Rencontre littéraire Pour emporter avec Maxime Catellier
Caroline Bertrand
31 octobre 2021
Le poète et auteur Maxime Catellier, qui enseigne la littérature au cégep de Valleyfield, fait paraître en novembre son quatorzième livre, Le monde d’avant/L’autre moitié, inspiré notamment de son bien-aimé Centre-Sud, quartier montréalais dont il a arpenté les rues pendant 15 ans avant de le quitter pour Saint-Anicet, en Montérégie, où sa conjointe et lui se sont épris d’une vieille maison qui voit grandir leurs deux jeunes enfants.
À l’occasion de cette sortie sera réimprimé Golden Square Mile, qui avait également pour toile de fond le Centre-Sud, son « golden square » à lui. Ce récit poétique sorti en 2015 a séduit l’auteur-compositeur-interprète Patrice Michaud, qui en parle à l’émission Pour emporter. C’est d’ailleurs dans ce livre qu’il est tombé sur la fameuse phrase : « L’amour, ce n’est pas quelque chose; c’est quelque part », qu’il a immortalisée à son tour dans la chanson Kamikaze. Il avait d’ailleurs interrogé Maxime sur l’origine de cette phrase, tirée du roman Le nez qui voque, de Réjean Ducharme.
Nous nous sommes entretenus avec Maxime Catellier.
Qu’est-ce que Golden Square Mile représente pour toi aujourd’hui?
C’est un livre de peine d’amour, d’une relation qui a pris fin après 11 ans. Après, j’ai rencontré quelqu’un qui me faisait courir. J’étais pris entre le deuil d’une relation ancienne qui avait pris fin et celui d’une relation nouvelle qui n’allait jamais marcher. Je ne savais pas comment gérer ça. J’ai écrit une lettre à la personne pour lui expliquer comment je me sentais – cette lettre a été le point de départ du projet. Je me suis enfui très loin de Montréal pour être sûr que personne ne me trouve. J’avais vraiment besoin de solitude et j’ai écrit tout le reste. C’est l’autobiographie d’un sentiment.
Ton nouveau livre, Le monde d’avant/L’autre moitié, offre aux lecteurs et lectrices la poésie d’une ville, d’un quartier, selon sa quatrième de couverture. Peux-tu me parler de cette poésie?
Le décor de Golden Square Mile, c’était le quartier Centre-Sud. Habituellement, il s’agit du centre-ville de Montréal, des riches maisons de la rue Sherbrooke jusqu’à Westmount. Je l’ai replacé dans le Centre-Sud, le quartier de mon cœur, où j’ai habité 15 ans. Quand j’ai commencé le projet du Monde d’avant/L’autre moitié, j’ai écrit un texte, L’autre moitié, que pour me redonner envie d’écrire.
« J’avais perdu le goût d’écrire, alors j’ai pris un carnet, j’ai écrit à la main, sans projet, sans plan, en espèce d’écriture automatique. J’ai écrit une phrase et me suis dit : “Tiens, je vais suivre cette phrase.” Ç’a donné un texte d’une vingtaine de pages. »
Après avoir écrit ça, je trouvais qu’il manquait quelque chose. Et la pandémie est arrivée; je me suis retrouvé enfermé dans mon bureau à enseigner devant un ordinateur. Dans mes temps libres, j’ai exploré mes photographies du quartier, prises avec un appareil argentique, avec pellicule en noir et blanc. J’avais tellement de photos de la rue Ontario parce que chaque fois que je remontais Plessis, où j’habitais, je photographiais toujours Ontario en premier. C’est devenu le fil conducteur de l’autre moitié du projet, Le monde d’avant. À partir de photos de la rue Ontario, j’ai écrit des textes en puisant dans ma mémoire de tout ce que j’ai vu dans ce quartier.
Est-ce que certains aspects de Montréal te manquent?
C’est sûr que je m’ennuie de Montréal. Je m’ennuie de sa vie. J’ai toujours été un marcheur; quand je ne savais pas quoi faire, je sortais et marchais, marchais, marchais. Je m’arrêtais dans un café, un bar – c’est ce que j’aimais faire de mon temps. J’aimais le principe du sans rendez-vous, m’arrêter au hasard de mes déambulations. Tu ne rencontres pas des gens parce que tu leur as donné rendez-vous, mais parce que tu t’es accoté au bar à ce moment-là. C’est ce qui me manque le plus.
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Et qu’est-ce qui t’inspire dans ton nouveau coin de pays depuis cinq ans?
Ici, j’ai d’autres types d’inspiration : ce sont des trucs très quotidiens, dans le paysage, dans la nature. On voit beaucoup mieux passer les saisons près de la nature, comme le temps des lucioles en juin. Ces phénomènes deviennent très proches. On est dans l’extrême sud-ouest [du Québec], tout près [de la frontière] de l’État de New York, juste à côté d’une réserve et juste à côté de l’Ontario; il y a tout ça en même temps. C’est un territoire de frontières. Pas loin de la petite douane, il y a même une ancienne maison de passe, une espèce d’auberge, hôtel, bar construite sur la frontière; dans le salon, tu es aux États-Unis, dans la cuisine, tu es au Québec. Ça m’inspire. Je travaille sur un énorme projet de fiction qui comprendra 12 voix narratives. On dirait que, chaque jour, il y a des évènements dans l’actualité qui ajoutent à la pertinence de mon projet; on y vit dans le mensonge, tout le monde raconte sa version de la même histoire, mais personne n’a la bonne version [rires]. J’hésite à m’y attaquer, car je manque de temps pour écrire.
Je me demandais justement comment tu expliquais ta fécondité littéraire, toi qui en es à 14 livres.
Parmi eux, il y a des livrets-objets de poèmes. Je produis souvent des livres assez courts. Je suis prolifique, mais ce ne sont pas des romans de 800 pages chaque fois. Je ne suis pas non plus quelqu’un qui retravaille beaucoup.
« Ça me prend du temps avant de me mettre à écrire, mais ça sort d’un jet, et c’est publié presque tel quel. Des gens vont travailler de manière maniaque un manuscrit, à changer de bord tous les mots, et ça peut durer des mois, des années des fois. Je ne suis vraiment pas de même! »
Je m’assois, je m’exécute et je l’envoie à mon éditeur [rires]. Il me pointe des trucs à retravailler, mais c’est assez rapide. Lui et moi, on travaille pas mal dans le même esprit. Je suis passé voir l’artiste avec qui j’ai travaillé, Marc Leduc, en août pour lui dire : « Bon, on part en impression dans deux semaines », donc il a fait les dessins là [rires].
Ça m’amène à l’hybridité dans ta création. Tu as l’air passionné de poésie, de photographie, d’illustrations… Qu’est-ce qui t’a amené à mêler toutes ces formes d’art?
J’ai toujours aimé mille choses! Pour moi, la poésie, c’est à la fois des dessins, des poèmes; ça se trouve dans un roman, sur une photo, dans un paysage. La poésie était mon point d’ancrage. C’est sûr qu’au 19e siècle, on écrivait en alexandrins, en formes fixes, mais là, la poésie est un genre complètement éclaté qui touche au narratif, on dirait presque de la peinture des fois. Quand j’ai commencé à écrire de la poésie, j’ai croisé mon ami Marc, qui est peintre, au bar Le Cheval Blanc. Je lui ai dit : « Regarde ça, si tu avais le goût de faire des dessins, ce serait le fun. » Et il a dit : « Ah ouais, cool », et il en a fait.
« Pour le recueil qui a suivi, je voyais des photos dans ma tête; je venais de m’acheter un appareil au marché aux puces Ontario, qui n’existe plus, j’avais mis de la pellicule et m’étais mis à faire de la photo de façon totalement autodidacte. Je n’ai aucune formation là-dedans. Je me suis donc mis à intégrer de la photo. »
Dans Golden Square Mile, j’ai intégré des photos, des lettres, des conversations par textos – j’ai bien sûr demandé la permission à la fille –, ce qui crée une espèce d’effet de réel. Mont de rien, parce que je voulais une voix d’enfant, je l’ai écrit sous forme de petits poèmes, avec des phrases courtes. J’avais l’impression qu’elle était plus facile à rendre comme ça.
Tantôt, tu as dit avoir traversé un creux d’écriture. Que ressentais-tu par rapport au fait de ne pas écrire?
Je pense que tous les créateurs affrontent la fameuse page blanche. J’étais pris avec un projet de roman – celui des 12 voix narratives –, j’avais obtenu une subvention; le projet était vraiment élaboré. Mais, ce faisant, il avait perdu de sa fraîcheur… C’est comme si ça ne me tentait plus de l’écrire. Il va bien sûr se faire, mais c’est comme si j’avais envie de faire quelque chose de gratuit. Pour rien. C’est là que j’ai ouvert un carnet et écrit la première phrase de L’autre moitié : « Il n’était pas de ces hommes à qui on apprend à jouer pour la simple raison qu’il avait toujours perdu à tous les jeux. » C’était la phrase de départ, très inspirée de mon côté mauvais perdant.
« Ça m’a mené sur le chemin d’un personnage qui a tout perdu. Je voulais suivre une déambulation, et celui qui a vraiment perdu à tous les jeux, c’est celui qui se retrouve à la rue. J’ai donc suivi ce personnage dans sa rue, de manière non préméditée. »
Je m’étais inspiré d’une entrevue de Jacques Ferron dans les années 70 que je présente à mes étudiants, dans laquelle il disait qu’il ne fallait pas qu’un écrivain sache comment son histoire se termine parce que, sinon, il perdait l’effet de surprise. Il faut être capable de se surprendre soi-même sinon on risque de s’ennuyer. L’une des rares entrevues où il parle de son travail.
Toi, aimes-tu parler de ton travail littéraire?
Oui, je n’ai pas d’appréhension par rapport à ça. Mais il faut dire qu’on ne m’a pas sollicité sans arrêt. Je publie depuis 2005, mais je n’ai pas donné des milliers d’entrevues. Chaque fois que j’en ai donné, c’était le fun. Je m’ennuie de la rencontre, parce qu’on est soit au téléphone, soit à distance ces temps-ci. Il y a quelque chose qui se passe, qui s’improvise à travers une rencontre, qui fait que c’est encore plus intéressant. Je ne suis pas du type Réjean Ducharme à vouloir être enfermé chez moi dans l’anonymat.
Pour conclure, quand tu penses à l’œuvre littéraire que tu as façonnée depuis 2005, qu’est-ce qui te rend particulièrement fier?
Comme c’est le quatorzième livre que je fais paraître, OK, parlons d’une œuvre [rires]. Mes livres sont très différents les uns des autres, et un libraire, Christian Girard, aussi poète, avait écrit une toute petite brève sur l’un de mes recueils de poésie; il parlait du côté hétéroclite, mais traversé par une « étonnante unité ». J’étais bien fier de ça. Je me disais que, même si c’était pas mal bric-à-brac, mon affaire, on entendait peut-être la même voix à travers ces livres très différents, quelque chose qui traverse tout ça et qui fait qu’on reconnaît ma voix. Le fait d’avoir peut-être réussi à me forger une voix, c’est un motif de fierté.