

En effet, c'est certain que ça a énormément influencé ma compréhension du monde. J'ai passé trois ans en immersion dans le domaine de la psychologie; j'ai travaillé dans un hôpital psychiatrique, dans une clinique de désintoxication; j’ai été dans le milieu médical… Ça a complètement changé le regard que je pose sur le monde. Toute la recherche psychologique m'intéresse toujours, donc ce bagage-là, je le garde avec moi en tant qu’artiste. Je lis énormément, notamment Jung, dont le travail porte beaucoup sur la symbolique et l’analyse des rêves, des sujets qui me stimulent! Par contre, je ne fais plus d’art-thérapie. J’ai dû me réaligner avec mes réels intérêts, car ce que je voulais, c’était être artiste, et en allant étudier l’art-thérapie, j’avais pris la trajectoire d’un métier plus sécuritaire, qui me mettait au second plan. 

J’ai longtemps été en conflit à l'intérieur de moi par rapport à ça! Je me suis engagée sur un parcours d’artiste après des années de réflexion… Et c'est pour ça que j'en ai fait un livre, d’ailleurs! Dans La vie d’artiste, je me suis interrogée sur comment faire pour être artiste, comment éviter le piège de faire trop d’espace pour autrui et moins pour ce que je voulais vraiment. En étudiant l’art-thérapie, je suis quand même allée toucher à mes intérêts, mais ça a été un long chemin avant de m’autoriser à être artiste. 

Extrait de Symptômes.
Extrait de Symptômes.

 

Les rencontres restent toutefois centrales dans ton processus créatif.

Oui, je suis toujours très curieuse de comprendre comment les gens vivent les choses et ressentent les œuvres. Lors de ma récente résidence de création à la Cinémathèque québécoise, je me suis intéressée à comment on peut recevoir et percevoir des films de façon complètement différente selon qui on est, ce qu’on vit, nos antécédents et le moment où on les regarde. Ça me fascine! J’allais à la rencontre du public après des projections. On discutait du film, de nos impressions, puis je créais des œuvres inspirées de ces conversations. 

En explorant cette notion de perception avec les autres, j’ai pu l'explorer aussi à l'intérieur de moi. S’écouter, ça permet de mieux écouter les autres, et vice versa; c’est difficile de faire l’un sans l’autre! Cette résidence s'est déployée sur plusieurs mois et s’est close avec une exposition solo en 2021, où j’ai pu montrer le fruit de ces rencontres sous forme de récits dessinés. 

Extrait de Talk-show.Extrait de Talk-show.

 

Qu’est-ce qui t’allume le plus dans ton métier?

La liberté! C’est vraiment la liberté de création, celle de donner vie à des histoires qu'on a envie de raconter. Dessiner et écrire comporte très peu de contraintes, comparativement au cinéma ou à des productions télé, par exemple. La BD, c'est simple; on n’a pas besoin de grand-chose. Dans mon cas, un ordinateur, du temps et trouver une façon de financer le processus de création. C’est un médium avec lequel j'ai tellement de plaisir et j’apprécie le champ libre dont je dispose pour traduire mes idées en faisant converger images et textes.

 

Peux-tu me nommer quelques bédéistes dont tu aimes le travail et qui t'inspirent?

Il y en a tellement, mais voici quelques noms! 

L’Islandaise Liv Stromquist : ses bandes dessinées sont des essais sociologiques, des réflexions fouillées sur des sujets comme l'amour, les relations, le capitalisme ou même l'horoscope, le tout avec une signature visuelle plutôt punk. C’est vraiment formidable!

Il y a aussi l’Américaine Alison Bechdel. Fun Home: A Family Tragicomic (une tragicomédie familiale), c’est vraiment son grand classique, il s’agit d’une autofiction qui porte sur sa relation avec son père décédé qui était embaumeur. Elle y parle de son enfance dans la maison familiale. 

Je pense aussi à Sarclage, un récit sur l'exclusion sociale, de l'autrice québécoise Geneviève Lebleu, dont j'adore le travail pour son humour et son visuel surréaliste, à la fois inquiétant et joyeux. C’est sa première BD.

J’aime beaucoup Jillian Tamaki pour sa poésie, son imaginaire et la virtuosité de son dessin! Elle a un immense talent pour raconter autant les petites que les grandes histoires. J’ai beaucoup aimé l’ouvrage Boundless, parce que c'est une œuvre très poétique et je trouve sa signature visuelle tellement fabuleuse et versatile. 

Il y a aussi la bédéiste Anna Haifisch, pour son humour et ses réflexions sur la condition de l'artiste, ou encore Julie Doucet, une Québécoise incontournable que j'admire pour sa liberté, son univers foisonnant et sa voix unique. 

 

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