La machine à rumeurs : Véronique Cloutier et les potins
Claire-Marine Beha
17 avril 2023
On potinerait environ 50 minutes par jour, nous apprend Véronique Cloutier dans La machine à rumeurs, une émission en 3 épisodes qui se penche sur notre relation aux cancans et à la presse à scandale. Dès le 21 avril à 21 h sur ICI ARTV, l’animatrice nous invite à la suivre dans sa quête de compréhension et donne la parole à des spécialistes ainsi qu’à des personnalités qui gravitent dans le monde du potin : Normand Brathwaite, Alicia Moffet, Michèle Richard, Simon Waddell, Boucar Diouf, Érick Rémy, etc. Mais pourquoi aime-t-on tellement les potins? Au fil des entretiens et des histoires qui ont marqué l’industrie du ragot, on décortique cette fascination universelle.
À cette occasion, Véronique Cloutier revient sur sa relation avec le potinage.
Quelles informations t'ont le plus marquée pendant le tournage? Comprends-tu mieux notre penchant pour le commérage désormais?
Comme tout le monde, je me doutais que potiner était une manière de se rendre intéressant, mais l’émission m’a permis de saisir en profondeur l’importance pour les humains de créer des liens à travers le potinage. Il y a une nuance intéressante : le potin n’est pas nécessairement négatif. À la base, c’est neutre, un potin, il s’agit de l’action de parler de quelqu’un en son absence. Il y a donc des potins négatifs et des potins positifs. J’ai beaucoup aimé ma rencontre avec le sociologue Jean-Philippe Warren; il a été très captivant dans sa manière de communiquer ces informations, je l’aurais écouté pendant des heures!
J’ai également aimé le parallèle qu’a fait Boucar Diouf avec les singes qui s’épouillent. En s’enlevant les poux, c'est une manière pour ces animaux d'entrer en relation, et donc de potiner, d’une certaine façon… d'où l'expression « chercher des poux »! J’ai également appris plusieurs choses sur l’histoire du potin au Québec, j’ai constaté que la fascination des gens pour la vie des vedettes ne date pas d’hier et ne changera pas!
Michèle Richard dans l'émission La machine à rumeurs.
Quelle est ta relation au potin? J’image qu’elle a dû évoluer au cours des dernières années.
Oui, à une certaine époque, j'étais « la centrale de potins ». Je ne m’en rendais pas compte, mais les gens me disaient que tous les potins passaient par moi; je les recevais et je les distribuais! Un peu honteusement, même s’il faut accepter qui l’on a été, j’avoue que j’étais très potineuse. Ce n’était jamais fait dans un but mesquin, mal intentionné; c’était vraiment la pure définition : utiliser les cancans pour se rendre intéressante aux yeux des autres. Je crois que quand on est jeune et qu’on se cherche encore, c'est un passage obligé pour créer du lien… Et puis un jour, j’ai vieilli, j’ai été moi-même la cible de potins, des vrais, des faux, des exagérés, et finalement, on se rend compte que ça blesse!
Désormais, je ne suis plus du tout une « centrale de potins », il y a un paquet de ragots qui me passent sous le nez, je suis très occupée avec ma vie professionnelle et ma famille, et je ne fréquente plus vraiment les partys, parce que ça part souvent de là…
Aujourd’hui, avant de transmettre une information, je me questionne : dans quel but est-ce que je veux raconter ça? Est-ce que ça va changer quelque chose? Et surtout, est-ce que je vais blesser quelqu’un? Si l’on passe un ragot à travers ce filtre-là avant de le propager, on évite déjà beaucoup de soucis et de dommages collatéraux. Je m'en tiens à des choses qui ne vont pas nuire. Si ça reste cute, car tout le monde aime les histoires d’amour, pourquoi pas, mais quand il s’agit d’histoires d’infidélités, de maladies, de drames plus graves qui impliquent des émotions, je m’abstiens. Côté professionnel, je suis dans un milieu où les choses se savent très vite, mais je ne vais pas appeler un journaliste pour lui donner une information que j’ai pu apprendre sur tel ou tel projet. À l’époque, si l’on me disait : « Dis-le pas », ça se pouvait que je le dise quand même! Mais à présent, je vais plutôt mourir avec le secret et mentir s’il le faut! Ce sont mes relations de confiance avec les êtres humains qui priment.
La société évolue, on brasse les cartes de nos priorités et de nos valeurs, et heureusement, plus de bienveillance se glisse dans nos relations. Je crois que le potinage n’y échappe pas.
Les réseaux sociaux sont une source inépuisable de cancans. La presse à scandale épluche les photos et statuts des vedettes pour créer de l’engouement. Qu’en penses-tu?
J’ai un grand malaise avec ça, je trouve très particulier que des sites fassent de l’argent en reprenant les nouvelles des personnalités publiques. Avant, si je voulais communiquer quelque chose au public, je pouvais passer par ces médias pour faire de la promotion, et même si l’on n’était pas toujours consultés, on connaissait le chemin. Or, aujourd'hui, c’est un buffet à volonté, et je trouve que ça peut devenir de l’incitation à la haine.
Quand je m’adresse à la communauté qui est abonnée à moi, qui s’intéresse à ce que je fais, et que je me permets une certaine vulnérabilité en partageant une nouvelle ou une émotion plus personnelle, même si c’est accessible à tous, il y a comme un faux sentiment de sécurité parce que je m’adresse aux gens qui ont choisi de me suivre. Sur ma page, je peux bloquer les personnes qui m'insultent, mais quand ces sites-là créent la nouvelle en reprenant nos propos, c’est comme lancer de la viande à des lions, il n’y a plus aucun contrôle, pas de bienveillance non plus, et peu de modération. Ces plateformes-là ont intérêt à ce que la chicane prenne entre leurs abonnés; les fans vont défendre la personnalité qu’ils apprécient de ceux qui l'insultent… Ça ne finit plus, et en attendant, ça fait des clics. Personne n’est gagnant, sauf le site à potins. Je trouve ça désolant.
Pendant longtemps, j'ai cru que c’était un mal nécessaire, parce qu’on est bien contents quand la presse à potins parle de nos spectacles, de nos projets, mais je m'aperçois que ça ne change rien. Ça n'augmente pas les cotes d’écoute ni nous fait vendre plus de billets, et ça ne fait surtout pas changer d’idée aux gens qui nous détestent.
Alicia Moffet se confie à Véronique Cloutier dans l'émission La machine à rumeurs.
Dans l’émission, on entend les témoignages d’Alicia Moffet, de Michèle Richard... Penses-tu que les femmes sont davantage victimes de rumeurs?
Je n’ai pas d’étude qui le prouve ni ne possède de chiffres sur le sujet, mais je dirais que oui. On s'attend toujours des femmes qu'elles aient un comportement irréprochable, qu’elles soient de bonnes épouses, des mères dévouées, qu’elles sachent se tenir, aient des bonnes manières, qu’elles soient polies, à l'heure, travaillantes, bien habillées, sensibles, mais sans débordement d’émotions… Donc, puisqu'on attend des femmes qu'elles soient parfaites, c’est sûr qu’elles sont plus victimes de ragots, car ça devient tellement croustillant!
Dans le cas d’Alicia Moffet qu’on retrace dans la série, elle a été vue avec un nouveau partenaire peu de temps après sa rupture, mais qui est-ce que ça regarde exactement? Les sites et comptes à potins se disent un peu les grands justiciers, ils veulent « que les gens sachent à qui ils ont affaire », mais qu’est-ce que ça change dans sa carrière de chanteuse et de créatrice de contenu si l’on sait combien d'heures elle a été célibataire? En quoi ça nous regarde ce qui s’est passé pour ce jeune couple? Mettez votre chapeau d’être humain! Cette machine peut blesser profondément et à long terme.
Je veux aussi mentionner le double standard qu’illustre le cas d’Alicia Moffet. Elle a commencé à fréquenter Frédérick Robichaud, fraîchement sorti d’Occupation double, qu’on avait vu il y a quelques semaines en couple avec une candidate de l’émission. Ils se sont rendus jusqu’en finale. Or, à aucun moment, on n’a reproché ça à Frédérick Robichaud. Ça semblait beaucoup moins grave pour lui, le nombre d’heures qu’il a été célibataire… Ce « deux poids deux mesures » est assez révélateur.
Finalement, j’espère que les gens vont aimer la série et observer les réflexions que ça suscite chez eux. Si ça peut être utile, ça fait mon affaire!
La machine à rumeurs est diffusée sur ICI ARTV le vendredi à 21 h dès le 21 avril.